Cascades de Karfiguéla : la forte pression humaine menace la ressource en eau

Les chutes d’eau ou cascades de Karfiguéla, dans la commune de Banfora (région des Cascades,) sont l’un des patrimoines hydrauliques du Burkina Faso. Malheureusement, cette ressource en eau du bassin de la Comoé est soumise à une forte pression humaine due à des pratiques agricoles.

Le DR des Cascades en charge de l’eau, Souleymane Ouédraogo, a indiqué que la DGAEC, par un protocole qui la lie à la direction régionale en charge de l’eau des Cascades, génère des recettes à travers la Contribution financière en matière d’eau (CFE).

Daouda Sagnon, de taille moyenne et teint noir, est originaire de Lemourou-dougou, un village à quelques encablures de la ville de Banfora. Agé de 19 ans, il pratique la maraîcher-culture depuis quatre ans sur les berges du fleuve Comoé où se jettent les chutes d’eau encore appelées cascades de Karfiguéla, dans un relief très accidenté avec de nombreuses collines dues à la topographie de la région.

Ce vendredi 11 mars 2022, le temps, moins ensoleillé et doux en raison du microclimat, le jeune Sagnon est occupé à arroser ses pousses d’aubergines, en creusant le sol pour l’écoulement de l’eau dans son champ. Cette technique, nous dit l’un des techniciens d’agriculture, gaspille l’eau et doit être bannie au profit de l’irrigation par aspersion. Et pourtant, comme Daouda Sagnon, des milliers de maraichers privilégient cette méthode d’irrigation le long des cascades de Karfiguéla, sur deux à trois Kilomètres (Km). Cette ressource en eau, située à 12 Km de Banfora, avec une dénivelée de 60 m (différence de hauteur entre l’amont et l’aval des chutes d’eau), sur la Comoé est confrontée aux mauvaises pratiques culturales en amont et en aval, engendrant l’ensablement, l’envasement et altérant la qualité de l’eau avec des risques de santé pour les humains et les animaux. Les populations occupent les bandes de servitude qui sont les abords immédiats du cours d’eau. De telles pratiques rendent le sol pulvérulent qui est lessivé et jeté dans le lit mineur du cours d’eau, explique le Directeur régional (DR) de l’eau et de l’assainissement des Cascades, l’ingénieur de génie rural et hydraulicien, Souleymane Ouédraogo. A vue d’œil, le débit et le tracé du cours d’eau sont gravement affectés par l’utilisation des pesticides qui sont nettoyés et déversés dans les canaux d’évacuation d’eau ou dans le cours d’eau affectant les écosystèmes. Le DR du tourisme, des arts et de la culture des Cascades, Boukary Malgoubri, regrette que les cascades de Karfiguéla qui font rentrer des devises soient dégradées, notamment par l’ensable-ment et la pollution.

Près de quatre millions F CFA de recettes

En fin 2021, explique-t-il, les recettes se sont élevées à environ quatre millions F CFA. Le régisseur de recettes à la mairie de Banfora, Kassoum Kader Héma, assure que la mairie de Banfora bénéficie de 30% des recettes collectées sur les chutes d’eau de Karfiguéla, l’ONTB, 30%, les agents collecteurs 20% et le village de Karfiguéla, 20%. « En 2021, la mairie a collecté plus d’un million F CFA à travers la vente des tickets de 500 F CFA et 1 000 F CFA, malgré la COVID-19 et l’insécurité », souligne-t-il. Le guide- collecteur de l’ONTB et maraîcher à Karfiguéla, Alasson Diao, regrette la dégradation de la voie principale conduisant aux chutes d’eau de Karfiguéla qui joue négativement sur la collecte des recettes utilisées pour préserver la ressource en eau. Les cascades de Karfiguéla constituent une providence qui impacte positivement la vie des populations riveraines en particulier et celles de la région des Cascades en général, aux dires du DR de la transition écologique et de l’environnement, le lieutenant-colonel des eaux et forêts, Nabonsba Ernest Yaméogo. Elles subissent, indique-t-il, l’influence des actions anthropiques, le tourisme massif, le défrichement dans la forêt galerie et la coupe du bois vert qui dégradent considérablement l’écosys-tème du cours d’eau et le mettent en péril.

« La forêt galerie autour des cascades de Karfiguéla joue le rôle de bouclier contre les radiations solaires. Si, elle est détruite, cela perturbe la nappe d’eau souterraine, aggravé par l’usage sauvage des pesticides qui polluent cette ressource en eau. Le défrichement et la coupe du bois vert contribuent énormément à l’évaporation de l’eau des cascades de Karfiguéla », déplore le lieutenant-colonel des eaux et forêts. Chaque jour, l’eau des cascades de Karfiguéla coule, mais c’est une ressource périssable, avec plusieurs sources qui ne répondent plus, de nos jours. Selon le technicien de l’environnement, aujourd’ hui, le changement clima-tique participe fortement à la dégradation de cet héritage hydraulique, autrefois, milieu boisé et forêt galerie qui empêchait les rayons solaires de baisser le niveau de la nappe d’eau souterraine. A titre d’exemple, selon le Secrétaire général (SG) du CLE-Haute Comoé, Abdoul Aziz Ily, en 1982, les chutes d’eau de Karfiguéla dévalaient à 3 000 litres par seconde (l/s). Elles sont passées à 750 l/s en 2005 et 500 l/s de nos jours, depuis leur source, à Samogoyiri, dans la commune rurale de Peni (région des Hauts-Bassins). En amont des cascades de Karfiguéla, des maraîchers à Bodadiougou pratiquent la culture de la banane et du manioc et en aval, sur 25 km, le long de la Comoé, jusqu’aux portes de la Côte d’Ivoire, en passant par Lemouroudougou et Diarabakoko.

Le DR en charge de l’environnement, le lieutenant-colonel des eaux et forêts, Nabonsba Ernest Yaméogo, soutient qu’il est nécessaire de préserver le cours d’eau pour éviter que les conflits ne s’exacerbent.

« La plaine de Karfiguéla fait 350 hectares (ha) avec son eau qui est déviée tout juste à la sortie des chutes d’eau par une prise d’eau. Les 350 ha sont utilisés essentiellement pour la riziculture et la culture de choux, du piment, de l’oignon, de l’aubergine, de la tomate et du maïs », soutient le Directeur provincial (DP) en charge de l’agriculture de la Comoé, Mathias Bado. Pendant l’hivernage, relève-t-il, avec l’irrigation d’appoint, les 350 ha sont utilisés. Imaginons sur 25 km où nous avons des maraîchers ? », s’interroge-t-il. Mathias Bado laisse entendre que pendant la saison sèche, compte tenu de la forte pression humaine, la superficie de la plaine est divisée pratiquement par deux pour emblaver 180 ha de riz. « Chaque bloc produit une année sur deux. En une année, nous avons 350 ha plus 180 ha (saison humide et sèche respectivement). Pour les cultures maraîchères en saison sèche, on peut évaluer à 15 ha la superficie emblavée », explique le DP en charge de l’agriculture de la Comoé. Ramata Sourabié est une contractuelle rencontrée sur la plaine irriguée de Karfiguéla. Elle est originaire de Bérégadougou, à 15 km de la ville de Banfora, 26 ans et mère de deux enfants. Elle a deux jours de désherbage de 8h à 16h à raison de 1 000 F CFA/jour. Elle dit assurer la « popote » avec l’argent qu’elle obtient. Elle aide chaque saison les maraîchers, propriétaires de champs sur la plaine. Mais, reconnaît-elle, le problème d’eau se pose avec acuité. Les ressources en eau sont également capitales pour les productions animales. Les éleveurs transhumants utilisent les berges des cascades de Karfiguéla comme pâturage pour les animaux.

Ils y sont fréquents quand les hautes terres manquent d’herbes vertes. Beaucoup d’hommes, surtout des femmes qui n’ont pas d’animaux et qui s’intéressent à l’alimentation du bétail, fauchent les herbes aux abords du cours d’eau pour revendre. Selon le DP des ressources animales et halieutiques de la Comoé, Ardjouma Sirima, dans le village de Lemourdougou et de Karfiguéla, la pêche est pratiquée à travers des étangs piscicoles alimentés par des lacs dont les eaux proviennent des chutes d’eau de Karfiguéla. « En saison hivernale, des pesticides et des sachets plastiques sont charriés dans le cours d’eau provoquant la mortalité immédiate ou à long terme des poissons et d’autres espèces animales. Le fait de remuer le sol au niveau des terres proches des berges trouble l’eau en période hivernale empêchant les capitaines et les tilapias de vivre », fait comprendre Ardjouma Sirima. Si les chutes d’eau de Karfiguéla venaient à disparaître, regrette-t-il, cela va jouer négativement sur l’activité de pêche et l’alimentation du bétail avec à la clé, un chômage chez les jeunes et femmes qui fauchent le fourrage. Au-delà, à plus de 25 Km des chutes d’eau de Karfiguéla, des cultures maraîchères se pratiquent le long du cours d’eau Comoé dans le village de Siniéna. Le patriarche Mamadou Soma déplore le manque d’eau qui engendre la sécheresse de leurs spéculations (tomate, oignon, etc.).

Pour le maraîcher, Fatogoma Soma, il est impératif que lui et ses collègues obtiennent des puits maraîchers pour pallier le manque d’eau afin de sauvegarder leurs cultures de contre-saison. « La maraîcher-culture peut rapporter près de deux millions F CFA surtout pour un champ de piment bien produit. C’est pourquoi nous demandons le soutien du gouvernement », renchérit-il. L’utilisation massive des chutes d’eau de Karfiguéla entraine une répartition d’eau entre les usagers, à savoir la SOSUCO, la plaine de Karfiguéla, les entreprises de BTP, les maraîchers et l’ONEA. A en croire le Directeur général de l’agence de l’eau des Cascades (DGAEC), l’ingénieur du génie rural, Baowendsom Thierry Ouédraogo, c’est au niveau du barrage de Moussodougou, d’une capacité de 38 millions de m3, qu’une régulation du lâcher d’eau générant des recettes est opérée en fonction des besoins des différents acteurs sur le terrain, en période de forte affluence et de demande.

Une gestion intégrée et concertée

Face à la forte pression humaine sur les chutes d’eau de Karfiguéla, le DR en charge de l’eau des Cascades soutient qu’il y a des actions concertées entreprises par les différents acteurs pour assainir la ressource en eau. Mais, des personnes recrutées sur le terrain, en dehors de la gestion concertée, s’activent à rendre propre le pourtour des chutes d’eau de Karfiguéla. C’est le cas de Saibou Ilou, nettoyeur sur le site des cascades et volontaire qui a pris sa décision d’assainir le site sans être payé par l’ONTB. Il ramasse les sachets et les emballages de boisson. Toutefois, il déplore le manque de poubelles. Oumou Sidibé est une déplacée interne à Banfora qui a fui le terrorisme à Mangodara. Elle a été recrutée pour assainir le site et n’a pas voulu décliner la somme qu’elle reçoit pour ce travail. C’est la première fois qu’elle vient sur le site après avoir réussi au CEP session 2021. Madou Sanou, guide touristique, éclaire les visiteurs pour éviter les obstacles ou les endroits dits dangereux. Dans le même temps, il dit organiser le ramassage des ordures et la sensibilisation en général des usagers aux bonnes pratiques d’assainissement. S’agissant de la gestion intégrée, elle est menée par l’AEC, les directions régionales en charge de l’eau, de l’agriculture, de l’élevage, du tourisme, de l’environnement et la mairie de Banfora. « La répartition d’eau entre les différents usagers est faite par l’Agence de l’AEC en collaboration avec le CLE-Haute Comoé », précise le SG du CLE-Haute Comoé. Il rappelle que sa structure, créée en 2008, est rattachée à l’AEC et gère le sous-bassin Houet-Kénédougou-Comoé-Léraba. Il laisse entendre que les utilisateurs de l’eau des cascades de Banfora sont sensibilisés à l’utilisation rationnelle de l’eau avec l’appui du CLE-Haute Comoé qui contribue aussi à la prévention et la gestion des conflits à travers l’analyse des problèmes et la recherche de leurs solutions.

« C’est l’exemple du conflit en 2008 entre les maraîchers de Karfiguéla et la SOSUCO », se souvient le SG du CLE-Haute Comoé. Le DR en charge de l’eau brandit la police de l’eau dont le volet administratif est géré par sa direction et le volet judiciaire, le procureur. L’important, se convainc-t-il, est d’accentuer la sensibilisation allant dans le sens de la préservation de ce patrimoine au profit des générations futures, nonobstant les prélèvements anarchiques observés sur le terrain. « Il est par conséquent nécessaire de mettre l’accent sur la sensibilisation à la connaissance des textes sur la Gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) face à des populations rurales analphabètes, pour la plupart », recommande-t-il. Les programmes de tourisme local ne sont pas déconcentrés au niveau national, limitant ainsi les actions de préservation des chutes d’eau de Karfiguéla, foi du DR en charge du tourisme.

Nécessité de préserver les cascades de Banfora

« Il est donc nécessaire de se concerter pour l’utilisation rationnelle de l’eau des cascades de Karfiguéla. Car l’eau est le carburant de la production », avance le DR en charge de l’eau des Cascades. Pour le DR en charge du tourisme, il faut réussir la gestion intégrée des chutes d’eau de Karfiguéla, car, le substrat majeur de Karfiguéla, village qui les abrite, est l’eau. « Il est impératif que l’on sauvegarde l’écosystème des cascades de Karfiguéla qui regorge une abondante biodiversité. Il y a un intérêt à préserver ce patrimoine hydraulique, car la Constitution prévoit la protection de la biodiversité au Burkina Faso », indique le DR en charge de l’environnement des Cascades.

A cet effet, il rassure que de concert avec la direction régionale en charge de l’eau et la police de l’eau, la direction régionale en charge des eaux et forêts fait des contrôles. « Nous protégeons la bande de servitude des plans d’eau notamment les cascades de Karfiguéla, à travers la sensibilisation qui a touché en 2021 plus d’un millier de personnes dans le cadre de la gestion durable des ressources en eau. Plusieurs contrôles ont été également effectués sur les berges de la ressource en eau en compagnie des acteurs. Mais, l’incivisme aidant, les populations bafouent les règles régissant la bande de servitude », dit-il avec regret. A 10 km, dans un passé récent, l’on entendait le bruit des chutes d’eau de Karfiguéla pendant la saison des pluies et même jusqu’à 20 km à Diarabakoko. Mais, cette ressource eau est en train de diminuer aujourd’hui, faisant craindre un jour son tarissement.

Boukary BONKOUNGOU

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