Production maraîchère à Ouahigouya : un exemple de vivre-ensemble entre déplacés, réfugiés et hôtes

La région du Nord compte environ 2 500 réfugiés dont la majorité vit dans la ville de Ouahigouya. La cité de Naaba Kaongo est, en outre, la deuxième ville, après celle de Djibo, à accueillir plus de populations déplacées internes avec 147 134 personnes à la date du 31 mars 2023, selon les données du Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation(CONASUR). Dans une parfaite harmonie, ces différentes communautés, avec les hôtes, ont développé des actions de vivre- ensemble et d’entraide. C’est le cas des producteurs de tomate hors-sol sous serre à Somiagan, un village situé à environ 3 km de Ouahigouya. Constat !

Maimouna Konfé, une déplacée interne, la trentaine révolue, vit avec ses quatre enfants à Somiagan, une bourgade située à environ 3 km de la ville de Ouahigouya, chef-lieu de la région du Nord. Venue de Yoro, un village de la commune de Sollé en 2020, elle n’avait pas d’autre choix que de se battre pour assurer la pitance quotidienne de ses enfants. « J’ai perdu mon mari lors d’une attaque terroriste en 2020. Depuis lors, je suis à la fois le père et la mère qui doit tout faire pour prendre soin de mes enfants », raconte- t-elle, les larmes aux yeux. Locataire d’une maison de fortune, chaque jour, dame Konfé rallie la ville de Ouahigouya à la recherche de petits boulots. « Je dois non seulement payer mon loyer de 5 000FCFA mais aussi, assurer la ration alimentaire quotidienne de mes enfants ainsi que leur scolarité. C’est pourquoi, je frappe à toutes les portes. J’exécute tout type de travail que l’on me propose. Cela peut être la lessive, le nettoyage ou la plonge dans les gargotes. A la fin de la journée, il m’arrive de gagner 3 000 FCFA, parfois plus. Mais, il y a des jours où je rentre bredouille », explique-t-elle, un brin triste. Malgré sa situation, Maïmouna s’est pourtant fixé des limites dans ses choix d’activités. « La dignité pour moi n’a pas de prix. Je préfère faire de petits boulots que de faire la manche ou de me prostituer pour nourrir mes enfants », déclare-t-elle. Aujourd’hui, cette souffrance est réduite de peu car, elle a eu désormais du travail à plein temps. Il s’agit de la culture maraichère qu’elle pratique dans le village de Somiagan. Kadidiata Weremy est une réfugiée venue du Mali. Mère de six enfants, elle a d’abord fui son village Yoro, côté Mali pour se réfugier à Sollé en 2018. Malheureusement pour elle, elle a été obligée encore de quitter cette localité pour la ville de Titao en 2019. Depuis 2021, elle vit à Ouahigouya avec sa famille.

Le président du comité de gestion, Yassia Sawadogo, mesure la quantité d’urée qu’il faut pour l’arrosage.

« Certes, nous recevons de temps à autre de l’aide du gouvernement et des ONG. Mais cela est toujours insuffisant, vu notre nombre. C’est pourquoi, j’ai opté pour la lessive dans les concessions. Avec cet argent, j’arrive à subvenir aux besoins de ma famille. Mon époux ne fait rien car il souffre de l’asthme et est donc à la maison. La charge de la famille m’incombe désormais », raconte-t-elle. Comme si le sort s’acharnait sur sa famille, la maison de fortune dans laquelle squattaient Kadidiata et sa famille au secteur 10 de Ouahigouya vient de s’écrouler le 31 juillet dernier, laissant la famille sans abri. « Le propriétaire, par solidarité et compassion à notre égard, nous avait offert ce gite. A présent, c’est à nous de le reconstruire », explique-t-elle, l’air inquiète, ne sachant pas à quel saint se vouer. Fort heureusement pour dame Weremy, depuis le mois de juin 2023, elle s’est aussi lancée dans la culture maraîchère. Comme elle, Sanata Sawadogo, la cinquantaine révolue, habitante du village de Somiagan, fait aussi de la production maraîchère. Elle produit de la tomate. Malgré son âge avancé, elle a choisi d’exercer cette activité pour soutenir sa famille. « Je suis certes, âgée mais travailler avec d’autres personnes, de surcroit d’autres communautés, me donne de la joie et je me sens revivre », confie-t-elle.

La tomate comme source de revenu

La tomate produite par des déplacés.

A l’instar de Maïmouna, Kadidiata et Sanata, 50 hôtes, 30 déplacés internes et 20 réfugiés se sont tournés vers le maraîchage pour trouver leur pitance. A Somiagan, ce sont 69 femmes et 31 hommes qui ont opté pour la production de la tomate sous serre en hors-sol, en plein temps. L’activité a débuté le 2 juin 2023 sur un espace de trois hectares. Grâce à l’appui financier du Haut-commissariat pour les réfugiés (HCR), cent personnes, de communautés différentes, réunies sur un même projet, ont un but commun : l’amélioration de leurs conditions de vie. « Les débuts ont été très difficiles .Nous avons d’abord été formés aux techniques de culture hors-sol. Ensuite, nous avons fait la pépinière et enfin, l’arrosage et l’entretien des plants. La culture hors-sol demande beaucoup d’attention. Mais à voir les résultats, nous sommes sûrs de récolter bientôt le fruit de nos efforts », confie Kadidiata Ouédraogo. Et Maimouna Konfé d’ajouter que ce résultat est le fruit d’un travail acharné de plus de deux mois.

« Nous sommes à la fin de notre souffrance », se réjouit-elle d’avance. En effet, selon l’agent technique d’agriculture, Souleymane Ouédraogo, il s’agit de la production maraichère hors- sol sous serre. Concernant les aspects techniques de cette culture particulière, il explique que les bénéficiaires ont d’abord fait la pépinière de tomate. Trois semaines après la poussée des plants, ils les ont repiqués dans des pots, contenant des fibres de coco qui servent de support pour les plants afin de les nourrir et permettre leur croissance. « Nous avons deux serres et chacun contient environ plus de 800 pots sur un espace de 250m² », détaille l’agent technique d’agriculture. Après le repiquage, il faut arroser. Chaque plant doit recevoir par jour 300ml d’eau durant la première semaine, selon ses explications. « Avec des gobelets de 300ml, les femmes arrosent les plants trois fois par jour. Et la quantité d’eau demandée augmente au fur et à mesure jusqu’à atteindre 1000ml à la 4e semaine par plant, par jour. Ainsi, avec des gobelets de 1000ml, les bénéficiaires arrosent les plants trois fois par jour. Avant l’arrosage, elles stockent l’eau dans des fûts de 100L. De l’urée bio dénommée A et B est mélangée dans le fût pour l’arrosage .Pour l’urée A, il faut 18 cuillérées et le B, 14 », poursuit Souleymane Ouédraogo sur les détails relatifs à la production des plants. Pour leur traitement phytosanitaire, ajoute-t-il, c’est de l’huile de neem mélangée à du bicarbonate qui est utilisée. Le travail se fait par groupe de trois personnes. « Nous avons constitué huit groupes et chaque groupe est divisé en trois. C’est fait de telle sorte que chacun puisse arroser une fois dans la semaine.

Donc le 1er groupe monte le matin, le 2e à midi et le 3e le soir », détaille le président du comité de gestion du groupe, Yassia Sawadogo. Après environ deux mois de dur labeur, la première récolte a eu lieu le 28 août dernier. « C’est environ 800 kg de tomate qui ont été cueillis et vendus. Nous avons eu 87 000FCFA. Cette somme a été utilisée pour acheter de la semence de maïs et de pastèque et de l’engrais pour agrandir le site. Nous venons de mettre en terre ces semences. Quand la production sera abondante, nous aurons de l’argent que l’on pourrait mettre à la disposition des bénéficiaires sous forme de crédit pour qu’ils puissent mener des activités génératrices de revenus », indique le président du comité de gestion. C’est le souhait de tous les bénéficiaires, avoir un fonds pour démarrer une activité en plus de la production maraichère.

Modèle de vivre-ensemble

Pour Kadidata Weremy, la production maraîchère va permettre à sa famille de sortir de la précarité.

Grâce au maraîchage, les PDI, les réfugiés et les hôtes travaillent ensemble dans une bonne ambiance. C’est un signe de vivre-ensemble réussi. « Nous n’avons pas de problème. Nous sommes tous de la même famille car nous sommes entre cousins et cousines », affirme Yassia Sawadogo. Et la réfugiée Kadidiata d’indiquer que le travail s’est fait sans difficulté majeure. « Nous avons été accueillis comme des membres de leur propre famille. Il n’y a jamais eu de mésentente liée à nos origines différentes. Pareil pour nous aussi », renchérit dame Weremy. Selon Sanata Sawadogo, de petites disputes surviennent certes, mais cela est une chose normale entre humains. « Cependant, nous travaillons dans une parfaite harmonie. Nous sommes tous de la même famille. Seulement, chacun de nous est né dans une localité différente », raconte-t-elle. Le vivre-ensemble de ce groupe se ressent même dans les équipes de travail. « Les groupes sont répartis de telle sorte que les déplacés et les réfugiés qui résident à Ouahigouya-ville puissent arroser le matin. A midi et le soir, ce sont les hôtes et certains déplacés vivant au village qui s’en chargent. Nous faisons tous le même travail, que ce soit les hommes ou les femmes », précise dame Sawadogo. Au début de l’activité, aux dires de Yassia Sawadogo, tous les bénéficiaires viennent tous les jours pour travailler. Actuellement, le travail consiste à arroser les plants, des groupes ont été ainsi créés pour faciliter la tâche. « Main dans la main, nous avons pu relever le défi de la bonne collaboration et du travail bien fait », affirme le président. Une activité rentable Et dame Kadidiata Weremy de poursuivre qu’avec cette activité, elle est convaincue de pouvoir très bientôt prendre soin de sa famille. « Nous allons avoir non seulement de la tomate pour faire la cuisine mais aussi de l’argent pour mener d’autres activités génératrices de revenus.

Sur un espace de 500m², la tomate est produite en hors-sol et sous serre.

Je vois en cela une forme de résilience à cette insécurité qui nous a amenés ici », argumente-t-elle. Pour ce qui est de l’écoulement de leurs produits, chaque bénéficiaire est invité à prospecter pour avoir la clientèle de son côté. Pour l’écoulement de leur produit, M. Sawadogo estime qu’ils ne souffriront pas à cause de sa qualité. « Les produits sont toujours prisés parce qu’ils ne contiennent pas de substances chimiques. Les légumes sont sains, donc pas de soucis à se faire. La première récolte, par exemple, a été achetée par un particulier. J’ai foi que lorsque la production sera en quantité, nous ne souffrirons pas de problème d’écoulement», souligne-t-il. Cette production comporte aussi des avantages car elle participe à la préservation de l’environnement. « Au lieu d’utiliser une quantité importante de bois pour redresser les plants, nous le faisons seulement avec des ficelles. Donc plus besoin d’aller couper du bois pour cela », témoigne M. Sawadogo. Pour l’agent technique d’agriculture, la culture hors-sol est très productive et procure une alimentation saine aux consommateurs. Il conseille de consommer des aliments bio pour éviter les maladies gastriques. Cette culture est une première du genre dans la région du Nord. Souleymane Ouédraogo confie que d’autres spéculations comme la pastèque et le maïs ont déjà été semées et d’autres tel le concombre vont être produites en vue d’augmenter la production sur le site et accroitre les revenus.

Fleur BIRBA

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