Une armée républicaine

Hier dimanche dès l’aube, les Forces armées nationales (FAN) du Burkina ont fait tonner le canon dans l’enceinte de certaines garnisons à Ouagadougou et, semble-t-il, dans certaines localités de notre pays. Appelées la Grande muette, les FAN, pour s’exprimer, utilisent souvent ce qui est en leur possession. C’est-à-dire les armes. Pas seulement quand elles ne sont pas contentes. Non, souvent pour participer à la liesse populaire lors des grands rendez-vous de la nation. Assurément, ce dimanche 23 janvier, certains éléments de nos Forces armées nationales voulaient transmettre un message à tout le peuple burkinabè. L’avons-nous compris ? Ce qui est certain, ce genre de sortie, la nième, est devenue une option, même si heureusement, elle n’est pas fréquente. Dans notre histoire militaire, il y a eu des moments similaires en 1999 quand, du camp Guillaume-Ouédraogo, est partie une salve de tirs pour dénoncer ce que les militaires appelaient détournements de primes. A l’époque, les soldats partis au Libéria dans l’opération blue jean, s’étant rendu compte que la hiérarchie n’avait pas été forcément correcte étaient sortis. Il y a bien eu d’autres sorties comme celle de 2011, une mutinerie généralisée qui gagna même l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (l’enfant gâté du régime Compaoré), puis celle de 2016 après les attaques terroristes. Sous le président Kaboré, c’est la deuxième sortie alors que le pays est confronté à une crise sécuritaire, à laquelle le gouvernement donne satisfaction. Et surtout, de laquelle les nouvelles au front commencent à ragaillardir la grande muette burkinabè et partant, le peuple tout entier. Alors, pourquoi ces bruits de bottes dans nos casernes ? Hier dans la matinée, comme s’il avançait sur des engins explosifs improvisés, le général Aimé Barthélémy Simporé avouait en toute sincérité qu’il ne savait pas grand-chose des raisons de cette sortie musclée de ses hommes. En traduction claire, cela veut dire simplement que depuis l’adoption de la loi de programmation militaire avec un budget de plus de sept cent milliards F CFA, jamais réalisé pour notre armée depuis sa création en 1961, des progrès notables ont été faits. Et que dans la patience et l’abnégation, les résultats probants seront bientôt visibles.

Le côté intrigant de cette sortie des militaires est moins l’action des soldats que la réaction de bien de compatriotes qui s’inscrit malheureusement dans un jeu de « rats de navire » bien adapté par des alliés du parti présidentiel. Prétextant que rien ne va, ils sautent du navire, laissant à bas-bord les membres de l’équipage et bien de passagers anonymes, dont le seul souhait est de pouvoir se retrouver pour ensemble affronter l’orage. Oui, des Burkinabè ont commencé à crier à la victoire. Ils sont sortis du bois, se sont engagés dans la lutte longue, périlleuse, difficile, mais assurément porteuse contre l’hydre terroriste. Les forces armées auront accompagné ces compatriotes par une leçon cinglante de démocratie, d’amour pour la patrie. En somme, nos FAN ont, dans la pure simplicité, expliqué à ces démocrates circonstanciels, qui abandonnent leurs concitoyens pendant les moments chauds, le sens de la métaphore que chacun de nous utilise sans souvent en mesurer l’origine, ni la portée. La formule, la Grande muette, est souvent associée au devoir de réserve, qui interdit aux militaires d’exprimer publiquement leurs opinions politiques. Il n’en est rien. L’expression remonte à l’instauration de la IIe République. Quand le décret du 5 mars 1848 rétablit le suffrage universel masculin, tous les Français retrouvent le droit de vote, sauf le clergé, les détenus et… les militaires ! Dans un contexte de tensions avec la Confédération germanique, l’état-major français estimait dangereux de laisser les soldats se disperser sur tout le territoire pour aller voter dans leur commune. Les militaires devinrent ainsi muets civiquement. Cette discrimination prit fin le 17 août 1945 par décision du général de Gaulle.

Par Mahamadi TIEGNA

mahamaditiegna@yahoo.fr

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