Scolarisation des enfants en situation de handicap

Dans la région du Centre-Sud, des familles ont ouvert leurs portes à des enfants en situation de handicap. Ceux-ci ont retrouvé une joie de vivre dans des familles d’accueil pour rejoindre l’école inclusive catholique du diocèse de Manga.

Des éclats de rire, des applaudissements nourris, un garçonnet tout sourire agrippé à la jambe d’une femme d’âge avancé… les membres de la famille Bouda au secteur n° 5 de Manga, capitale régionale du Centre-Sud, se détendent en cet après-midi du mardi 26 novembre 2019. A l’ombre du hangar de paille, à quelques pas de la porte d’entrée principale de la cour, Kader, 10 ans, admire le vainqueur d’un trio d’adolescents occupés à un jeu d’adresse. Privé de l’ouïe et de la parole, c’est à travers le langage des signes que Kader s’exprime : les deux mains repliées, il se touche le torse du bout des doigts puis dessine des cercles. Ce que son co-chambrier et camarade de classe, Adonise, 8 ans, traduit par « je suis content d’être ici ». Par « ici », Kader fait référence au foyer de grand-mère Lucile Tiendrebéogo. La sexagénaire et sa coépouse ont en charge la dizaine de personnes qui composent la famille Bouda depuis le décès de leur mari. Kader n’a pas de lien biologique avec cette famille. Mais depuis deux ans, à la faveur de ses études, il en est devenu un membre à part entière. Le jeune est originaire de Niaogho dans la province du Boulgou, à une quarantaine de kilomètres de Manga. Comme d’autres Enfants en situation de handicap (ESH), il a été identifié par le programme Réhabilitation à base communautaire (RBC) de l’Organisation catholique pour le développement et la solidarité (OCADES). Sans attache familiale à Manga, Kader et les autres bénéficiaires du programme, venus d’autres localités, sont placés dans des familles d’accueil pour être scolarisés à l’école catholique inclusive du diocèse de la ville.

Six volontaires, pour commencer

La première génération des familles d’accueil est entrée en scène, deux ans après que l’école catholique a basculé dans l’inclusion. En 2011, le diocèse de Manga décide, en effet, d’expérimenter l’éducation inclusive dans son établissement. Le modèle consiste à réunir dans la même classe des enfants dits  « normaux » et ceux vivant avec des handicaps. L’option est alors prise de composer avec des familles d’accueil. Au cours d’une réunion avec les parents d’élèves, les responsables du projet expliquent la vision de l’école et les enjeux liés à la scolarisation des ESH. Puis, ils sollicitent des volontaires pour accueillir les enfants retenus par le programme. Joachim Nacoulma, un mécanicien de motos, est l’un des chefs de ménage qui ont répondu, sans sourciller, au premier appel. A cette rencontre inaugurale, lui et six autres parents s’étaient portés volontaires dans le groupe de la vingtaine de participants. « Les autres étaient méfiants surtout qu’il n’y avait pas de rémunération », raconte le quinquagénaire. Aujourd’hui, M. Nacoulma a sous son tutorat trois élèves dont Sékou, un déficient auditif de la classe de CM1 originaire de Béré, à une dizaine de kilomètres de Manga. A ce jour, 28 familles offrent gite et couvert à des ESH venus fréquenter l’école catholique. Dans le choix des foyers d’accueil, la proximité géographique avec l’établissement scolaire est favorisée.

Une nouvelle famille

Le coordonnateur du projet d’inclusion, Hubert Traoré, explique que cela est lié au handicap des enfants qui, pour la plupart, sont déficients auditifs. « Si les concessions sont éloignées, en plus de la distance qui peut poser problème, il y a le risque que les enfants s’égarent et n’arrivent pas à se renseigner pour retrouver leur chemin », soutient-il.
Si les enfants placés se retrouvent dans un nouvel environnement, il ne leur manque pas pour autant la chaleur familiale qu’ils ont quittée. Sur le chemin de l’école, aux jeux ou ailleurs, Kader et ses frères sont inséparables. L’alchimie des rapports fraternels qu’ils entretiennent s’est opérée dès son arrivée dans la cour. Grand-mère Lucile se souvient de ce dimanche de novembre 2017 où il a intégré la famille : les larmes de sa mère qui s’inquiétait du sort de son fils, les responsables de l’école qui la rassuraient et Kader, lui, resté impassible. Mais depuis, le « dernier intégré de la famille » et les quatre autres petits enfants de mamy Lucile ne se lassent pas de tout faire ensemble. Unis comme les doigts de la main, ils font presque tout en commun jusqu’à la conversation en langage de signes, un savoir-faire appris à l’école catholique où les enseignants dispensent les cours à la fois en langage articulé et de signe. « Quand on a du mal à se faire comprendre par Kader, ce sont les autres qui nous servent d’interprètes », confie, tout sourire, grand-mère Lucile, satisfaite de la complicité et de l’harmonie entre ses petits-enfants. L’intégration de Kader dans la famille Bouda est si réussie que son retour au bercail pendant les vacances est précédé de larmes et beaucoup de cajoleries, indique la cheftaine de la cour. Nafissatou, originaire de Niaogho et déficiente auditive tout comme Kader, est, elle aussi, placée, depuis deux ans, dans une autre famille Bouda. Toujours souriante et pleine d’entrain, elle n’a jamais été considérée comme une étrangère dans son foyer d’accueil. Depuis qu’elle y a mis pied, les choses se sont faites tout naturellement. Selon les confidences de dame Bouda, Béatrice Guigma, la timidité a vite fait place à la familiarité, plus rapidement avec les enfants avec qui elle partage presque tout : le chemin de l’école, les plats, les jeux, les tâches domestiques et le lit. Marie, une autre ESH originaire de Ouargaye dans la province du Koulpélogo, a imprimé quant à elle, sa marque dans la famille de Albert Adama Nana.
« Quand vous rentrez dans la cour, vous ne pouvez pas faire la différence entre les enfants. Dans ma propre famille, certaines personnes étaient même convaincues que Marie est ma fille », fait savoir dame Nana.

Un sacerdoce pas si facile

Si les chefs de famille en parlent le sourire aux lèvres, la fonction d’accueil d’ESH connaît certaines difficultés. Les déficiences que portent les enfants posent, dès le début, des problèmes de communication au sein des familles qui doivent composer avec leur « caractère souvent imprévisible ». Mamie Lucile se souvient notamment des premiers jours difficiles de Kader dans la famille. Pour un oui ou un non, il se fâchait, roulait dans la poussière ou lapidait ses camarades, affirme-t-elle. Le cas du jeune Moïse de la classe de CE1 est aussi singulier. Vivant avec un handicap intellectuel, il bavait et ne parlait pas à ses débuts à l’école comme à la maison. Tout portait à croire qu’il souffrait de trouble du langage, confie la directrice de l’école catholique, Solange Nana. Mais à présent, Moïse séduit son entourage, et qui plus est, fait la conversation avec tout le monde. Le directeur du programme RBC Manga, Denis Zongo est convaincu que l’environnement social et le regard beaucoup plus avenant, humain et surtout sans stéréotypes de l’entourage est « une bonne cure » pour les ESH. De son avis, les préjugés sont les pires maux dont ils souffrent. M. Zongo situe par exemple la source de certains préjugés aux conceptions traditionnelles : malédiction, châtiment pour un péché, sorciers ou mauvais esprits revenus sous la forme humaine pour terroriser… Ce qui n’est pas sans conséquence sur les ESH qui, dès lors, se réfugient dans l’isolement ou adoptent des comportements
singuliers.

«Parce que je suis une mère… »

Le succès rencontré dans la mise en œuvre du projet d’inclusion à l’école catholique de Manga a changé les appréhensions vis-à-vis du handicap dans l’espace diocésain des provinces du Zoundwéogo, du Nahouri et une partie du Boulgou, atteste le responsable du programme RBC Manga. « Avant c’était nous qui poursuivions les parents pour identifier les enfants que nous voulons accompagner. Maintenant ce sont eux qui viennent vers nous », avance Denis Zongo, comme une preuve de cette évolution positive des mentalités. Les familles à proximité de l’établissement, plutôt réticentes au début du projet, sont, elles aussi, plus enclines à tendre la main pour peu que leur service soit sollicité. En guise d’accompagnement, l’OCADES octroie à chaque famille d’accueil la somme de 100 000 FCFA par an et quelquefois des vivres en fonction de la générosité des partenaires financiers. Mais pour les concernées, la meilleure rétribution est la satisfaction morale de contribuer à l’éducation d’un enfant. Grand-mère Lucile se dit mue par la conviction que tous les enfants méritent le même égard. Et de ce point de vue, après Kader, elle est prête à toujours accueillir les ESH. « Je le fais parce que je suis une mère. J’ai des enfants et des petits enfants qui peuvent avoir besoin aussi de soutien, un jour », insiste-t-elle à propos de son engagement personnel. L’église, pour sa part, est très reconnaissante aux familles qui l’accompagnent dans l’exécution du projet. Le responsable diocésain de l’enseignement catholique, abbé Joseph Ouédraogo voit ce sacerdoce comme la manifestation de l’amour du
prochain.

Mamady ZANGO
mzango18@gmail.com

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La famille, un cadre idéal pour l’enfant

Le cercle familial est un milieu idéal pour le développement des enfants. L’inspecteur d’éducation spécialisée à la direction provinciale de la Femme, de la Solidarité nationale, de la Famille et de l’Action humanitaire (DPFSNAH), Soudaïla Ilboudo, affirme que même s’il est question d’une famille d’accueil, vivre, manger, jouer et grandir à côté des parents sous le même toit créent un bien-être chez les tout-petits et des relations sociales et intimes « fortes et durables ». Pour les enfants en situation de handicap, cet environnement est d’autant nécessaire qu’il favorise, selon lui, leur plein épanouissement et par ricochet leur intégration dans la société.

M.Z.

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100% au CEP

La première promotion d’enfants en situation de handicap inscrits à l’école catholique était forte de cinq personnes. Deux d’entre eux qui ont pu accéder à la classe de CM2 ont passé avec brio les examens du Certificat d’études primaires de la session de 2011 avec à la clé une entrée en classe de sixième pour le plus jeune. Aujourd’hui, inscrits au collège, à Ouagadougou, dans un établissement inclusif, ils ont gardé le cap et séduisent toujours par leurs résultats, selon les confidences de la directrice de l’école, Solange Nana.

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Une demande croissante

Depuis le début du projet d’inclusion à l’école catholique, le nombre d’élèves en situation de handicap (ESH) va croissant d’une année académique à l’autre. De cinq ESH en 2011, l’établissement abrite, pour l’année scolaire 2019-2020 un effectif de 42 élèves répartis du CP1 au CM2. 15 nouveaux élèves sont attendus pour la classe préparatoire qui précède le CP1. Les enfants reçus sont en majorité victimes de déficience auditive et une minorité de handicap moteur et de poly-handicap. Le handicap visuel ne figure pas d’abord dans les effectifs de l’établissement en raison de l’absence de moyens appropriés et du manque de qualification des enseignants. Les porteurs du projet disent travailler à résoudre le problème et restent ouverts à des accompagnements à cet effet.

M.Z.

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