Actu vert : La forêt régionale du Centre risque de disparaitre

A l’entrée du site, une guérite donne l’impression que la forêt est surveillée en permanence.

Sur la Route nationale 4 (RN4) dans la commune rurale de Saaba, précisément dans le village de Borgo, se dresse une forêt le long de l’axe Ouagadougou-Fada N’Gourma. Il s’agit de la forêt régionale du Centre. D’une superficie de 37 hectares, ce massif forestier est en train de subir un écocide dû à l’action humaine. Pis, cette forêt est dans le viseur des sociétés immobilières.

Lentement et progressivement, la forêt régionale du Centre est en train de mourir. Située à Borgo, un village de la commune rurale de Saaba sur la Route nationale 4 (RN 4), la niche écologique n’existe pratiquement que de nom, grâce à la pancarte au fronton de l’entrée principale du site.

Cette forêt qui se laissait contempler par l’usager à bord d’un véhicule, voyant défiler une verdure faite de grands arbres, a fait place à un alignement de maisons, de kiosques, de monticules d’agrégats et tas d’immondices qui se présentent à lui. Forêt communale au départ, cette futaie est l’initiative du ministère de l’Environnement en collaboration avec la commune de Ouagadougou en 1998.

Il s’est agi d’identifier un espace qui allait porter le nom de forêt régionale avec une superficie de 200 hectares, financée par la Coopération française et une contre-partie nationale. Toutefois, la superficie qui a été véritablement mise en place est de 197 hectares. Selon la directrice régionale de la transition écologique et de l’environnement du Centre, Awa Fofana, l’objectif du projet était d’abord d’approvisionner la ville de Ouagadougou et les environnants notamment, les villages aux alentours de la capitale de tout ce que la forêt pourrait produire en termes de besoin pour les populations.

Pour le CVD du village de Borgo, Séni Tiendrebeogo, il faut empêcher à tout prix les personnes sans autorisation d’accéder à cette forêt.

« Il s’agissait également de créer de l’emploi en mettant à disposition le bois de feu et de service, de limiter les maladies pulmonaires à travers la limitation de la propagation de la poussière dans la ville de Ouagadougou y compris la ceinture verte qui a été mise en place depuis les années 1976 », ajoute-t-elle.

Malheureusement, l’état actuel de ce couvert végétal amène à tirer la conclusion que l’objectif fixé depuis 1998 n’est pas au rendez-vous, soit 24 ans après. Tout porte à croire que le pronostic vital de la forêt régionale du Centre est engagé en ce jeudi 27 janvier 2022.

A la porte d’entrée, une guérite et des toilettes nouvellement construites par le Conseil régional du Centre donnent l’impression d’une présence permanente des agents des eaux et forêts, mais l’intérieur du site laisse penser qu’il est laissé à lui-même. En effet, le nombre important de clairières en dit long sur l’écocide des espèces végétales.

Pendant que des arbres sont abattus par-ci, des fagots de bois sont entassés par-là attendant d’être enlevés par des individus auteurs de l’abattage. La forêt régionale du Centre est devenue un lieu de ramassage d’agrégats.

«…aucune notion de l’importance d’une forêt »

Visiblement remonté, Souleymane Derra, un vendeur de matériaux de construction situé à proximité, confie avoir attiré l’attention les responsables de cet acte. « Toute la forêt est parsemée de trous et d’amas d’agrégats.

J’ai toujours interpellé les personnes qui viennent creuser des trous pour enlever des agrégats. J’ai une fois été me plaindre à la mairie de Saaba sur l’état de dégradation de cette forêt par la faute des personnes qui n’ont aucune notion de l’importance d’une forêt. Mais en aucun moment, un agent de la mairie ne s’est déplacé pour venir constater l’état dans lequel se trouve le bosquet », s’indigne-t-il.

De l’avis du chef de poste forestier de Gonsé, Toussaint Semdé, en plus de la guérite et des toilettes, une clôture peut contribuer à une surveillance permanente du couvert végétal.

Même les visites inopinées des agents des eaux et forêts n’ont pas réussi à dissuader ces individus. Le Conseiller villageois de développement (CVD) de Borgo, Séni Tiendrebeogo, pointe un doigt accusateur sur des vieilles femmes démunies qui viennent creuser des trous pour ramasser soit du sable ou des gravillons pour ensuite les revendre aux collecteurs d’agrégats.

« Du fait du lien de la cohabitation et de la familiarité, il est souvent difficile de durcir le ton pour qu’elles arrêtent. Nous avons même organisé des activités de plantation d’arbres pour dissuader les gens afin qu’ils prennent conscience du rôle que peut jouer une forêt dans un village », atténue-t-il. Faute de clôture, le bosquet est devenu un dépotoir d’ordures des ménages situés à proximité. Il sert également de lieu de sacrifice où des personnes déposent des offrandes sur des sentiers.

Le site sert désormais de raccourci pour des piétons, des cyclistes et des motocyclistes qui préfèrent le traverser dans tous les sens en détruisant quelques jeunes plants. « Cette zone est en train de devenir un nid de délinquants qui viennent souvent consommer des stupéfiants », dévoile Souleymane Derra. Deux familles habitent la forêt où elles cultivent pendant l’hivernage. Dans un aveu d’impuissance, le chef d’une des familles, Ali Guigma, la soixantaine bien sonnée, dit observer les animaux divaguer dans la forêt sans qu’il ne puisse réagir.

Le chef de programme de l’UICN au Burkina Faso, Dr Jacques Somda : « Quand on coupe un seul arbre pour du bois, ce sont plusieurs services qu’on perd pour l’humanité y compris la personne qui a coupé l’arbre ».

« Cette situation est plus forte que moi. Seul, je ne peux les (animaux, Ndlr) chasser », se résigne-t-il. A ces menaces s’ajoute l’empiètement des limites de la forêt. En effet, à certains endroits du site, notamment la partie faisant face au bitume, des personnes ont occupé des portions de terre en démontant la grille qui servait à délimiter la forêt. C’est ainsi que l’on peut constater des lieux de détente (bars, maquis), de commerce, d’entrepôts d’agrégats ou de ferraille, soit à l’intérieur ou à la lisière de la forêt.

A en croire le chef de poste forestier de Gonsé, Toussaint Semdé, les litiges fonciers ont réduit la superficie de la forêt à 37 hectares (Lire encadré). De l’avis du CVD, Séni Tiendrebeogo, des individus se faisant passer pour des propriétaires terriens ont vendu ces espaces aux occupants du site. « Il faut obligatoirement une clôture pour empêcher les gens d’avoir accès à cette forêt afin qu’elle puisse respirer », insiste-t-il.

Selon la directrice régionale de la transition écologique et de l’environnement du Centre, Awa Fofana, des actions de récupération avaient été entreprises à travers la clôture du bosquet par le Conseil régional du Centre.

L’ombre des sociétés immobilières

Malheureusement, ce projet traine les pas. L’une des principales raisons est que la forêt régionale du Centre est dans le viseur des sociétés immobilières. Un contentieux oppose des individus se réclamant propriétaires du site au Conseil régional du Centre au point que le dossier est actuellement sur la table du Tribunal Ouaga II.  Cette forêt appartient à nos grands-parents. Ils avaient cédé une partie à des personnes pour la culture.

Ces dernières aujourd’hui réclament la propriété des lieux et elles veulent vendre la forêt à des promoteurs immobiliers. Nous nous sommes opposés et nous avons demandé au Conseil régional du Centre de s’occuper de sa gestion.

Des personnes ont érigé illégalement des hangars et boutiques sur une partie du site.

Des promoteurs immobiliers ont réussi à corrompre certaines personnes parmi nous », détaille Séni Tiendrebeogo. Pour lui, ce serait un drame écologique si ce couvert végétal venait à disparaître du fait de la cupidité de certains individus sans scrupules qui veulent se mettre plein les poches, sans se soucier des différents avantages que profitent les populations.

Dans ce sens, le chef de programme de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) au Burkina Faso, Dr Jacques Somda, indique qu’une forêt a plusieurs bénéfices pour la communauté. Malheureusement explique-t-il, les bénéfices tangibles (le bois énergie, les feuilles, les fleurs, les écorces et les racines) qui entrent dans les besoins alimentaires, de santé de l’homme ou de l’animal, sont à l’origine de la dégradation des forêts.

« L’arbre a la capacité d’absorber le gaz carbonique. Dans une ville comme Ouagadougou, des voitures et des motos émettent énormément du gaz carbonique, si vous avez des arbres, l’atmosphère est nettoyée dès qu’il y a une émission de gaz carbonique. Ce qui va nous permettre de respirer de l’air pur.

Des visites inopinées sont souvent opérées par des agents des eaux
et forêts.

Lorsqu’on coupe un arbre, on supprime ce service parce que les arbres ont la capacité d’absorber ce que l’homme ne veut pas et de rejeter ce que l’homme veut qui est l’oxygène par le principe de la photosynthèse », démontre-t-il. L’abattage d’un arbre, poursuit Dr Jacques Somda, supprime non seulement l’habitat pour les animaux (oiseaux, insectes, reptiles) qui contribuent à la pollinisation des espèces, mais empêche aussi la fertilisation des sols par les feuilles mortes qui tombent.

Le chef de programme de l’UICN souligne que la forêt est un lieu de référentiel culturel  pour la communauté parce qu’il y a des espèces qui représentent une valeur religieuse pour certaines personnes. La directrice régionale de la transition écologique et de l’environnement du Centre, Awa Fofana, embouche la même trompette en plaidant que l’arbre est la seule espèce noble, généreuse que l’humanité a reçue du créateur. « Généreux parce qu’il ne produit pas ses fruits pour lui-même.

Tout ce qu’il produit est pour les populations humaines et animales. Je voudrais à cet effet lancer un appel à l’ensemble de la population burkinabè et en particulier la population de la région du Centre d’avoir un droit de regard sur l’arbre qui maintient la biodiversité sur place et c’est la principale matière de vie sur terre. Si nous la détruisons, nous nous auto-détruisons », défend-elle.

Paténéma Oumar OUEDRAOGO

pathnema@gmail.com


En attendant la décision du Tribunal Ouaga II

Suite à l’accord du défunt chef de Borgo, il était prévu dans le cadre de la sauvegarde de la forêt, un certain nombre d’investissements par le Conseil régional du Centre notamment, la construction d’une clôture. Le budget voté par le Conseil régional pour l’exécution des travaux était évalué à près de 85 millions F CFA. Selon le président de la commission environnement et développement local du Conseil régional du Centre, Goama Alexis Tapsoba, il y a eu une concertation avec la population le 11 mars 2021, où la majorité était pour l’aménagement du bosquet, avant le début des travaux. Ceux qui s’étaient opposés (des entrepreneurs et des propriétaires de société immobilière et bien d’autres personnes natives de la localité) avaient demandé qu’on leur cède 20 hectares sur 37 hectares. Mais, la majorité a refusé. Le gouverneur de la région du Centre mis au courant de l’affaire a même mis en garde les frondeurs. Refusant de lâcher le morceau, les frondeurs ont porté l’affaire au tribunal administratif. «Nous avons obtenu gain de cause qui nous permettait de débuter les travaux. Mais, ils (les frondeurs, Ndlr) ont fait un appel de la décision du tribunal. L’affaire se trouve présentement au niveau du Tribunal Ouaga II », explique Goama Alexis Tapsoba. De son avis, tous les regards sont tournés vers le Tribunal Ouaga II  pour décider de la poursuite ou de l’arrêt des travaux entamés avec la construction de la guérite et des toilettes dans la forêt. Joint au téléphone, Wendyam Alfonse Dakouré, responsable de la société immobilière Dakouré, opposé au Conseil régional donne sa version. Selon M. Dakouré, des propriétaires terriens lui auraient cédé 20 hectares de superficie. Par la suite, il reçoit une lettre du Conseil régional lui intimant de ne rien entreprendre sous le prétexte que le terrain lui revenait. « J’ai demandé qu’on me fournisse des documents qui prouvent qu’il s’agit d’une forêt classée afin que je puisse me tourner vers les propriétaires terriens. Le Conseil régional n’a pas pu me fournir les arrêtés. Mon avocat a convoqué la collectivité pour trouver une solution à l’amiable, raison pour laquelle le dossier a été envoyé en justice», indique-t-il. Wendyam Alfonse Dakouré a fait savoir que c’est le juge de la mise en l’état qui a ordonné l’arrêt des travaux. P.0.0.

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