Masra, l’opposant devenu allié

Le Tchad a entamé l’année 2024 avec un nouveau Premier ministre de Transition, Succès Masra. En l’espace de moins de deux mois, cet opposant pour le moins radical est quasiment passé du statut d’ennemi public n01 à haut dignitaire du régime. Appelé à assumer les charges de chef du gouvernement en remplacement d’un autre opposant, Saleh Kebzabo, le patron du mouvement politique « Les transformateurs » a immédiatement formé son équipe.

Il a essentiellement la charge d’organiser les élections présidentielle et législatives d’octobre 2024 et de réconcilier les Tchadiens, plus que jamais divisés. La nomination de Masra, qui continue de faire jaser dans les milieux politiques tchadiens et du continent, ne constitue pas véritablement une surprise pour les observateurs avisés. Depuis son retour au bercail en novembre 2023, suite à l’accord signé avec le pouvoir tchadien sous la médiation du Président congolais, Félix Tshisekedi, l’opposant est rentré dans les bonnes grâces du pouvoir.

Partisan du « ni oui ni non » dans un premier temps au récent référendum constitutionnel, Masra a par la suite opéré un virage à 90 degrés, en optant pour le « Oui », se mettant à dos ses partisans, dont la majorité plaidait plutôt pour l’adoption d’un Etat fédéraliste. Sa nomination intervient d’ailleurs au lendemain de cette consultation nationale, comme s’il doit son ascension à cette prise de position qui constitue un véritable revirement. Des membres de son mouvement politique se sentant trahis crient encore au scandale. Mais ainsi va la politique, surtout en Afrique.

Tout est possible dans ce domaine où les intérêts prennent souvent le dessus sur les principes. Masra s’était opposé à Deby père et ensuite à son fils, le général Mahamat Idriss qui dirige en ce moment le pays, au point que très peu de ses soutiens n’imaginaient pas un tel retournement de veste. Il était d’ailleurs foncièrement opposé à la prolongation de la Transition consentie par le dialogue national inclusif, au point de susciter des manifestations durement réprimées en octobre 2022, avec au moins 73 morts.

Le pouvoir de Transition l’a tenu pour responsable de ces événements malheureux, faisant émettre un mandat d’arrêt à son encontre, ce qui l’a contraint momentanément à l’exil. Des poursuites pour des faits de « tentative d’atteinte à l’ordre constitutionnel » et d’« incitation à un soulèvement insurrectionnel » ont été même engagées contre sa personne. La petite traversée du désert de Masra a donc fait place à un ralliement de circonstance, comme on en voit en politique.

A la vérité, la nomination de Masra va au-delà de la simple volonté d’ouverture du chef de l’Etat tchadien. Si son geste tient lieu de décrispation politique, le général Deby a sans doute accédé à la requête de certains partenaires (Etats-Unis, France, Union européenne…), qui souhaitent une transition inclusive. La question qui se pose à présent, c’est de savoir si Masra aura les coudées franches pour appliquer sa propre vision politique pour sortir le Tchad des sentiers battus.

Il fera certainement la volonté du chef et non la sienne, quitte à ne pas se sentir dans un tel scenario et à jeter l’éponge. L’attelage Deby-Masra questionne,les deux étant autorisés à se présenter à la future présidentielle, si bien qu’on se demande si le chef de l’Etat ne lui a pas tendu un piège. A moins de se rallier totalement à la candidature de Deby, Masra n’a pas encore perdu sa casquette d’adversaire politique, lui qui a l’ambition de conduire le Tchad vers des lendemains meilleurs, en implémentant sa propre vision. On est impatient de voir ce duo à l’œuvre pour se faire une idée de ce que sera l’avenir du Tchad.

Kader Patrick KARANTAO

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