
Au Burkina, près d’un millier d’enfants naissent chaque année avec le pied bot, une malformation congénitale encore méconnue et souvent source de stigmatisation. Dans cette interview, Dr Faïçal Oubda, médecin, manager du programme Pied Bot Hope Walks Burkina, explique les causes possibles, les signes précoces, les options de traitement et les conséquences sociales de cette affection, tout en rappelant l’importance d’une prise en charge précoce.
Sidwaya (S) : Qu’est-ce que le pied bot et comment se manifeste-t-il chez l’enfant ?
Faïçal Oubda (F.O.) : Le pied bot est une malformation congénitale, c’est-à-dire présente à la naissance, dans laquelle le pied est tourné vers l’intérieur et vers le bas. On parle de pied bot Varus Equin Congénital en terme médical. Le pied bot est plus fréquent chez les garçons que chez les filles (65% contre 35%). Au Burkina, chaque année environ 1 000 enfants naissent avec le pied bot congénital, soit 1 cas pour 806 naissances vivantes, selon les données du GCI (Global Clubfoot Initiative). A l’échelle mondiale, près de 200 000 enfants naissent avec le pied bot chaque année.
S : Quelles sont les causes principales du pied bot ?
F.O. : Le pied bot n’a pas de cause connue formellement identifiée à ce jour. C’est vrai qu’on pense à un lien génétique, mais la recherche médicale n’a pas encore permis d’identifier un gène précis. On parle donc de pied bot idiopathique, c’est-à-dire sans cause formelle identifiée.
S : Est-il héréditaire ?
F.O : Il y a une participation de l’hérédité dans le pied bot, car, lorsqu’il y a eu pied bot chez les ascendants (grand parents ou parents), le risque d’avoir un enfant qui va naitre avec le pied bot augmente effectivement.
Nous retiendrons qu’il y a probablement une combinaison de facteurs génétiques non identifiés et de facteurs environnementaux qui favorisent la survenue du pied bot congénital, vu qu’il n’apparait pas avec la même fréquence, selon les zones géographiques. 90% des cas de pied bot sont visibles dans les pays en voie de développement comme le notre à cause du taux de natalité plus élevé qu’en occident.
S : Peut-on détecter le pied bot avant la naissance ?
F.O. : Oui. Il est possible de détecter le pied bot congénital avant la naissance, grâce à l’échographie surtout au troisième trimestre de la grossesse (du 6e au 9e mois de la grossesse). Mais, il faut un appareil d’échographie performant et un radiologue bien formé en la matière. Dans nos pays ou l’accès à l’échographie n’est possible que dans les grandes villes, la détection du pied bot se fait à 90% des cas pendant l’accouchement, dès la naissance de l’enfant au niveau de la maternité.
S : Comment reconnaître un pied bot à la naissance ou chez le nourrisson ?
F.O. : Le pied bot est reconnaissable par la déformation caractéristique du pied qui est tourné vers l’intérieur et le bas. En termes techniques, on a 4 composantes caractéristiques qui définissent le pied bot : le cavus ou l’arche du pied est accentuée comme un trou profond au milieu de la plante du pied. L’adductus ou l’avant pied est tourné vers l’intérieur. Le varus du talon ou le talon est tourné vers l’intérieur quand on l’observe de dos. L’équinisme ou les orteils et l’avant pied pointent vers le bas pendant que le talon est surélevé.
Dans 50% des cas, le pied bot est bilatéral (tous les 2 pieds sont atteints) et dans les autres 50%, il est unilatéral (un seul pied atteint).
S : Le pied bot se guérit-il et quels sont les traitements les plus efficaces ?
F.O. : On peut guérir du pied bot congénital lorsque le traitement est fait dès la naissance par la technique de Ponseti qui a 95% de succès lorsqu’elle est bien suivie. La technique de Ponseti est la meilleure en termes de qualité de soins et même de cout, et elle est mondialement reconnue et acceptée comme la meilleure méthode. La technique de Ponseti consiste en deux étapes principales : la correction et le maintien, avec un suivi de l’enfant de la naissance jusqu’à l’âge de 5 ans où il sera déclaré guéri du pied bot congénital.
L’étape de correction : manipulations du pied et plâtrage chaque semaine suivis d’une Ténotomie du tendon d’Achille. Cette phase dure en moyenne entre 4 à 8 semaines.
L’étape de maintien : port d’attelles d’abduction du pied (chaussures médicales spéciales).

Ces attelles sont des chaussures orthopédiques visant à maintenir la correction. L’agenda du port d’attelles : pendant les 3 premiers mois. 23 heures par jour sauf le temps du bain de bébé. Il est suivi par le port pendant la nuit et le temps du sommeil pendant la journée jusqu’à l’âge de 5 ans, pour éviter tout risque de récidive du pied bot. A cette sous-étape, le bébé peut apprendre à faire 4 pattes et à marcher la journée sans les chaussures.
S : A quel âge faut-il commencer la prise en charge pour de bons résultats ?
F.O. : Le traitement doit commencer le plus tôt possible après la naissance. Nous avons eu des bébés qui ont commencé le traitement le lendemain de leur naissance. Il faut auparavant s’assurer que le bébé n’a pas d’autres problèmes de santé et qu’il a un poids d’au moins 2,5 kg à la naissance. Quand l’enfant dépasse l’âge de deux ans avant de commencer le traitement, la durée du traitement augmente et son efficacité diminue au fur et à mesure que l’âge du début des soins augmente.
S : Quels sont les impacts du pied bot sur la vie quotidienne et la mobilité ?
F.O. : Il y a le grand problème de la stigmatisation et du rejet. Certaines familles sont exclues du cercle familial ou communautaire quand elles ont un bébé qui vient au monde avec le pied bot. L’enfant est souvent rejeté par l’entourage et les autres parents empêchent leurs enfants de jouer avec celui-ci en pensant à tort qu’il pourrait
leur transmettre le pied bot ou un malheur.
Ce qui n’est pas du tout le cas.
Ensuite, vous avez les problèmes médicaux, psychologiques et esthétiques qui peuvent aboutir au handicap. L’enfant marche sur le dos du pied, ne peut pas porter des chaussures normalement, il peut se blesser souvent et avoir des ulcères aux pieds, pouvant aboutir à une amputation du pied. Au niveau psychologique, l’enfant peut grandir avec une faible estime de soi à cause de la stigmatisation dont il fait l’objet, pouvant déboucher sur une fragilité psychologique, voire une personnalité dépressive et renfermée sur elle-même.
Enfin, vous avez les conséquences socio-économiques : l’enfant ne peut pas aller à l’école comme les autres, donc ses chances d’éducation sont réduites, et plus tard ses chances d’avoir un emploi décent également. Finalement, c’est une personne qui devra vivre constamment avec le soutien de sa famille si elle n’est pas soignée. Même pour se marier et fonder une famille deviendra très difficile a l’âge adulte.
S : Comment les enfants ou adultes atteints vivent-ils cette différence dans la société ?
F.O. : Bien qu’il y ait des exceptions, il faut dire que ceux et celles qui n’ont pas pu bénéficier des soins adéquats et qui sont dans le handicap lié au pied bot sont souvent marginalisés et le vivent mal, la plupart du temps.
Ils n’arrivent pas à obtenir un emploi décent à cause de l’exclusion qu’ils subissent. Vous verrez certains qui sont exploités par leurs proches qui les transforment en mendiants au niveau des ronds-points ou des feux tricolores, alors que les lois de notre pays interdisent formellement cela. Dans la majorité des cas, notre société a tendance à appeler les personnes différentes par leur handicap, on appellera cette personne « pied bot » au lieu de l’appeler par son prénom, par exemple. Ces personnes vivent mal cette marginalisation et ont souvent tendance à se cacher pour échapper à ce sentiment de honte mêlé de culpabilité et d’impuissance. C’est encore plus difficile lorsqu’il s’agit d’une femme qui grandit avec le pied bot congénital.
S : Quelles structures médicales accompagnent les patients et leurs familles ?
F.O. : Le partenaire principal du Programme Pied bot Burkina est l’ONG américaine Hope Walks. Au Burkina, nous avons 8 centres de prise en charge gratuite du pied bot congénital chez les enfants, dans 8 régions sur les 17 que compte le Burkina : l’Hôpital protestant Schiphra à Ouaga, le CHU Souro-Sanou de Bobo, le Centre hospitalier régional de Tenkodogo, le Centre hospitalier régional de Ziniaré, le Centre médico chirurgical Morija de Kaya, le Centre Espoir de Fada, le Centre médico chirurgical pédiatrique Persis de Ouahigouya, le CRH Yik N Kene de Koudougou. Depuis le 1er Décembre 2017 où le Programme Pied Bot Burkina Hope Walks est né, nous avons pu détecter et soigner gratuitement plus de 1 821 enfants nés avec le pied bot au Burkina.
Interview réalisée par Wamini Micheline OUEDRAOGO
(Collaboratrice)





