Dr Georges Ouédraogo, pneumologue tabacologue : «Le tabac n’a que des méfaits»

Dr Georges Ouédraogo, pneumologue tabacologue : «Nous sommes à 780 personnes qui sont venues solliciter un accompagnement pour arrêter de fumer».

A l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le tabagisme, prévue le 31 mai, nous avons rencontré le Dr Georges Ouédraogo, pneumologue tabacologue, maître de conférences agrégé au service de pneumologie du CHU-YO et coordonnateur de l’unité de sevrage tabagique de l’hôpital Yalgado-Ouédraogo. Il revient sur les conséquences du tabagisme et l’état des lieux au Burkina Faso.

Sidwaya (S) : Quelles sont les conséquences du tabac sur l’organisme ?

Georges Ouédraogo (G.O.) : Le tabagisme est la cause de plusieurs pathologies dont les plus fréquentes sont les cancers, les maladies cardiovasculaires et les maladies respiratoires. Il affecte également la santé sexuelle et reproductive. A propos des cancers, il y a le cancer bronchique primitif qui est certainement la maladie dont le lien causal avec le tabagisme est le plus marqué. 85% des cancers bronchiques sont attribuables au tabac.

Le tabac est également incriminé dans la survenue de cancers d’autres organes tels que la vessie, le rein, le pancréas, le col de l’utérus. Pour ce qui concerne les maladies respiratoires, le tabac a une responsabilité majeure dans la survenue des broncho-pneumopathies chroniques obstructives (BPCO). Environ 10 à 15% des fumeurs développent une obstruction bronchique chronique.

Le tabac est l’un des facteurs de risque dans le développement d’une hypertension artérielle, d’une maladie chronique des membres inférieurs, des troubles du rythme cardiaque et des troubles de l’érection. Il faut préciser aussi que la diminution du taux de goudron des cigarettes ne modifie pas l’incidence de l’infarctus du myocarde chez le fumeur.

Chez la femme, le tabagisme associé à la prise de pilule contraceptive multiplie par 20 le risque d’accident vasculaire cérébral. Par ailleurs, le tabagisme est responsable d’une diminution de la fécondité, d’une augmentation des avortements spontanés et d’une mortalité périnatale et néonatale plus importante. Le tabagisme entraîne des troubles de l’érection pouvant aller jusqu’à l’impuissance chez l’homme, des troubles de la menstruation chez la femme et une altération du sperme pouvant entraîner une stérilité.

Il affecte aussi les yeux avec l’apparition de la cataracte avec risque de cécité. C’est pourquoi, nous disons que le tabac n’a que des méfaits. Il touche le tube digestif, la peau…tout le corps humain est touché.

S : Quel est l’état des lieux au Burkina Faso ?

G. O. : On estimait en 2013 à environ
1 300 000 fumeurs au Burkina Faso. Une prévalence qui tourne autour de 18,9% pour toute forme de tabac consommé, cigarette, tabac chiqué…Chez les jeunes, l’on a remarqué de nouveaux modes de consommation, la chicha.

Elle constitue une porte d’entrée dans le tabagisme. Dans la cigarette, il y a plusieurs composantes. Les gens connaissent beaucoup plus la nicotine, les goudrons, mais connaissent moins le monoxyde de carbone. Il va se fixer dans le sang avec l’hémoglobine.

Malheureusement, le monoxyde de carbone va prendre la place de l’hémoglobine et perturber l’équilibre de l’oxygène dans l’organisme. Dans la chicha, la densité du monoxyde de carbone est multipliée pratiquement par 12. Consommer une 1h de chicha peut représenter presqu’un paquet de cigarette.

S : Quel est le nombre de personnes prises en charge par le centre ?

G. O. : Nous sommes à 780 personnes qui sont venues solliciter un accompagnement pour arrêter de fumer. Dans ce lot, 98%, c’est la cigarette. Nous avons quelques cas de consommation de tabac chiqué. C’est beaucoup plus d’hommes que de femmes.

Nous avons constaté qu’après le début de la prise en charge jusqu’à notre deuxième anniversaire en début mai, nous avons obtenu 20% qui ont arrêté de fumer. C’est vrai, ce n’est pas assez, mais sur presque 800, que 160 aient arrêté, c’est déjà pas mal. Nous sommes satisfaits.

Là où, nous sommes inquiets, c’est que l’on s’est rendu compte que beaucoup d’adolescents (15-21 ans) consomment le tabac et le cannabis. Il y a des co-addictions qui débutent très tôt. Le plus jeune de nos patients reçus ici, a 15 ans. Donc dès cet âge, un jeune qui est en classe de 3e consomme déjà ces deux substances. Il y a forcément un impact sur son succès scolaire, sur le plan sanitaire et social.

S : Quelles sont les astuces dont vous faites usage dans le cadre de la prise en charge des fumeurs qui désirent arrêter ?

G. O. : Il y a des stratégies de prise en charge validées scientifiquement. Cela est à la disposition de tout le monde. Ce n’est pas qu’il est difficile d’arrêter, les études disent que si 75% de fumeurs veulent arrêter, il n’y a que 35% qui essaient d’arrêter. Dans ce lot, il n’y a que 5% qui arrivent à arrêter sans aide.

Donc on peut bénéficier d’une aide pour arrêter. Nous recevons tous les patients ici, on fait une consultation, on essaie de comprendre l’histoire de votre tabagisme parce que la prise en charge est individualisée. Nous faisons l’examen pour voir s’il n’y a pas de maladies liées à la consommation du tabac.

Et puis, nous proposons une prise en charge. Si la personne n’est pas dépendante, nous renforçons l’entretien motivationnel et on lui donne des astuces pour rester observant dans sa décision d’arrêter. Il y a plusieurs astuces, c’est de se convaincre soi-même qu’on a pris la décision, informer son entourage pour solliciter de l’aide, son épouse, ses enfants, ses collègues…

Il y a des méthodes de rappel comme des cartes que l’on met à la place du paquet de cigarette ou quand on veut fumer, on plonge la main et on voit que c’est la carte. On se rappelle immédiatement. On leur apprend à gérer l’envie que de succomber. Par exemple se lever, quitter son bureau, aller quelque part, aller au robinet, se servir d’eau, aller au frigo, prendre un verre d’eau.

Parce que l’envie de fumer ne dure qu’entre deux à trois minutes en moyenne. Donc, il suffit d’occuper ces minutes et l’envie part. C’est vrai que ça va revenir, mais ce sont des astuces que nous donnons à ceux qui ne sont pas dépendants. Ceux qui sont dépendants, il faut proposer des substituts.

Ce sont des gommes ou des patches que nous prescrivons à l’intéressé. Ils vont essayer de remplacer la nicotine obtenue par la cigarette, par exemple pour freiner l’envie de succomber à la consommation. Ces produits sont dérivés de la nicotine mais ne sont pas nocifs pour l’organisme. Ils aident la personne à être abstinente.

En fonction du degré de dépendance, on adapte la dose et la durée du traitement.

S : Rencontrez-vous des difficultés dans la gestion du centre ?

G. O. : Nous n’avons que des difficultés. D’abord, nous avons des problèmes au niveau des ressources humaines. Nous disposons d’un pneumologue, d’un cardiologue, de deux étudiants en spécialisation de pneumo qui nous appuient et nous avons une douzaine d’infirmiers issus du service de cardiologie de Yalgado.

Il n’y a pas de personnel propre au centre. Nous travaillons dans nos services et nous essayons de nous aménager en fonction de notre emploi du temps. Nous faisons face à un manque de médicaments. Les substituts nicotiniques ne sont pas disponibles parce qu’ils ne sont pas classés comme des médicaments essentiels, mais comme des médicaments de parapharmacie. Donc c’est taxé à 47% plus les 18% pour la TVA.

Ce sont des produits qui ne sont pas accessibles. La boîte de 28 patches coûte environ 98000 F CFA. Tout dépend du dosage, parce que vous trouverez des boîtes à 16 000 dosées à 7 milligrammes, mais il faut souvent aller jusqu’à 25 milligrammes ou 50. Pour les gommes, nous avons pu nous entendre avec certaines officines qui nous vendent en plaquette. Elles ne vendent pas tout le paquet.

La plaquette de 15 gommes coute environ 3500-4500 F CFA. Alors que si la personne consomme six gommes par jour, en moins de trois jours, la plaquette est finie. C’est vrai que nous avions bénéficié d’un stock tampon pour commencer ce centre, mais actuellement le stock est épuisé. Les gens me disent autant continuer à fumer que d’aller acheter des gommes qui coûtent plus cher.

Je crois qu’il faut travailler à ce que les substituts nicotiniques soient comme des médicaments essentiels pour contribuer au bien-être des patients. L’autre difficulté est liée au non-respect des rendez-vous.

S : Qu’est-ce que vous prévoyez pour le 31 mai prochain ?

G. O. : Cette année, nous ferons une semaine de consultation gratuite du vendredi 31 mai au vendredi 7 juin. Il y aura des affiches sur les conséquences du tabac au centre et des visites de stands…

Entretien réalisé par
Gaspard BAYALA
gaspardbayala87@gmail.com

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