La loi de finances initiale exercice 2024 comporte de nouvelles mesures fiscales. Pour mieux cerner la teneur et les implications desdites mesures, Sidwaya a accordé une interview au directeur général des impôts, Daouda Kirakoya. Dans cet entretien, il revient également sur les objectifs assignés à la direction générale des impôts pour 2024, ainsi que sur les enjeux liés à la mobilisation des ressources domestiques propres face aux urgences du moment.
Sidwaya (S) : Le 15 décembre dernier, l’ALT a adopté la loi de finances initiale, exercice 2024. Quelles sont les innovations fiscales, ou nouveaux impôts/taxes qui sont prévus en 2024 ?
Daouda Kirakoya (D. K) : Le vote de la loi de finances donne l’opportunité chaque année au gouvernement et au parlement de procéder à des réformes ou ajustements du dispositif fiscal. Cette année 2024, des mesures fiscales nouvelles ont été prises. Mais en termes de nouveaux impôts ou taxes, on note seulement deux dont véritablement, une nouvelle taxe à savoir, la taxe spécifique sur le ciment en remplacement de la TVA sur le ciment. L’autre, c’est plutôt une extension de la contribution au fonds de soutien patriotique aux entreprises.
Pour 2024, c’est plutôt une batterie de mesures d’accompagnement pour soutenir la résilience nationale en matière de sécurité territoriale, alimentaire, foncière et de production. Ces mesures visent à faciliter l’acquisition d’équipements de défense, de production agricole et de mise en place des unités de production industrielle dans le cadre des programmes présidentiels d’entrepreneuriat agricole et d’entrepreneuriat communautaire.
En récapitulatif, les innovations dans le dispositif fiscal sont contextuelles et l’on pourrait parler d’amorce d’une fiscalité de relance, au nombre desquelles, on peut cité l’institution de la nouvelle taxe spécifique sur le ciment en lieu et place de la TVA sur la marge pour lutter contre la fraude dans le secteur et optimiser le recouvrement des recettes de l’Etat, l’élargissement du champ de la contribution spéciale sur la consommation de certains produits et services aux bénéfices après impôt des entreprises en vue de la participation de celles-ci au financement du fonds de soutien patriotique, le renforcement de la sécurité foncière notamment par le réaménagement des conditions de délivrance du titre foncier et l’autorisation des mutations des terrains nus hors délai de mise en valeur quel que soit l’usage, la réduction du taux de la Taxe sur les activités financières (TAF) de 17% à 15% applicable à tous les contribuables qui s’inscrit en droite ligne dans la volonté affichée du gouvernement de promouvoir l’accès des petites et moyennes entreprises et/ou industries au crédit, le relèvement du seuil requis pour le règlement des achats de biens, services et immobilisations de 100 000 à 1 000 000 F CFA et l’extension de l’obligation à tous les contribuables, l’institution d’exonérations fiscales au profit des promoteurs immobiliers, des entreprises communautaires à actionnariat populaire, aux commandes publiques des forces de défense et de sécurité et des coopératives agricoles.
S : Parmi ces nouvelles mesures fiscales, il y a la suppression de la TVA sur le ciment qui est remplacée par une taxe spécifique sur le ciment. Pouvez-vous nous en dire plus ?
D. K : Pour rappel, le ciment produit localement et celui importé était d’abord soumis à la TVA puis avant cette loi de finances par dérogation à la TVA sur la marge commerciale. La détermination du produit de cet impôt était complexe et sujette à une distorsion dans le libre jeu de la concurrence et cela est dû à la disparité des paramètres de marge et de pratique au niveau des cimenteries. Ainsi, conformément à l’orientation de simplification des textes fiscaux et de prévisibilité du rendement de certains impôts leaders, le législateur a mis fin au mécanisme de la TVA sur la marge et a institué une taxe spécifique consistant en l’acquittement d’un forfait de 2 000 FCFA par tonne de ciment produite ou importée.
C’est dire que le producteur ou l’importateur acquitte en une seule fois et pour tout le circuit de distribution, la taxe sur la quantité de ciment produit ou importé, que le ciment soit destiné à la vente à l’intérieur ou à l’extérieur, à sa propre consommation ou à des dons ou toute autre destination ou usage et le paiement doit se faire dès la sortie d’usine ou la livraison que le fabricant se fait à lui-même pour le ciment de fabrication locale, la mise à la consommation du ciment sur le territoire national au sens de la législation et de la règlementation douanière pour les produits importés. Et dans tous les cas, au plus tard, le 15 du mois suivant le mois au cours duquel, les opérations de production ou d’importation ont eu lieu.
S : Qu’est-ce qui a motivé l’introduction de toutes ces nouvelles mesures fiscales ?
D. K : La mobilisation optimale des ressources souveraines est l’un des grands défis du moment pour le gouvernement au regard du contexte politique et sécuritaire marqué par la baisse des appuis budgétaires dont le pays bénéficiait de la part de ses partenaires techniques et financiers extérieurs, et d’autre part, le besoin de ressources nécessaires pour faire face à l’insécurité. Ce qui a motivé toutes ces nouvelles mesures, c’est non seulement le souci de rendre le dispositif fiscal plus efficace, juste et efficiente, mais aussi et surtout l’orientation politique prise par les autorités d’axer notre développement sur des ressources souveraines.
Or, les ressources propres proviennent essentiellement des recettes fiscales collectées par la Direction générale des impôts (DGI) et la direction générale des douanes. Il fallait donc trouver des voies et moyens pour optimiser ces ressources pour l’atteinte des objectifs de recouvrement assignés à ces directions, notamment en ce qui concerne la direction générale des impôts qui s’élève cette année à 1 565 milliards F CFA.
S : Que répondez-vous à ceux qui estiment qu’il y a de plus en plus d’impôts ou taxes qui pèsent sur le contribuable, alors que, comme tout le monde le sait, l’activité économique n’est pas la plus reluisante ?
D. K : Nous comprenons les inquiétudes de ces personnes qui estiment qu’il y a de plus en plus d’impôts ou taxes qui pèsent sur le contribuable. Toutefois, nous pensons que les mesures prises par le gouvernement ces derniers temps sont notamment commandées par la situation sécuritaire et poursuivent l’objectif principal du financement de l’effort de paix. Aussi, en termes de pression fiscale, notre pays n’a pas encore atteint le taux communautaire de 20% du PIB prévu par l’UEMOA. Des efforts doivent encore être faits pour mobiliser davantage de recettes. Pour cela, l’administration travaille à élargir l’assiette, de sorte à amener toute personne devant payer un impôt à le faire et cela, en toute facilité.
S : En termes de recettes, combien ces innovations fiscales apporteront-elles au budget de l’Etat, exercice 2024 ?
D. K : L’ensemble des nouvelles mesures fiscales concourent à l’optimisation de la mobilisation des recettes et à l’atteinte des objectifs de recouvrement assignés à la DGI.
S : D’une manière globale, quels sont les objectifs assignés à la DGI en termes de mobilisation des recettes fiscales au profit du budget de l’Etat, exercice 2024 ?
D. K : Les objectifs assignés à la DGI au titre de l’année 2024, est de 1 565 milliards F CFA. Cela représente environ 51% des recettes de l’Etat qui s’élèvent à 3 019 milliards de FCFA. A côté de cela, il faut ajouter les objectifs de recouvrement au profit des budgets des collectivités territoriales, du fonds de soutien patriotique et autres budgets de plus de 120 milliards F CFA.
S : Comment la DGI compte- t-elle s’y prendre pour relever ce défi, au regard du contexte national difficile ?
D. K : Pour relever ce défi, la DGI, dans le cadre de son plan stratégique 2023-2027 et des orientations des autorités, entend mettre en œuvre un certain nombre de diligences à savoir ; appliquer et contrôler l’application effective des mesures nouvelles 2024, poursuivre l’élan de modernisation et de digitalisation de l’ensemble des processus métier avec une accélération de la digitalisation des procédures de gestion foncière, domaniale et cadastrale pour faciliter la tâche aux usagers et assurer une sécurité foncière, mettre en œuvre l’ensemble des prérogatives dévolues en matière d’action en recouvrement avec un accent particulier, notamment sur les inscriptions hypothécaires, le droit de préemption, la mise en jeu de la responsabilité fiscale des dirigeants, poursuivre l’élan de construction d’une administration de services pour mettre l’usager/client au cœur de l’ action de la DGI au quotidien pour la célérité du service rendu et de qualité et une meilleure adhésion à l’impôt, ajuster son dispositif organisationnel aux besoins du moment avec un plan de continuité des activités des services délocalisés, renforcer le management des ressources humaines pour assurer un niveau de mobilisation optimale de ces ressources, instituer conformément aux orientations de son SEM le Premier ministre, le mois de l’ exemplarité afin de promouvoir le civisme fiscal par l’exemplarité, renforcer l’éthique et la déontologie avec un accent particulier sur le rehaussement du professionnalisme et sur la lutte contre les pratiques déviantes, le laxisme, le favoritisme, la corruption, refondre le système d’information de la DGI pour une meilleure interopérabilité des logiciels métiers afin de réduire drastiquement les niches fiscales, renforcer la lutte contre le faux, l’usage du faux, l’évitement de l’impôt, la fraude et l’évasion fiscales à travers la mise en place de la facture électronique certifiée et la riposte et l’offensive par le contrôle ciblé et les poursuites pénales.
Ces diligences devront permettre de promouvoir le civisme fiscal, la justice et l’équité fiscales, une mobilisation efficience et efficace des ressources souveraines et un accroissement de la sécurité foncière.
S : Quel bilan faites-vous de la mobilisation des recettes fiscales au profit du budget de l’Etat par la DGI au cours de 2023 ?
D. K : En dépit du contexte difficile, au titre de l’exercice 2023, la DGI a pu mobiliser au profit du budget de l’Etat, plus de 1 261 milliards F CFA sur une prévision de 1 290 milliards F CFA, soit un taux de réalisation de 97,80%. Comparativement à l’exercice 2022, il ressort un surplus de recettes de l’ordre de 47 milliards FCFA.
En plus du budget de l’Etat, la DGI a mobilisé plus de 43 milliards au profit des collectivités territoriales, communes et régions sur une prévision de 42,69 milliards soit 100, 76%. En outre, pour le Fonds de soutien patriotique et les autres budgets, ce sont plus de 60 milliards qui ont été mobilisés.
Au total, c’est plus de 1 368 milliards qui ont été mobilisés par la DGI en 2023. Le bilan peut être jugé satisfaisant bien que les besoins énormes de reconquête du territoire, de réponse à la crise humanitaire et à la relance économique et sociale n’aient pas été comblés.
Cette performance fort appréciable est à mettre à l’actif du patriotisme et du civisme des contribuables, nos usagers/clients mais aussi de l’engagement et dévouement des travailleurs des impôts et de la synergie d’actions des administrations sœurs et autres partenaires de la DGI dont la presse. Je saisis l’opportunité pour relever et saluer la claire vision, les orientations et l’accompagnement des autorités qui ont facilité l’action de la DGI.
S : Ces dernières années l’administration fiscale s’est engagée dans une dynamique continue de digitalisation des procédures et services fiscaux. Quel bilan pouvez-vous en faire et quelles sont les perspectives pour 2024 ?
D. K : Globalement, le bilan est satisfaisant et cette digitalisation a contribué à l’atteinte d’un niveau de mobilisation des recettes satisfaisant pour le moment. A la date d’aujourd’hui, un certain nombre d’applications métiers ont été développées. La situation se présente comme suit : au niveau de la digitalisation des procédures foncières et cadastrales des applications telles que eCadastre et eTitres ont été développées.
Une troisième plateforme dénommée Syc@d qui va fédérer l’ensemble des applications est en cours de maintenance corrective et évolutive pour prendre en charge l’ensemble des processus, au niveau de la digitalisation des autres procédures, plusieurs applications métiers fonctionnent et deux nouvelles applications ont été mises en production au cours de l’année 2023. Il s’agit de eCME et eTimbre.
En perspective, la DGI ambitionne d’opérationnaliser la facturation électronique et digitaliser les contrôles fiscaux. Toutefois, la mise en œuvre de cette digitalisation est très souvent confrontée à des problèmes de connexion dont le fort engagement des autorités permettra sans nul doute d’apporter une réponse adéquate.
S : Avez-vous un appel à lancer à l’endroit des contribuables ?
D. K : J’appelle chaque usager/client, les personnalités politiques, administratives, religieuses, coutumières et d’une manière générale, chaque citoyen à être un exemple en matière de civisme fiscal afin d’assurer les ressources souveraines nécessaires pour notre souveraineté, notre développement économique et social. Aussi, je les invite de saisir l’opportunité des mesures d’allègements fiscaux pour que les objectifs escomptés soient atteints. Si chacun est un vecteur du civisme fiscal, de par la sincère contribution de chacun et chacune, selon ses facultés contributives, la justice fiscale contribuera à n’en point douter à la réalisation de la justice sociale.
S : Quels sont les vœux de la DGI pour 2024 ?
D. K : C’est la sécurité et la paix retrouvées, mais aussi la santé économique et financière, un regain significatif de l’activité économique, un accroissement des revenus des ménages et des entreprises sur lesquels sont assis le prélèvement fiscal. C’est également la santé physique, l’équilibre mental, la sérénité et l’engagement des équipes. C’est aussi le succès dans nos différents projets et challenges. C’est enfin, un engagement de tous en faveur de la digitalisation pour plus de ressources souveraines et une sécurité foncière. Bonne, fructueuse et prospère année fiscale 2024 à tous.
Interview réalisée par Mahamadi SEBOGO