Abdoul Aziz Cissé, SP du Fonds de promotion de l’industrie cinématographique sénégalais « Il y a un regain de dynamisme du cinéma dans notre pays»

Selon le SP du FOPICA, il y a de plus en plus de films qui participent au rayonnement international du cinéma sénégalais.

Cinéaste, auteur d’une vingtaine de films depuis 2001, Abdoul Aziz Cissé est le Secrétaire permanent (SP) du Fonds de promotion de l’industrie cinématographique et audiovisuelle (FOPICA), une structure de financement du 7e art mise en place par l’Etat du Sénégal, pays invité d’honneur du 27e FESPACO. Dans, cet entretien accordé à Sidwaya, le mercredi 29 septembre 2021 à Dakar, il revient sur les mécanismes d’accompagnement du cinéma au pays de la Téranga.

Sidwaya (S) : Vous êtes le secrétaire permanent du Fonds de promotion de l’industrie cinématographique et audiovisuelle (FOPICA) du Sénégal. Pouvez-vous nous présenter cette institution ?

Abdoul Aziz Cissé (A.A.C.) : Le FOPICA est un fonds qui a été mis en place par le gouvernement sénégalais depuis 2002 à travers une loi. Nous avons mis environ dix ans pour le rendre fonctionnel. De 2014, date de l’opérationnalisation du fonds, à aujourd’hui, nous avons financé plus de 150 projets dans toutes les filières du cinéma : la formation, la production, la distribution, etc. Le FOPICA est un Fonds global chargé de financer toutes les filières du cinéma, avec un budget annuel d’un milliard F CFA. Depuis 2014, nous avons injecté directement 7 milliards FCFA dans le cinéma sénégalais.

S : Quelle place votre institution occupe-t-elle dans le dispositif national de soutien au cinéma et à l’audiovisuel sénégalais ?

A.A.C. : Ce fonds occupe une place centrale dans le dispositif national de soutien au cinéma et à l’audiovisuel sénégalais. Les professionnels du secteur l’ont toujours appelé de tous leurs vœux. Ils ont mis du temps à travailler avec l’Etat pour mettre en place ce mécanisme. Mais il faut noter que le FOPICA n’est pas le premier mécanisme sénégalais de financement du cinéma. Depuis 1960, il est le cinquième mécanisme, toujours la même logique d’apporter le soutien financier de l’Etat pour permettre un véritable développement du cinéma et de l’audiovisuel sénégalais.

S : Quelle est la particularité du FOPICA par rapport aux précédents mécanismes ?

A.A.C. : La différence réside essentiellement dans le montant des allocations financières. Les premiers fonds se limitaient à un budget maximum de 100 millions FCFA par an. Avec le FOPICA, on est à un milliard FCFA et nous sommes en train de travailler pour l’augmenter. Nous avons déjà la promesse de l’Etat sénégalais de le faire passer à 2 milliards F CFA par an.

S : Comment les acteurs du 7e art accèdent-ils aux financements ?

A.A.C. : Le FOPICA intervient dans toutes les filières du cinéma et par conséquent, touche tous les professionnels de la chaîne cinématographique. Chaque année, nous lançons des appels à projets que nous sélectionnons. Mais depuis quelques années, nous sommes en train de changer d’orientation. Car nous nous sommes rendu compte qu’avec les appels à projets, le plus souvent, certains font de bons montages financiers mais ont des problèmes dans la mise en œuvre de leurs projets ! Nous avons mixé nos modes d’interventions de sorte qu’à côté des appels à projets, ceux qui sont avancés dans leurs projets puissent à tout moment solliciter les ressources du fonds pour progresser.

S : Y a-t-il des quotas ou des plafonds de financements selon le type de projets ?

A.A.C. : Nous avons plafonné nos subventions à 25 millions F CFA pour les courts métrages (fiction et documentaire), 150 millions F CFA pour la production des longs métrages (fiction et documentaire), 75 millions F CFA pour les séries. Nous sommes à des plafonds de 20 millions F CFA pour les appuis à la postproduction, 5 millions F CFA pour les appuis au développement, 150 millions F CFA, pour l’accompagnement à l’exploitation notamment pour la création de nouvelles salles de cinéma, 75 millions F CFA pour la rénovation et la numérisation des anciennes salles de cinéma, le même montant pour l’appui à la distribution de films sénégalais, 20 millions F CFA pour le soutien aux actions de renforcement de capacités, 15 millions F CFA pour les actions de diffusion de la culture cinématographique et 10 millions F CFA pour l’accompagnement des apprenants.

S : Après sept ans de mise en œuvre, quel est l’impact du fonds sur le secteur du cinéma et de l’audiovisuel du point de vue de la quantité et de la qualité des productions ?

A.A.C. : Je ne parlerai pas d’embellie, mais il y a un regain de dynamisme certain que le Fonds a apporté au cinéma sénégalais ! Car, depuis que le Fonds existe, il y a de plus en plus de films qui participent au rayonnement du 7e art du Sénégal à travers le monde, qui font de très belles carrières en festival, qui remportent des prix. Le deuxième avantage réside dans les retombées financières. Actuellement, nous sommes en train de reconstruire le marché de l’exploitation et de la distribution du cinéma.

Ce qui veut dire que nous ne sommes pas encore parvenus à une grande rentabilisation des capitaux investis dans les films. Par contre, ce regain de dynamisme a contribué à un attrait sur le cinéma sénégalais, avec notamment l’arrivée de productions étrangères dans notre pays. Avant la mise en place du fonds, nous étions à entre 30 et 40 films tournés par an. Aujourd’hui, nous sommes à 150 autorisations de tournages qui sont délivrées chaque année. Et cela est un impact du FOPICA. L’autre aspect, est que quand on attire un projet étranger, c’est de l’argent cash qui est injecté dans l’économie nationale. En fonction de la taille des projets, on arrive souvent à injecter entre 1 et 2 milliards F CFA dans le pays. Si on applique cela à une centaine de projets dans l’année, ça devient important.

C’est une autre manière de montrer la rentabilité économique du cinéma dans nos pays de manière générale.

S : Les ressources publiques mises à la disposition du fonds permettent-elles de couvrir les attentes ou les besoins de financements des acteurs du secteur ?

A.A.C. : Le FOPICA fonctionne comme tous les fonds qui existent au monde. Aujourd’hui, il n’y a pas de fonds qui financent entièrement une production cinématographique. Les coûts des projets filmiques sont tels qu’il faut un montage financier, assorti d’un plan de financements, avec plusieurs fonds qui interviennent chacun à hauteur d’un certain pourcentage. Le FOPICA est dans cette dynamique.

Au-delà du fait que cette approche permet une certaine faisabilité du projet, elle place le projet dans une logique de coproduction. Et qui dit coproduction parle de compétitivité du projet et partant, de retombées économiques. Nous sommes dans cette approche économique. Car, avant, les fonds qui existent dans nos différents pays mettaient de l’argent dans les films pour des raisons purement culturelles. Mais, aujourd’hui on injecte des ressources financières dans ce secteur pour non seulement gérer cette dimension culturelle mais aussi pour engranger des retombées économiques. Nous devrons donc réellement travailler sur ces aspects !

S : Un milliard pour l’industrie cinématographique sénégalaise, est-ce suffisant ?

A.A.C. : Ce n’est rien du tout. Mais je préfère commencer avec un milliard que de commencer avec 100 milliards et me casser la figure, parce qu’il y a un modèle économique à bâtir et ce modèle se construit sur le long terme. Cela veut dire qu’il y a de l’expérience qui s’acquiert et à la longue on construit quelque chose de solide. C’est dans cette dynamique, que nous sommes. Nous sommes en train de travailler également à la diversification des sources de financement, pour que ce ne soit pas des mécanismes qui existent du fait de la contribution financière de l’Etat, mais qu’il y ait d’autres possibilités qui permettent de mieux équilibrer.

S : Vous avez parlé de l’intervention du fonds sur le plan de la formation. Concrètement comment cela se fait ?

A.A.C. : Nous nous sommes rendu compte, que nous sommes à une étape charnière du cinéma sénégalais où il y a une nouvelle génération qui est en train d’émerger ; celle-ci a besoin de formation, d’être construite. Pendant longtemps les acteurs du cinéma se sont formés dans le tas. Aujourd’hui, nous sommes en train d’articuler la formation à la relance de la nouvelle politique cinématographique sénégalaise.

Abdoul Aziz Cissé : « Aujourd’hui, il n’y a pas de fonds qui financent entièrement une production cinématographique »

Cette articulation tourne autour du fait, qu’il y a des aspects qui sont liés à la dimension académique où on parvient à introduire l’enseignement du cinéma dans le système académique classique avec des écoles supérieures. Dans ce cadre, on travaille beaucoup en collaboration avec le ministère de l’Enseignement supérieur et cela nous a permis, avec l’Institut supérieur d’enseignement professionnel, de mettre en place une filière qui, chaque deux ans, produit au moins une cinquantaine de professionnels prêts à rentrer dans le secteur. En plus de cela, il y a les instituts de formations classiques privés.

Il y a également l’autre aspect qui nous semble fondamental dans le cadre de l’équité territoriale. Comme la plupart de nos pays africains, tout se passe dans la capitale et rien dans les régions. Nous avons décidé de mettre des mécanismes de formation itinérants. Des projets sont financés pour faire le tour du Sénégal et former les acteurs culturels qui sont dans les régions et qui ont envie de se spécialiser dans les métiers du cinéma. Cela nous a permis de former dans les régions au moins 700 professionnels qui se sont spécialisés dans les métiers mais également dans le management.

Nous ne nous faisons pas d’illusion, nous savons que c’est un secteur qui est en chantier et quand c’est ainsi, il faut bâtir les choses à partir de la formation. Car c’est par là qu’on a les meilleurs gages de performances futures.

S : Quels sont les mécanismes que les Africains doivent adopter pour une véritable émergence du cinéma sur le continent, selon vous ?

A.A.C. : Le cinéma africain est en train d’évoluer. Je ne sais pas s’il faut dire malheureusement ou heureusement, mais très souvent les acteurs sont en avance sur le politique. On se rend compte de plus en plus qu’il y a une volonté politique affirmée dans nos différents pays, mais il me semble que cette volonté politique seulement ne suffit pas. Parfois, on a l’impression que nous sommes enfermés derrière nos frontières, chacun cherchant à réinventer la roue, alors que les ressources dont nous disposons ne sont pas toujours suffisantes.

Ce qui serait intéressant et c’est ce que nous sommes en train de tenter, c’est de négocier avec tous les autres pays amis pour signer des accords bilatéraux de coproduction et de coopération cinématographique. Nous l’avons fait avec le Burkina Faso, la Côte d’ivoire et nous sommes en train de démarcher d’autres pays. L’intérêt, c’est de mutualiser nos ressources. Si on prend l’exemple de l’UEMOA, si nous nous mettons ensemble et que nous finançons des projets qui nous semblent importants, à partir de là, nous disposerons de l’autonomie nécessaire pour faire émerger des projets ambitieux.

C’est dans cette orientation, que nous devons aller aujourd’hui. Il est bien de se battre au niveau national avec chacun un fonds mais il faut créer aussi des mécanismes de collaboration et de mutualisation afin de permettre aux cinéastes de pouvoir disposer de ressources nécessaires pour développer le secteur.

S : Le numérique est-il une opportunité pour le cinéma africain ?

A.A.C. : Nous avons eu ce débat depuis les années 2000. Je fais partie de la génération des cinéastes sénégalais qui est apparue avec le numérique. On s’est confronté avec nos aînés pour qui ce n’était qu’un effet de mode. Malheureusement, l’histoire a prouvé le contraire. Aujourd’hui, tous les Etats ont basculé au numérique intégral et l’argentique a disparu. Mais, je retiens que ce n’est qu’un support. Le plus important c’est le contenu. Et dans ce sens, le cinéma ne changera pas.

A un certain moment, il va falloir que nous nous arrêtions pour réfléchir et nous dire que ce que nous sommes en train de faire n’est pas pour épater la galerie, c’est dire faire les festivals et gagner des prix. C’est un secteur économique qui peut rapporter beaucoup à nos pays pas sur le plan économique seulement mais sur bien d’autres. Mais pour cela, il faut que nous en prenions conscience.

S : Avez-vous un message particulier ?

A.A.C. : C’est important ce qui est en train de se passer entre le Burkina Faso et le Sénégal. C’est vrai que notre pays est invité d’honneur, pour la première fois dans l’histoire du FESPACO. Les cinéastes sénégalais ont joué un rôle important dans le développement de ce festival. Il y a un particulièrement que tout le monde oublie, Ababacar Samb qui a été le premier Secrétaire général de la FEPACI a joué un rôle important dans le développement des structures du cinéma africain. Nous voulons profitier de cette édition pour lui rendre hommage et le présenter en exemple pour la jeune génération.

Interview réalisée par Joseph HARO et

Mahamadi SEBOGO

Envoyés spéciaux à Dakar, Sénégal

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