Offrande Lyrique : l’Etat doit-il être laïc ?

Héritée du pouvoir colonial, la laïcité est inscrite dans les textes fondateurs de notre Etat mais face à la prolifération des mouvements religieux dans l’espace public depuis les années 1980 il est nécessaire de poursuivre les efforts pour définir le sens et les contours d’une laïcité « à la burkinabè ».

«La liberté de croyance, de non croyance, de conscience, d’opinion religieuse, philosophique, d’exercice de culte, la liberté de réunion, la pratique libre de la coutume […] sont garanties par la présente Constitution ». C’est par cet article que la laïcité a été intégrée au corpus constitutionnel burkinabè. Si la laïcité est un terme latin qui trouve sa traduction en espagnol, en italien et en turc, ce terme n’a pas de traduction évidente en anglais. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles on oppose fréquemment le modèle français à celui anglo-saxon. Consubstantielle à l’histoire française de la sécularisation, ce principe juridico-politique recouvre plusieurs exigences dont la séparation des sphères temporelle et spirituelle, la neutralité religieuse de l’Etat et la non-discrimination des confessions présentes dans une société ainsi que la liberté de conscience et de religion. Si la question de la laïcité ne se pose pas en théocratie ou dans tout espace dans lequel la religion domine l’Etat, elle a toute sa place au sein de sociétés multiconfessionnelles telles que la nôtre. L’enjeu vise à s’interroger sur la manière dont l’Etat peut s’approprier ce principe importé et désormais indissociable de l’idéal démocratique. Héritée du pouvoir colonial, la laïcité est inscrite dans les textes fondateurs de notre Etat mais face à la prolifération des mouvements religieux dans l’espace public depuis les années 1980 il est nécessaire de poursuivre les efforts pour définir le sens et les contours d’une laïcité « à la burkinabé ».

LA LAÏCITÉ BIEN QU’EXPORTÉE EST CONSUBSTANTIELLE À L’HISTOIRE FRANÇAISE DE SÉCULARISATION

Pensée par les philosophes des Lumières pour séparer le spirituel du temporel, la laïcité a fini par se traduire par une culture particulière. Ferdinand Buisson l’entend comme « la forme française d’un processus à valeur universelle qu’est le processus de sécularisation ». Si la laïcisation en France est bien antérieure à la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905, les mots de Jean Jaurès devant la représentation nationale Française : « La France n’est pas schismatique. Elle est révolutionnaire » sont révélateurs d’une vision séparatiste qui fait encore aujourd’hui exception puisque les entendements sont différents que l’on se place dans l’espace anglo-saxon ou dans l’espace latin.

Alors qu’en Europe le catholicisme et le cléricalisme ont durablement encadré les vies publiques et privées en les moralisant, la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen est majeure en ce qu’elle relègue la religion au rang d’opinion. L’engagement précurseur de Voltaire dans l’affaire Calas illustre l’idée selon laquelle la laïcité est née de combats menés pour défendre les minorités persécutées. Encore aujourd’hui, la laïcité est un combat continu qui est moins un acquis que le résultat d’un processus politique. Quand bien même l’engagement des philosophes ait participé à l’individualisation et à l’émancipation de l’Etat des normes morales et religieuses, ce processus pleinement français s’est poursuivi, parallèlement à la construction démocratique, non sans résistance.

INDISSOCIABLE DE L’IDÉAL DÉMOCRATIQUE LA LAÏCITÉ A ÉTÉ ADOPTÉE PAR LES CONSTITUANTS AU MOMENT DE L’INDÉPENDANCE

Héritiers des pouvoirs coloniaux, la plupart des pays africains sous colonisation française ont adopté des constitutions où l’Etat est séparé des religions. Au Burkina Faso, sans donner lieu à un corpus développé, ce principe qui figure actuellement à l’article 7 de la Constitution du 11 juin 1991 a été brièvement intégré dans les différentes constitutions adoptées depuis 1960.

Son inscription au sommet de la hiérarchie des normes s’est accompagnée d’une timide laïcisation de la sphère publique puisque le christianisme et l’islam sont restés très présents. Dans la période postindépendances, l’Eglise catholique a poursuivi de remplir des tâches quasi-étatiques dans le domaine de l’éducation et de la santé et d’exercer un réel pouvoir d’influence sur la vie publique. Cela est aussi vrai pour l’islam puisque des pays à majorité musulmane ont établi des codes civils tenant compte du droit islamique. A ce titre, Léopold Sédar Senghor, président catholique, s’est appuyé sur le soutien de confréries musulmanes.

DEPUIS LES ANNÉES 1980 LA PROLIFÉRATION DES MOUVEMENTS RELIGIEUX ET LEUR INFLUENCE GRANDISSANTE DANS L’ESPACE PUBLIC AFRICAIN EST PRÉOCCUPANTE

Depuis les années 1980-1990, le continent dans son ensemble a été le théâtre d’une prolifération dans ses espaces publics de mouvements religieux divers (protestantes, prophétiques, pentecôtistes, wahhabites, salafistes…). Alors que certains Etats peinent à affirmer leur autorité et leurs institutions et la nature ayant horreur du vide, ces mouvements religieux parviennent à animer la vie publique voire à prendre leurs aises dans la vie politique en s’appropriant parfois les politiques publiques que la puissance étatique n’est pas en mesure de mener.

Cette réalité en cache une autre toute aussi préoccupante : la volonté de ces groupes d’œuvrer à la moralisation de la vie sociale et des conduites individuelles. Dans tous les pays autres que la France la laïcité est un « produit d’importation ». Sans définition juridique qui soit propre à l’Etat burkinabè, les confessions religieuses dominantes continueront de produire des interprétations de la laïcité subjectives et parfois incompatibles.

L’ETAT DOIT POURSUIVRE SES EFFORTS POUR DÉFINIR LE SENS ET LES CONTOURS D’UNE LAÏCITÉ « À LA BURKINABÈ »

Si la laïcité est universalisable, ses pratiques ne le sont pas. Issue de l’histoire singulière française qui n’a pas été confrontée à la diversité des mouvements protestants ou à l’Eglise anglicane, ce particularisme ne peut s’exporter et s’appliquer tel quel. Comme l’explique Philippe Raynaud : « dans certaines conditions, des pratiques qui viennent d’une certaine version de la laïcité française peuvent être utiles pour consolider la démocratie ». Toutefois, ces pratiques ne sont pas indispensables dans tous les espaces et pas dans toutes les situations. A titre d’exemple, l’école laïque française rendue possible par les lois Ferry n’est pas le modèle qui a été retenu aux Etats-Unis ou en Italie. Il est d’ailleurs heureux que la Cour européenne des droits de l’Homme ait jusqu’à présent eu une interprétation différenciée de la laïcité en reconnaissant par exemple à l’Etat italien le droit de maintenir les crucifix dans les salles de classe.

S’il semble admis qu’un Etat n’est pas démocratique s’il n’est pas laïc, chaque démocratie doit être libre de s’approprier ce principe et de l’adapter à ses réalités. En Angleterre ou au Canada, un fonctionnaire de police peut porter un signe religieux de la couleur de l’uniforme. Si ces dispositions ne seraient pas envisageables en France, dans ces pays elles sont moins un « accommodement raisonnable » que la preuve d’interprétations de la laïcité qui leur sont propres.

Dans le cas burkinabè, le dialogue entamé en 2012 lors du Forum national sur la laïcité est sain et doit être encouragé car il a permis le débat et a révélé les conceptions diverses de la laïcité qui traversent le pays. Le consensus auquel sont parvenus l’Etat, la société civile et les représentations des différentes confessions doit être soutenu. En faisant le choix à la fois d’une indépendance entre l’Etat et la religion, d’un Etat neutre et d’une bienveillance à l’égard des religions, la base d’une laïcité « à la burkinabè » a été posée. Rappelons-nous que la laïcité n’a jamais fait partie de la culture précoloniale puisqu’à cette époque le politique et le religieux cohabitaient. A l’instar de la tradition sénégalaise qui prône la « collaboration entre l’Etat et les confessions religieuses » (de Benoist, Dione), la laïcité burkinabè pourrait être celle qui, respectueuse des libertés et des croyances individuelles, associe les religions au fonctionnement de la puissance publique sans pour autant qu’elles s’y substituent, ni qu’elles la phagocytent.

Mamadou Banakourou TRAORE

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