Les partis politiques au Niger, dans leur écrasante majorité, ajoutent à leur dénomination française des noms issus des langues locales comme le Haoussa, le djerma, le sonrhaï et quelquefois l’arabe. MNSD-Nassara, PNDS-Tarayya, MPR-Jamhuriya, RDR-Tchanji, MODEN-FA/Lumana… sont quelques exemples qui illustrent à souhait ce constat. Pour en savoir davantage sur cette spécificité nigérienne, nous avons échangé avec le socio-anthropologue, analyste des questions sociales et politiques, Sani Yahaya Djanjouna.
Sidwaya (S.) : Presque tous les partis politiques nigériens ont un nom local. Par exemple MNSD Nassara, RDR Tchanji, MODEN-Fa/Lumana, PNDS Tarayya… Quelle explication donnez-vous à cela?
Sani Yahaya Djanjouna (S.Y. D. ) : L’usage de ce genre de noms par la majorité des partis politiques nigériens s’explique par deux facteurs. Le premier est relatif au fait qu’il y a une forte proportion d’analphabètes au Niger. Le second se rapporte à une sorte de tropicalisation de la démocratie. Par exemple, quand on prend le Mouvement national pour la Société de Développement (MNSD-Nassara), le terme Nassara signifie « Victoire » ou « remporter la victoire » et renvoie à l’objectif recherché par le parti politique. Si la majorité des gens est analphabète et qu’ils ne comprennent pas le sens du MNSD, le fait de coller Nassara à ce sigle permet à cette majorité de capter facilement de quoi il est question. Ces noms sont généralement issus de la langue haoussa, majoritairement parlée au Niger. Pour le cas du MNSD, les Nigériens utilisent beaucoup plus Nassara pour le désigner que le sigle français. Il en est de même pour le Rassemblement pour le Renouveau démocratique (RDR-Tchanji). Tchanji renvoie au changement. L’aspiration des responsables de ce parti, c’est de changer les choses. Leur credo part du constat qu’il y a un statu quo et qu’il faut une alternance pour changer le quotidien des gens. Il y a un principe, une vision qui participe au choix de ces noms. Quand on prend le MODEN-FA/Lumana, on les a toujours reconnus comme des gens bouillants sur la scène politique nigérienne. A la limite, on pense qu’ils sont belliqueux. Ils ont décidé de prendre le nom Lumana qui veut dire la paix, la quiétude sociale. Dans une certaine mesure, pour rompre avec l’image que des gens se font d’eux, ils ont pris l’appellation Lumana. L’idéologie du PNDS-Tarayya est le socialisme qui renvoie à ce qui nous est commun. C’est-à-dire être ensemble pour un objectif bien défini. Cela se rapporte plus ou moins à une idée du communisme, pas comme celui prôné par les marxistes, mais une certaine forme de socialisme à la nigérienne qui invite au rassemblement pour réussir. Le Mouvement patriotique pour la République (MPR-Jahmhuriya) a, quant à lui, pris l’expression d’origine arabe Jamhuriya qui veut dire la République. C’est un parti qui appelle au rassemblement pour défendre la république. La plupart de ces noms sont issus de nos langues locales, notamment le haoussa. Avec la prolifération de partis politiques au Niger, certains recourent aussi à d’autres langues comme le djerma, le sonrhaï ou l’arabe. Le recours à l’arabe se justifie par le fait que l’islam a pris beaucoup de place dans nos cœurs et a colonisé certaines de nos langues.
S. : Est-ce une façon pour les leaders politiques nigériens de mettre en avant certaines valeurs sociales ?
Y. D. : On peut retenir que les leaders politiques, à travers ce choix de dénomination de leurs partis politiques, montrent quelque part une volonté de privilégier certaines de nos valeurs sociales. Faire en sorte que les Nigériens se retrouvent dans le combat qu’ils veulent mener. Ils se sentent plus à l’aise dans cet appel d’autant plus qu’ils comprennent l’idéologie défendue par le parti. Si toutefois ils sont incapables de prononcer le sigle français du parti politique, les analphabètes se complaisent à employer la dénomination locale. Au lieu de dire MNSD-NASSARA, PNDS-Tarayya, MODEN-FA/Lumana, ils prononcent simplement Nassara, Tarayya, Lumana, Jamhuriya, Doubara ou Tchanji. C’est une inspiration locale qui permet de mobiliser facilement parce que les gens se sentent interpelés. Quand on fait la sociologie des partis politiques, on voit bien que l’idéologie de chacun se réfère au nom local par lequel il se fait appeler. Derrière tout cela, il y a une volonté de valoriser nos cultures et de tropicaliser la démocratie afin de faire adhérer le maximum de personnes aux idéaux du parti.
S.: Que représentent ces noms tirés des langues locales pour l’électorat ?
Y. D. : Pour l’électorat, l’appellation locale des partis politiques fait référence à l’appartenance à une famille politique. L’électorat a le sentiment de partager un idéal commun. Les militants se sentent engagés à lutter ensemble pour atteindre un but commun. Cela est tellement bien ancré que ces noms sont utilisés à des fins ludiques. Par exemple, on entend dire qu’il faut Tarayya et Douboura pour construire Jamhuriya. Autrement dit, il faut une communauté d’esprit et de la ruse pour bâtir la république. Ce sont des mots qui sont très évocateurs pour l’électorat au point qu’il peut revendiquer ouvertement son appartenance à tel ou tel parti. Il n’est pas rare d’entendre les gens dire : je suis Tchanji, je suis Tarayya, je suis Lumana… Il y a une stratégie de mobilisation à travers ces noms pour aller à la conquête du pouvoir.
S : Y a-t-il une origine historique à ces dénominations ?
Y. D. : Oui, on peut estimer qu’il y a une origine historique à ces dénominations. Au moment des indépendances ou même avant, en 1958, lorsqu’il y a eu le référendum et que le Niger voulait accéder à sa souveraineté, il y avait à l’époque deux partis politiques. Le Parti progressiste nigérien/Rassemblement démocratique africain (PPN-RDA) avec pour symbole l’éléphant et l’UDFP- Sawaba qui signifiait la paix. A l’époque, au PPN-RDA, les gens se réclamaient du symbole de l’éléphant qui incarne la puissance. Il y a eu un combat entre les deux partis politiques qui s’est soldé par la victoire du PPN-RDA, symbolisé par l’éléphant. Je peux dire que les leaders politiques d’après se sont inspirés de cela pour tropicaliser les noms de leurs partis afin d’avoir un impact local. Lorsque le multipartisme est arrivé dans les années 90, les politiques n’ont pas hésité à recourir à de telles dénominations. Le PNDS-Tarayya, créé au cours de cette période, a ajouté Tarayya pour mieux affronter le parti Etat qui était le MNDS-Nassara. Il fallait rassembler non seulement les fonctionnaires et les ouvriers, mais aussi la classe paysanne autour du socialisme pour conquérir le pouvoir. Je peux dire que cette origine historique de ces dénominations locales s’explique.
S.: Est-ce que ces noms influencent-ils le choix des militants et des électeurs ?
Y. D. : Ces noms influencent véritablement le choix des militants et des électeurs. Mais, ils influencent plus les militants. Ces derniers se sentent, désormais, appartenir à une famille. Même le nom du président du parti les rassemble. Par exemple, les militants du parti, MPN-Kishin Kassa (Amour de la patrie), en identifiant le parti à son président qui s’appelle Ibrahim Yacouba, ont créé l’expression Yacoubiya. Une expression qui renvoie à une certaine forme d’idéologie dans laquelle ils se retrouvent. Au MPR Jamhuriya, on a l’expression Albadia qui est calquée sur le nom du président du parti Abouba Albadé. Pour ces militants, le leader politique symbolise l’idéologie du parti. Je préfère dire que cela mobilise plus les militants que les électeurs. Ce qui mobilise les électeurs dans le vote, c’est surtout le symbole du parti. Il y a des signes qui évoquent chaque parti. Ces signes les représentent partout. Certains partis peuvent avoir par exemple un fagot, un épi de mil ou une étoile. Ce sont ces signes que les électeurs retiennent le plus. N’oubliez pas que la grande majorité de la population est analphabète. Ce qui fait que les gens vont privilégier cette idée de signe dans leurs choix. Mais, le militantisme ou l’appartenance à un parti politique renvoie surtout au nom et aussi à la personnalité du leader, du combat qu’il mène et de la classe sociale qu’il a choisie.
S.: Y a-t-il un souci de valorisation des langues locales à travers le choix de ces noms?
Y. D. : Au-delà du combat politique qui est menée à travers toutes cette stratégie, l’idée de créer ces noms d’inspiration locale répond à une volonté de valoriser justement les langues locales. Du coup les militants se retrouvent dans ces appellations. Ainsi, ils se sentent très rapprochés de leur leader politique. Car, celui-ci emprunte leur langue pour véhiculer son message. Comme je l’ai dit, chaque nom évoque une certaine forme d’idéologie qui rassemble autour du leader. Les gens comprennent plus ces langues locales plutôt que les sigles d’expression française. Ces sigles n’évoquent pas grande chose pour eux, mais avec les noms locaux ils comprennent aisément le message véhiculé. Ce qui va les amener à adhérer véritablement au parti.
Propos recueillis par
Karim BADOLO et
Joanny Sow
(Depuis Niamey au Niger)