Me Bénéwendé Sankara, du collectif des avocats de la famille Thomas Sankara : « Le juge d’instruction a pratiquement bouclé son dossier »

Il est l’un des avocats de la famille de Thomas Sankara, le père de la Révolution, assassiné le 15 octobre 1987.
Dans cette interview, Me Bénéwendé Stanislas Sankara revient sur les avancées « notables » du dossier en justice.

Sidwaya (S) : Ce 15 octobre 2020, cela fait 33 ans que les familles du président Thomas Sankara et des victimes du coup d’Etat du 15 octobre 1987 attendent le jugement du dossier. A quel stade en est-on ?

Bénéwendé Stanislas Sankara (B.S.S.) : Vous faites bien de poser la question parce que 33 ans, ce n’est pas petit. Mais, je dois vous dire aujourd’hui, avec satisfaction, que nous venons, en tant qu’avocat de la famille du président Thomas Sankara, de recevoir du juge d’instruction, un avis à conseil qui nous notifie qu’il a rendu enfin une ordonnance dans laquelle, il énumère un certain nombre d’infractions et de poursuites contre un certain nombre de personnes. Il précise qu’il entend saisir la chambre de contrôle comme l’exige le Code de procédure militaire. Le juge d’instruction a pratiquement bouclé son dossier.

S : Quelles sont ces infractions dont vous parlez ?

B. S. S. : Les infractions retenues sont : l’attentat à la sûreté de l’Etat, la complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, parce que quand il y a des auteurs et des complices Il y a aussi et surtout les faits d’assassinat et de complicité d’assassinat, étant donné que Thomas Sankara a été assassiné avec 12 autres personnes. Il y a également le recel de cadavre que le juge a fini par accepter, le faux en écriture parce qu’on se rappelle que le certificat de décès de Sankara avait créé une polémique. En plus, il y a la subordination de témoins, parce qu’un des accusés a tenté d’influencer des témoins en complicité.

S : Quelles sont les personnes poursuivies ?

B. S. S. : Ce sont plus de 10 personnes, mais pour ce qui intéresse l’opinion, il y a le président, Blaise Compaoré, poursuivi pour attentat à la sûreté de l’Etat et assassinat, tout comme Hyacinthe Kafando. Ces deux sont en fuite, mais ils sont sous mandat d’arrêt. A ces deux-là, s’ajoutent Gabriel Tamini, le médecin colonel Guébré, celui-là même qui a signé le certificat de décès de Sankara et Gilbert Diendéré qui, de mon point de vue était le pivot. Celui-ci est poursuivi pour plusieurs infractions. Il y a des exécutants, les soldats qui ont participé au commando comme Nabonswendé Ouédraogo, Wampasga Nacoulma, Salam Yerbanga, Bossobè Traoré, Elysée Ilboudo et Idrissa Sawadogo. Certains sont aussi impliqués dans l’affaire David Ouédraogo (ndlr : nom du chauffeur de François Compaoré, décédé dans des conditions non encore élucidées).

S : Les mandats d’arrêt lancés contre l’ancien président Blaise Compaoré et contre Hyacinthe Kafando ont-ils été exécutés ?

B. S. S. : Les mandats n’ont pas été exécutés malheureusement par la Côte d’Ivoire où les intéressés se sont réfugiés. Blaise Compaoré a officiellement pris la nationalité ivoirienne. Est-ce pour cela que la Côte d’Ivoire ne l’a pas exécuté ? Il me semble que la Côte d’Ivoire n’extrade pas ses nationaux mais cela n’est pas un obstacle à la poursuite engagée contre Blaise Compaoré pour attentat à la sûreté de l’Etat et assassinat. C’est vrai que la commission n’a pas été exécutée, mais les charges pèsent sur lui, et il a choisi de ne pas se défendre. Le juge naturellement activera toutes les procédures.

S : Qu’est-ce qui bloque le dossier depuis six ans, quand l’on sait que les présumés instigateurs du tragique évènement ne sont plus au pouvoir ?

B. S. S. : Le temps de la justice n’est pas celui du citoyen. La justice a ses règles, son temps, son rythme. C’est vrai qu’avant, ceux qui étaient au pouvoir et qui ont profité de l’assassinat du président Thomas Sankara, sous un régime où on disait qu’il y avait des juges acquis, le dossier ne pouvait aller nulle part. La preuve en est qu’aucune enquête n’a été ouverte sous Blaise Compaoré. C’est la famille Sankara elle-même, qui a porté plainte et la justice a mis tout le temps qu’il fallait, jusqu’à l’insurrection. L’instruction sérieuse n’a commencé qu’en 2015, après l’insurrection avec l’ordre de poursuite donné sous la Transition. Un dossier d’une telle ampleur ne peut se boucler en quelques mois. Mais, il y a le fait que depuis l’accession au pouvoir de Roch Marc Christian Kaboré, signataire du Pacte sur le renouveau de la justice, tout le monde s’accorde à dire qu’il y a la séparation des pouvoirs. Même si le dossier Sankara est au tribunal militaire, il y a que ce tribunal relève du système judiciaire. Le juge a donc travaillé à son rythme, sans pression. Il a été indépendant et libre dans son travail. Ce qui nous intéresse, c’est d’abord qu’on aboutisse à un procès équitable, qui respecte les normes et standards internationaux, avec la garantie des droits de la défense fondée sur le principe de la présomption d’innocence. D’ailleurs, aujourd’hui, beaucoup d’avocats se sont constitué pour défendre leurs clients. Avant cela n’était pas possible. La procédure étant méticuleuse, il fallait travailler pour éviter les vices de forme. Le juge s’est donné tout ce temps, pour aboutir à cette conclusion que des gens doivent être poursuivis.

S : L’étude balistique et l’autopsie des corps des victimes ont été réalisées. Est-ce que ces études ont permis de fournir des informations susceptibles de relancer le dossier ?

B. S. S. : Bien sûr ! Non seulement il y a cela, mais aussi la reconstitution des faits. Quand on a exhumé les corps, l’enquête balistique a permis de retrouver des douilles. Cela a permis, dans la recherche de la vérité, de se faire une opinion des armes utilisées. Pour l’autopsie, dans les restes qu’on a retrouvés, il y avait des ossements et des objets appartenant aux victimes qui ont été reconnus par certaines familles. Il n’y avait donc pas de doute que c’était ceux-là qui ont été assassinés, le 15 octobre 1987. Il y avait donc beaucoup d’éléments probants qui soutiennent la conviction du juge. Cela a été appuyé par la reconstitution des faits. Il y a encore des témoins vivant qui ont reconstitué la pièce de théâtre. Certains ont confié que le jour de l’assassinat ils étaient là, ils ont quitté tel endroit avec tel moyen de déplacement … Sur la scène, ils étaient là avec leurs avocats pour témoigner et cela a renforcé la conviction des juges et des avocats.

S : Les archives françaises sur Sankara transmises à la justice burkinabè ont-elles parlé ?

B. S. S. : Les archives naturellement ont parlé, mais le problème c’est de savoir quel est l’impact sur le dossier. Les gens s’attendaient peut-être à un séisme, à un buzz du complot international. Le procès nous le dira, mais nous avons effectivement eu accès à ces archives versées dans le dossier. Il y a eu des déclarations, des documents et je pense que d’une manière ou d’une autre, cela aussi a une valeur juridique par rapport à la commission de l’infraction. Nous sommes dans le cadre d’une procédure pénale, donc tout ce qui se dit ou tout ce qui peut venir même après le crime peut amener le juge dans son intime condition à se dire qu’un complot a été préparé. C’est pourquoi, vous verrez que dans les infractions, il y a aussi le complot. Maintenant, comment le complot a été préparé, avec qui, avec quel moyen ? Le dossier nous situera.

S : Aujourd’hui, peut-on dire qu’il n’y a pas de mainmise politique dans le dossier ?

B. S. S. : Non ! J’ai parlé de la séparation des pouvoirs et du Pacte sur le renouveau de la justice que moi-même j’ai signé en tant que candidat. Ceux qui ont suivi la rentrée judiciaire 2020, ont constaté qu’elle était placée sous le thème de la responsabilité du magistrat. C’est dire qu’aujourd’hui, les magistrats se félicitent de leur indépendance. Cela veut dire qu’il n’y a pas une interférence du politique dans la justice. Pourtant, avant, le ministre de la Justice disait qu’il y a des magistrats de service, parce qu’il faut des magistrats pour servir le pouvoir. Aujourd’hui, le Conseil supérieur de la magistrature n’est plus piloté par l’exécutif.

S : A quand peut-on s’attendre à un procès du dossier Sankara ?

B. S. S. : C’est quand le dossier est programmé, qu’on peut donner une date. Même le jour où il est programmé, lors de l’audience, il peut être renvoyé. Il est difficile de vous dire quand est-ce que le procès aura lieu. Ce qu’on peut vous dire, c’est qu’il y a aujourd’hui, une évolution sensible qui indique qu’on va vers le bout du tunnel.

S : Quelle appréciation faites-vous de l’initiative du Mémorial Thomas- Sankara ?

B. S. S. : J’ai participé à la pose de la première pierre du Mémorial. C’est un projet que j’ai soutenu dès le lancement et je l’apprécie, ce d’autant plus que les plus hautes autorités du pays, le chef de l’Etat, Roch Marc Christian Kaboré, lui-même a été au lancement. Il a contribué avec son gouvernement sur le plan financier pour que ce mémorial commence à voir le jour. Il y a aussi l’université Ouaga II qui sera rebaptisée aujourd’hui 15 octobre 2020, université Thomas-Sankara. Ce sont des signes très forts au sommet de l’Etat, qui affichent sa volonté de réhabiliter le président Sankara sur les plans politique et judiciaire. Je ne peux qu’en être fier du combat mené depuis deux décennies, pour qu’enfin la jeunesse adule le président Sankara, considéré comme une référence politique. Nous exprimons notre reconnaissance à tous ceux qui se sont battus et qui continuent de se battre pour que la vérité triomphe et que l’Afrique n’oublie pas les grands hommes comme le président Sankara.

Interview réalisée par
Jean-Marie TOE

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