Pourtant le serpent n’est pas mort !

C’est ce lundi que s’ouvre dans la capitale tchadienne le sommet du groupe des cinq pays du Sahel (G5 Sahel). En route pour N’Djamena, le président de la Transition du Mali, Bah N’Daw, s’est entretenu, le 13 février 2021 à Ouagadougou, avec son homologue burkinabè, Roch Marc Christian Kaboré, sur les enjeux du sommet qui, sans doute, sera largement consacré à la situation sécuritaire dans l’espace G5 Sahel et surtout aux réponses à y apporter. Porté sur les fonts baptismaux en 2014 comme un cadre de coopération inter-Etats sahélien, le rôle du G5 Sahel, en matière de lutte contre le terrorisme et pour le développement en faveur des populations de la zone, questionne aujourd’hui plus d’un observateur. Si pour la lutte contre le terrorisme, il a réussi à mettre en place en 2017 une force conjointe transfrontalière (dont on attend encore qu’elle fasse ses preuves par la mutualisation des efforts militaires des pays membres), il est, cependant, moins visible sur les actions de développement. Rendant, pour l’instant, inopérante l’une des meilleures approches de la lutte antiterroriste : l’articulation sécurité-développement. Le G5 Sahel porte, dans ses ambitions, un portefeuille d’une centaine de projets de développement dont la réalisation coûtera la bagatelle de 10 milliards d’euros. Il est actuellement confronté à la sempiternelle et double question de la mobilisation des ressources internes et externes. Sur le volet des financements extérieurs, demandés aux mêmes partenaires bilatéraux et multilatéraux, les Etats membres vont devoir choisir : privilégier le plaidoyer pour les projets intégrés de développement conduits par l’organisation, ou s’arcbouter à leurs propres projets nationaux.

Quant à la mobilisation des ressources internes, elle relève plus du respect des engagements de chaque Etat membre. Sa faiblesse actuelle est révélatrice de ce qu’aux antipodes de la rhétorique, certains n’ont pas foi « à ce regroupement de plus ». Nonobstant l’absence annoncée du président français Emmanuel Macron, le sommet de N’Djamena devrait être un tremplin pour une évaluation, sans complaisance, de l’après-Pau. En effet, il y a un peu plus d’un an, les 13 et 14 janvier 2020, et dans un contexte « de sentiment anti-Français » grandissant dans certaines capitales du Sahel, la France et ses partenaires sahéliens convenaient d’une coalition pour le Sahel afin d’apporter « une réponse collective » et mener « des actions plus fortes et plus solidaires » au regard de l’urgence et de la gravité de la situation dans la zone. Du côté français, cet engagement s’est traduit, entre autres, par un renfort de l’opération Barkhane de 600 hommes. Mais les récentes déclarations du président français apparaissent comme un grain de sable sahélien dans la belle mécanique à l’œuvre contre le terrorisme. En effet, lors de ses vœux aux armées, le président Macron a affirmé avoir constaté « des résultats » et a annoncé un « redimensionnement » de la présence française au Sahel afin de faire plus de place aux forces endogènes.

Quel résultat lorsque les renseignements français préviennent de projets d’extensions des actions de groupes terroristes au Benin et en Côte d’ivoire ? Ce, malgré les actions combinées des 5 000 hommes de Barkhane, des 15 000 casques bleus de l’ONU au Mali, de la Force conjointe, de Sabre… et récemment de la force Takouba. En réalité, les différentes opérations n’ont surtout réussi qu’à cantonner les groupes terroristes qui, actuellement, lorgnent les façades maritimes du Golfe de Guinée pour avoir une maîtrise complète du circuit des différents trafics (drogues, cigarettes, armes, traites d’humains et de migrants des côtes Ouest africaines vers l’Europe via le désert sahélien). Le serpent terroriste est loin d’être mort et la moindre erreur d’appréciation des pays du G5 Sahel et de leurs partenaires peut annihiler de nombreuses années d’efforts. Redimensionner la présence française au Sahel n’est pas seulement une préoccupation des pays du G5 Sahel au regard de la nouvelle donne géopolitique régionale. Depuis l’élimination du Guide de la révolution libyenne, Mouammar Kadhafi et la chute du verrou libyen, si la Bande sahélo saharienne (BSS) n’est pas la frontière Sud de l’Europe avec l’Afrique subsaharienne, c’est tout comme. Pour l’Europe et la France en particulier, redimensionner, sous-traiter ou déléguer le combat contre le terrorisme aux pays du Sahel comportent un risque qui vient en écho à la mise en garde d’un général à sa hiérarchie au début de l’Opération Serval : « si la France ne combat pas le terrorisme au Sahel, elle aura à le combattre à Marseille ».

Par Mahamadi TIEGNA
mahamaditiegna@yahoo.fr

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