La troupe Kantigui de Orodara, (province du Kénédougou), a livré en musique traditionnelle instrumentale, une prestation de belle facture lors de la 20e édition de la Semaine nationale de la culture, SNC Bobo 2023. Au palmarès, elle se succède dans le Grand prix national des arts et des lettres (GPNAL) et décroche également le prix spécial du Conseil régional des Hauts-Bassins. Rencontre avec ces virtuoses du balafon.
Les virtuoses du balafon de la communauté sèmè ont livré une prestation spectaculaire dans la catégorie Musique traditionnelle instrumentaliste en cette soirée de début mai, à la Maison de la culture Anselme Titianma Sanon de Bobo-Dioulasso, à l’occasion de la 20e édition de la Semaine nationale de la culture, SNC Bobo 2023. En habits blancs aux collets et manches rouge-sang truffés de cœurs blancs, à terminaisons fibreuses et soutenues par des pantalons au même tissu, les balafonistes de la troupe Kantigui (Orodara), coiffés de bonnets à crête, se référant au coq, chef de la basse-cour, ont créé la sensation.
« Nous nous sommes habillés en chef avec la conviction de régner en maître sur cette édition », s’est exclamé Yacouba Coulibaly, encadreur de la troupe et point focal de la culture, des arts et du tourisme de la commune de Orodara. Ainsi, ces mordus du balafon ont emprunté des registres purs de la saga mandé et ont tenu en haleine le public à travers deux compositions savamment exécutées. Obtenant la note de 16,40/20, la troupe est classée première dans sa catégorie et décroche de fait, le Grand prix des arts et des lettres (GPNAL). Elle se succède et confirme sa suprématie. « Notre objectif était de garder notre rang de leader », s’est exclamé Diabaté Issouf, l’un des balafonistes.
Le sacre d’une démarche coutumière
La prestation n’a été que « le plat réchauffé » de celle de 2020 qui a été ajournée du fait de la COVID, de la situation sécuritaire et des remous socio-politiques du pays, explique Yacouba Coulibaly. Pour lui, ce sacre est la conséquence de la mise en orbite d’une démarche coutumière de la province du Kénédougou soutenue par cette envie de sa valorisation. « Nous avons presté sur deux compositions dont l’hommage à la jeune fille lors du mariage coutumier en pays sèmè et les initiés des bois sacrés.
A travers ces deux compositions, nous voulions contribuer à l’évolution culturelle du Kénédougou à travers sa culture propre et je suis fier pour ce couronnement par la 1re place », précise Diabaté Mamadou, l’un des balafonistes. Tous des « Kaan », la caste des griots, ils sont « nés» pour jouer le balafon suivant les us et coutumes de la communauté Sèmè. On compte parmi eux des ouvriers, des élèves du secondaire et des universitaires. «
Nos artistes nous viennent de diverses régions et si certains nous arrivent avec de la compétence et du talent, d’autres en revanche ont peu de connaissances en la matière. Nous insistons donc sur la formation pour la quête de l’excellence afin de faire valoir la culture de la communauté Sémè et par-delà, le rayonnement culturel du Burkina », a souligné Coulibaly. Kantigui, est en Bambara et signifie d’après lui, les détenteurs de la voix.
Cela peut paraître paradoxal pour une troupe instrumentaliste, mais en pays sèmè, a-t-il expliqué, le balafon est un instrument de musique parlant et les notes musicales sont des messages. « La musique dans cette contrée se fait autour du balafon, l’élément principal. Il reste un élément incontournable dans notre société lors des funérailles, les moments de réjouissances, les travaux champêtres », précise-t-il.
Une fierté provinciale
Le directeur provincial du ministère en charge de la culture de la province du Kénédougou, Georges Bado, apprécie cette « jeune troupe bien structurée » qui force l’admiration à travers ses « excellentes prestations » sur le plan national qu’international qui lui permettent de compter déjà à son actif de nombreux prix et distinctions. « Elle a le mérite d’être considérée comme ambassadrice culturelle par le ministère en charge de la culture », a-t-il relevé.
Kantigui porte ainsi les couleurs de la province et les populations s’en réjouissent. « Cette troupe fait notre fierté et je souhaite qu’elle nous rapporte des trophées internationaux qui participent à la valorisation de la culture sèmè, voire du Burkina », lance Aïcha Sanogo, une citoyenne du Verger du Burkina. Créée en 2013, la troupe occupera, à sa première participation à la SNC en 2016, la troisième. Invitée au Mali en 2017, elle honore le Burkina et reçoit le prix de la virtuosité au festival Triangle de balafon, devant des troupes venues de la Côte d’Ivoire, de la Guinée et du Sénégal.
Elle participera au Marché des arts et du spectacle d’Abidjan (MASA) en Côte d’Ivoire en 2018. Au cours de cette même année, Kantigui est sacrée première sous le nouveau format de la SNC et est distinguée ambassadrice de sa région lors de cette édition. Portée par l’Association Kièwali, créée en 2010, le succès de la troupe Kantigui reflète, selon le Georges Bado, le but de l’association qui est de valoriser le monde culturel immatériel et matériel de la province du Kénédougou et du pays des Hommes intègres.
En effet, dit-il, l’association relève du centre Yèrèdon qui comprend d’autres formations d’expression culturelle telles que la troupe de danse traditionnelle, pool jeune Kièwali, la troupe féminine de chœur populaire, Lamogoya et la compagnie chorégraphique Donko, lauréate à l’édition précédente de la SNC et classée deuxième à cette édition, décrochant néanmoins le prix spécial du Fonds de développement culturel et touristique (FDCT).
Manque d’infrastructures et de moyens logistiques
Cependant, l’arbre ne doit pas cacher la forêt. Le centre Yèrèdon, selon ses premiers responsables, souffre de nombreuses difficultés dont le manque d’infrastructures et de moyens logistiques appropriés. « Notre préoccupation majeure est la formation de pépites compétitives à l’international. A cet effet, il nous faut un centre et des équipements adéquats », plaide Yacouba Coulibaly. Bâti sur une parcelle d’habitation, une estrade soutenue par un mur de basse hauteur sert de place de répétitions.
Une maison composée de magasin et de salle d’étude et un manguier dressé au milieu de la cour servant de salle d’accueil, composent le centre. Un constat qui amène le directeur provincial à lancer un cri du cœur pour la construction d’une salle polyvalente dans la commune de Orodara afin de permettre aux différents artistes de mener, dans de meilleures conditions, leurs activités. En sus, le manque de ressources et l’absence de partenaires en dehors de la mairie sont aussi classés au rang des difficultés majeures.
« Entre deux éditions, nous essayons de faire vivre la troupe à travers les animations sociales et des prestations promotionnelles afin de garantir le renouvellement des instruments et celui vestimentaire », révèle Yacouba. Convenant que la culture est un élément indispensable pour l’effort de paix, il interpelle les décideurs sur le renforcement des efforts en faveur de la culture. D’ores et déjà, Yacouba Coulibaly rassure que Kantigui, qualifiée aux Semaines régionales de la culture 2023, est à 60% prête pour la prochaine SNC 2024. « Avec le soutien du FDCT, nous rentrons en atelier », dit-il. Aussi, le point focal propose que la SNC joue sur la carte des promoteurs internationaux, en vue d’offrir une vitrine aux artistes hors du pays.
Rémi ZOERINGRE