Déforestation du site sacré “Wobdio” dans le Ioba : Une menace pour les génies et le tourisme

Avant l’acceptation du client venu pour des doléances sur le site, le responsable du couteau procède au sacrifice du poulet.

Dans la commune rurale de Guéguéré située à environ 10 kilomètres de la ville de Dano dans la province du Ioba (région du Sud-Ouest), se trouve au versant de collines boisées, un site sacré dont la renommée a franchi les frontières du Burkina Faso. « Wadio » (maison des serpents) ou « Wobdio » (Biotope des éléphants), au-delà de son caractère mystique, présente à la fois une biodiversité riche en ressources naturelles et un attrait touristique. Malheureusement, cette niche écologique se dégrade continuellement sous l’effet des défrichements, des feux de brousse, du pâturage, de l’exploitation du bois au grand dam des dépositaires de la tradition et des autorités administratives.

Village de la commune rurale de Guéguéré (à 10 km de Dano), province du Ioba dans la région du Sud-Ouest, Ténoulé abrite un site sacré peu connu de la majorité de la population locale et de l’administration, malgré ses potentialités naturelles sur les plans écologique, culturel et touristique. Pourtant, bon nombre d’habitants des villages riverains, environnants, lointains et même hors du Burkina Faso s’y rendent régulièrement pour des pratiques d’adoration, des sacrifices et des demandes diverses (santé et guérison, fécondité, richesse et prospérité, pouvoir, bonne pluviométrie, etc.) ou pour résoudre des problèmes d’ordre moral, culturel et spirituel.

Ce site appelé en langue locale Dagara « Wobdio » (biotope des éléphants) pour certains ou « Wadio » (maison des serpents) pour d’autres, est situé au flanc d’une chaîne de collines boisées. Ce lieu sacré abrite une grotte où coule une source d’eau intarissable qui alimente les villages voisins (Dahorè et Pontiéba, actuel secteur 7 de Dano). En plus d’être protégé par les dieux,
« Wobdio » est un endroit sacro-saint craint des populations en raison des terribles punitions qui sont infligées par les génies aux auteurs de tout acte de destruction ou d’infraction. La couleur rouge (vêtement, bijou, objet) est, par exemple, interdite au niveau du ravin qui abrite des sources d’eau.

La légende raconte que Tenou, le patriarche fondateur du terroir de Tenoulé, est arrivé sur un territoire occupé par les autochtones Pougli. Sa volonté de cohabiter pacifiquement est rejetée par ses hôtes. S’ensuivent alors, selon l’histoire, des affrontements à l’issue desquels les Pougli battirent en retraite et prirent leurs jambes à leurs cous.
Le patriarche explora la brousse et découvrit un site qui servait d’abris aux éléphants d’où le nom « Wobdio ».

De l’arbre isolé à la formation forestière dense, ce lieu de culte regorge
de diverses espèces pourvoyeuses de bois d’œuvre et de produits forestiers
non ligneux.

Le patriarche consulta les devins qui lui révélèrent le caractère sacré et surtout les vertus du site : protection, santé, prospérité pour celui qui vient formuler des doléances. Ainsi naquit le culte autour de « Wobdio » et la formulation de ses interdits. Il est ainsi strictement défendu de se quereller sur le site, de faire des photos (sauf autorisation spéciale), ou d’y accéder avec des chaussures. Le site est réservé aux rituels incantatoires, aux sacrifices de doléance, aux remerciements et aux reconnaissances. Endroit très vénéré,
« Wobdio » est un lieu privilégié par excellence de communication avec des entités surnaturelles ou des ancêtres et héros divinisés.

De l’arbre isolé à la formation forestière plus ou moins étendue, ce coin de culte fait l’objet de prescriptions rituelles dont le non-respect provoquerait des calamités pouvant mettre en péril l’avenir des hommes et ce, en dépit de leur origine ou nationalité. « Les touristes européens qui ont essayé de troubler l’ordre ont subi des expériences mystiques étranges», témoigne un initié qui a souhaité garder l’anonymat.

Des arbres cernent l’endroit qui ne se dévoile au regard du visiteur que dans les dernières dizaines de mètres. Les gardiens de la tradition veillent au respect strict et scrupuleux des exigences du site. «Il y est absolument proscrit de couper les arbres, ou de déféquer», avertit l’un des gardiens. Des visiteurs défilent quotidiennement soit pour témoigner leur gratitude à la suite d’un vœu ou d’une prière exaucée soit pour faire des doléances. C’est le cas d’un usager (dont nous tairons l’identité, ndlr) du site venu de très loin pour des demandes personnelles. Pour exécuter le rituel, le demandeur, selon les gardiens de la tradition, doit apporter de la cendre, un couteau, une pierre, de l’eau de la source, des offrandes (poulets…) du bois mort pour le feu et des condiments pour assaisonner l’offrande.

Sur le lieu, il présente un poulet qui servira de sacrifice de vérification d’insertion. Il vise à obtenir le consentement des génies avant tout autre formalité. Si le poulet égorgé tombe sur le dos, cela signifie que le site a accepté la présence du visiteur. Dans le cas contraire, il doit immédiatement quitter les lieux. Par contre, à celui dont la présence a été agréée par « wobdio », il est donné la parole pour exprimer ses vœux. Le “responsable du couteau” verse ensuite la cendre de la paix puis égorge l’animal (volaille). Le rituel s’achève par une gorgée d’eau de la source. Lorsque la doléance est réalisée, le demandeur doit revenir, selon les dépositaires de la tradition, pour traduire toute sa reconnaissance à « wobdio » avec une ou des offrandes.

Selon le guide touristique de la province du Ioba, Oumarou Traoré, « Wobdio » est l’une des niches écologiques de la région.

Cette fois-ci, dans un état de béatitude complète, il laisse jaillir le bonheur d’être satisfait et présente les cadeaux (poulets, moutons…) qu’il a apportés. Le “chef d’incantation” invoque toutes les bénédictions et le chef de couteau passe au sacrifice. L’animal est consommé sur place, accompagné à nouveau d’une gorgée d’eau de la source. L’usager du site est autorisé à faire une autre doléance avec des engagements à revenir traduire sa reconnaissance, si ses vœux sont exaucés. Confrontées à des situations difficiles, de nombreuses personnes doivent aujourd’hui leur survie à l’intervention de « Wobdio ». Sont de celles-là, Ambroise Kamboulé, âgé de 79 ans.

Cet agent de l’administration publique confie qu’il est venu au monde grâce au site. « En 1942, lorsque ma mère était enceinte de moi, sa grossesse a connu quelques difficultés. Au regard des difficiles conditions coloniales dans lesquelles se trouvaient les populations, il y avait de fortes chances que je vienne au monde avant terme. Après m’avoir extrait du ventre de celle-ci, mon grand-père, grand guérisseur à l’époque, m’a enveloppé dans une peau d’animal avec des plantes et de la mixture. Ensuite, il m’a confié au marigot en lui promettant que si je survis, je lui appartiendrai. Mais dans le cas contraire, il viendrait me chercher pour m’enterrer », raconte-t-il. Selon le septuagénaire, deux mammifères du marigot veillaient sur lui.

Unique en son genre

C’est alors qu’un jour, une femme venue chercher de l’eau s’est rendu compte, poursuit-il, que la peau de l’animal dans laquelle j’étais enveloppé faisait des mouvements. “Inquiète, elle a fait appel à son mari qui m’a découvert et m’a sorti de la peau de l’animal. Cet acte a marqué ma naissance. J’ai été remis à ma grande mère qui s’est occupée de moi, car ma

Le directeur provincial de la Culture des Arts et du Tourisme du Ioba, Hervé Somda: « Notre préoccupation est de préserver wobdio ».

mère était enceinte de ma petite sœur”, explique Ambroise Kamboulé.
En plus de son caractère mystique, « wobdio » a l’avantage de présenter une biodiversité riche en ressources naturelles à sauvegarder et à valoriser.

Le site a, en effet, une végétation dense regorgeant de diverses espèces pourvoyeuses de bois d’œuvre et de Produits forestiers non ligneux (PFNL) qui suscite également des attraits touristiques. D’ailleurs, des visites guidées sont souvent organisées sur le site au profit des élèves de la province du Ioba. Inspectrice des Eaux et forêts à la retraite, Cécilia Somé confie qu’elle fait partie des élèves à avoir fait une excursion sur les lieux. « J’ai visité le site en 1973 dans le cadre d’une sortie que mon école avait organisée quand j’étais en classe de CM2», se souvient-elle.

Pour le guide touristique de la province du Ioba, Oumarou Traoré, qui a l’habitude de conduire des touristes, ce site est l’une des niches écologiques de la région qui offre une diversité de plantes et d’arbres à découvrir. Un argument soutenu par le directeur provincial de la Culture des Arts et du Tourisme du Ioba, Hervé Somda.
A l’entendre, « wobdio » est unique en son genre et fait partie de la liste du patrimoine culturel identifié dans la localité. Malheureusement, les ressources du site de nos jours,
déplore-t-il, se dégradent inexorablement sous l’effet des défrichements, des feux de brousse, du pâturage et de l’exploitation du bois.

Pour avoir visité « Wobdio » en 1973 lorsqu’elle était élève au primaire, l’inspectrice des Eaux et forêts à la retraite, Cécilia Somé, pense qu’il doit être valorisé.

Jadis réservé aux seuls coutumiers et autres féticheurs, ce site, une fois aménagé, pourrait, à son avis, susciter l’intérêt des chercheurs, des thérapeutes, des botanistes, des touristes et divers autres intervenants, pour ses ressources et richesses non encore explorées. « Dans la province du Ioba, nous avons répertorié dix sites qui ont des attraits touristiques. Mais faute de moyens, nous sommes en train de préserver seulement deux (la grotte militaire de Djikologo et la chaîne de rochers de Bekoteg, Ndlr) avec l’accompagnement de notre ministère de tutelle en vue de les délimiter. Notre préoccupation est de préserver « wobdio ». Et si possible de l’aménager pour booster sa visibilité et accroître le taux de fréquentation », plaide le directeur provincial de la Culture des Arts et du Tourisme du Ioba.

Paténéma Oumar OUEDRAOGO
pathnema@gmail.com


Il faut valoriser « Wobdio »

On peut considérer « Wobdio » comme une APAC (Aire ou territoire du patrimoine autochtone ou communautaire). Il s’agit d’une nouvelle approche pour la conservation des ressources naturelles au Burkina Faso. Le site est très important pour la population et partant, des villages environnants. Avec son caractère mystique, il veille au bien-être de la population. Il abrite et protège les ressources naturelles. Certes, « Wobdio » fait partie du répertoire du patrimoine culturel de la direction provinciale de la Culture, des Arts et du Tourisme du Ioba mais, ne joue pas pleinement le rôle d’un site sacré d’envergure nationale, malgré ses richesses pittoresques.

Ce lieu sacré mérite d’être valorisé, notamment la reconstitution de sa biodiversité dégradée pour en faire une forêt classée. De même, il a besoin d’une reconnaissance légale, forte et d’une prise en compte dans les politiques nationales culturelles et touristiques. Selon différents témoignages, des universitaires burkinabè avaient entrepris des études sur le site aux fins de plaider pour son inscription au patrimoine culturel de l’UNESCO. Ce qui ferait de lui, une destination touristique au Burkina Faso à l’image des ruines de Loropéni dans la province du Poni. Malheureusement, ce projet ne serait plus d’actualité faute d’accompagnement. Une perte pour l’économie nationale et celle du tourisme burkinabè en particulier. Car, le site constitue indéniablement un attrait touristique considérable.

POO

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