Patrimoine culinaire africain: faire des mets locaux un outil d’identité, de souveraineté culturelle

A l’issue du premier rassemblement des chefs cuisiniers africains et la réunion politique sur les alimentaires africains, tenu du 23 au 25 juillet 2025, à Addis-Abeba, en Ethiopie, sur le thème : « Ma nourriture est africaine : Les chefs et les acteurs du changement façonnent l’avenir de l’alimentation. Unir les voix pour un système alimentaire africain juste et durable », et sous l’égide de l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique, Sidwaya a tendu son micro à différentes parties prenantes. Elles appellent toutes à un sursaut collectif pour protéger et promouvoir les systèmes alimentaires traditionnels africains au plan continental et international. 

M.Françoise Uwumukiza, membre du Parlement de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Est : « nous devons soutenir ce courant de pensée qui est de manger africain »

« Pour nous parlementaires, cette rencontre a été un succès. Nous avons été rassemblés pour trouver des solutions aux problèmes de l’Afrique sur le plan alimentaire. Le premier défi est que nous avons une population galopante qu’il faut nourrir. Pour y arriver, il faut promouvoir les systèmes alimentaires africains. En plus de la collaboration, nous avons, avec l’AFSA, continuer avec nos propres initiatives.

Au cours de cette conférence, les hommes et les femmes se sont donnés corps et âme pour soutenir ce mouvement en faveur de nos mets locaux. Ils ont démontré comment nous pouvons manger sain et promouvoir nos systèmes alimentaires. En tant que parlementaire, nous allons poursuivre le plaidoyer, légiférer, d’apporter des motions dans nos assemblées respectives, faire la sensibilisation sur ce qui se passe avec notre nourriture et ce dont nous avons besoin. Il est clair que les droits fonciers que nous avons ne favorisent pas vraiment la production de la nourriture locale. 

Il faudrait diminuer nos importations d’aliments, car cela ne nous aide pas beaucoup. Nous devrions essayer d’utiliser tout ce que nous avons comme moyens, avec nos fermiers qui sont là, qui ont la bonne volonté, mais qui ont besoin d’un coup de main. Et aider les fermiers, ce n’est pas seulement leur donner la daba pour aller cultiver, mais c’est aussi leur apporter l’information adaptée, les instruments technologiques avancés. Ainsi, ils vont diminuer l’utilisation des produits chimiques et commencer à utiliser des systèmes biologiques, comme le compost par exemple. Ce qui va permettre de diminuer les risques de maladies. En tant que parlementaire, nous devons soutenir ce courant de pensée qui est de manger africain, car notre nourriture doit toujours être africaine ».

M.Hissein Mahamoud, chef franco-tchadien, « Le Pâtissier du désert » : « il faut une conscience collective pour faire bouger les choses »

«Il faut amener les Africains à consommer africain, mais aussi œuvrer à ce que les mets africains puissent accéder au marché mondial. Et cela est un autre combat. En tant que chef, en tant que presque seul pâtissier d’origine africaine vivant en France, qui utilise 90% des produits du terroir africain, subsaharien, notamment tchadien dans sa pâtisserie, il faut plus d’actions, de communication. Il faut aussi aller plus en profondeur, montrer ces produits africains qui sont bien, pas seulement pour manger, mais qui ont un impact sur le corps et sur l’esprit. C’est ainsi que nous arriverons à nous vendre, à mettre ces produits en valeur.

Par exemple, il y a un an, j’ai créé la confiture de cola. Le cola qui est très amer et qui a aussi beaucoup de vertu, est symbolique, sacré. C’était une première dans toute la France, mais je ne vais pas m’arrêter là. Car, pour que les choses marchent, il faut aller au-delà. Il faut une conscience collective pour faire bouger les lignes. Et, c’est ce que nous sommes en train de faire ici ».

M.Youssouph Diemé, président de la Fédération des cuisiniers du Sénégal : « ce genre de rencontre permet de montrer toute la diversité alimentaire en Afrique »

«Pour aller sur le marché international, pour nous imposer et imposer nos plats, nous devons le faire de manière collective. Il faudrait que l’Afrique y aille avec au moins deux ou trois éléments identitaires où tout le monde va se retrouver. Mais avant, pour que les systèmes alimentaires soient mieux valorisés, consommés par nos populations, il y a un problème fondamental qui est lié à la réglementation et à la normalisation dans nos pays. Il faut que nos décideurs acceptent d’intégrer tous les acteurs du système, c’est-à-dire les chefs, les agriculteurs, tous ceux qui sont sur la chaîne de valeur, pour qu’ils puissent savoir quels sont les défis, les problèmes, mais aussi les opportunités. Si tout cela est fait, le rassemblement sera un peu plus facile, et on gagnera ainsi la bataille intérieure avant de nous présenter à l’extérieur. Le rôle des chefs africains doit être un rôle d’ambassadeur, de défenseur du patrimoine africain, car, c’est notre identité, ce sont des saveurs qu’on ne retrouve pas ailleurs ».

Muyingo Charles Ssekiziyivu, chef ougandais : « Il est important d’investir dans les entrepreneurs locaux »

« Je suis chef depuis près de 25 ans. J’ai été formé au Royaume-Uni. Durant ces trois jours, j’ai rencontré plusieurs chefs de différents pays africains. Ce fut une occasion d’apprendre de nouveaux ingrédients, de nouvelles cuisines, nourritures africaines, mais aussi de réseauter avec d’autres chefs du continent. C’est une belle initiative qu’il faudrait renouveler chaque année. Il nous faut élaborer un document cadre qui servira de guide pour les chefs africains, afin que nous puissions développer quelque chose d’unique pour promouvoir la cuisine de notre continent. 

Pour développer les systèmes alimentaires africains, il est important d’investir dans les entrepreneurs locaux, dans les cuisines locales. Nous avons la chance que la cuisine africaine est bien nutritionnelle, par rapport à d’autres cuisines qui donnent des maladies comme le cancer. Dans mon pays, plusieurs personnes souffrent de maladies à cause de ce qu’elles mangent. C’est aussi important d’avoir ce genre de réunions annuellement ».

 

5-Wafik Bel Aid, chef exécutif de l’hôtel The Residence Tunis (Tunisie) : « la cuisine africaine n’a rien à envier aux autres cuisines du monde »

«Il faut d’abord connaître notre Afrique, avant de parler agriculture, international, etc. Notre continent est riche en ingrédients, recettes, culture, religions, en tribus…

Cette diversité nous a permis d’être l’une des meilleures cuisines au monde. Il faut préparer une cartographie culinaire importante pour savoir tout dans notre continent. Ensuite, il faut créer des événements, des échanges entre Africains, pour pouvoir parler de la diversité de nos produits. Car, il est évident que le Nord ignore le Sud, et le Sud ignore le Nord.

J’ai eu la chance d’être chef de cuisine de l’équipe nationale de football et de l’Espérance de Tunis pendant 17 ans. J’ai fait presque 180 voyages en Afrique. C’est pourquoi, je me sens un peu imprégné de ce projet, et que je n’ai pas hésité une seconde pour venir ici. Il nous faut revenir aux sources. Nous n’avons pas le luxe de manger comme les autres, mais ce genre de rencontre nous permet de travailler sur les types de cuisson, les épices, etc. Et le plus important est de créer une dynamique autour du continent à promouvoir, et non autour d’un pays.

La cuisine africaine n’a rien à envier aux autres cuisines du monde. Nous ne sommes plus dans le temps primitif où l’on a juste besoin de nourriture pour nous nourrir. Aujourd’hui, nous parlons de gastronomie où il y a des produits très nobles qui sont prisés partout en Europe et dans le monde. Ils sont utilisés pour des raisons de santé. En Afrique, notre santé dépend toujours de notre alimentation. Nous ne mettons pas en valeur notre nourriture. Il nous faut une cartographie, une identité, et surtout être présent dans tous les événements internationaux ».

 

6-Elisabeth Afangana, agro-éleveur (Cameroun) : « cette rencontre permet de faire un lien entre tous les acteurs de la souveraineté alimentaire africaine » 

« Pour nous, cette rencontre est importante pour faire un lien entre tous les acteurs de la souveraineté alimentaire africaine, de la promotion du consommons africain.  Sur le terrain, nous œuvrons, en tant que réseau d’organisations paysannes africaines, à la promotion des politiques à travers un plaidoyer en direction de nos pouvoirs publics pour que les politiques publiques s’améliorent et intègrent les besoins alimentaires des populations. Nous développons des sessions de formation pour l’entrepreneuriat jeune, pour assurer la relève agricole paysanne. 

Nous travaillons également à l’accroissement de la production, notamment dans le secteur de l’agroécologie, pour que nos organisations puissent contribuer à la transition agroécologique. Il y a aussi les aspects de marché sur lesquels nous travaillons pour développer des chaînes de valeur, afin d’intégrer la production, la transformation et la commercialisation des produits agroécologiques. Il importe d’accroître le financement spécifique, les investissements en direction de l’agroécologie, pour que les produits soient disponibles dans nos marchés et puissent être accessibles à tous les consommateurs africains ».

 

7-Hilda Kinabo, journaliste agricole et fondateur de Agri Smart Online Tv (Tanzanie) : « nous pouvons susciter un mouvement qui restaure la fierté de la cuisine africaine »

 

« J’ai beaucoup apprécié l’initiative de l’AFSA. Réunir des chefs de différentes régions d’Afrique, des journalistes, des décideurs politiques et des militants dans un même espace a créé une plateforme puissante pour célébrer, interroger et réimaginer l’avenir alimentaire de l’Afrique.

 

Il était inspirant de voir l’alimentation être élevée au-delà de la nutrition comme un outil d’identité, de durabilité et de souveraineté. L’un des principaux enseignements de ces trois jours a été l’urgence de nous réapproprier nos savoirs traditionnels et notre patrimoine alimentaire. J’ai été particulièrement touché par les témoignages de chefs qui défendent les ingrédients traditionnels dans les cuisines modernes et d’agriculteurs qui préservent les semences ancestrales envers et contre tout.

 

En tant que journalistes africains, nous avons un rôle essentiel à jouer dans ce parcours. En mettant en lumière nos traditions culinaires et en les reliant aux politiques, à la santé et à l’environnement, nous pouvons susciter un mouvement qui restaure la fierté de la cuisine africaine et lui donne la visibilité et la valeur qu’elle mérite sur la scène internationale ».

 

Propos recueillis par

Mahamadi SEBOGO

Windmad76@gmail.com 

(Depuis Addis-Abeba, Ethiopie)

 

 

 

VOIR PH systmes alimentaire………………MAC ZANGO

 

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