Dr Issa Ouédraogo, spécialiste en gestion des risques climatiques : le scientifique “intègre“

Titulaire d’un Ph.D en management des ressources naturelles et spécialiste en gestion des risques climatiques et en analyse des données géospatiales, Dr Issa Ouédraogo se focalise sur des stratégies de résilience des agriculteurs, pasteurs et pêcheurs du Sénégal face au changement climatique. De l’Université de Ouagadougou (UO) à Dakar où il est coordonnateur scientifique du projet Services d’informations climatiques pour accroitre la résilience et la productivité au Sénégal, financé par l’USAID (USAID/CINSERE), en passant par les universités de Cape Coast au Ghana, de Frankfort en Allemagne, de l’Université suédoise des sciences agricoles (SLU) de Stockholm en Suède, M. Ouédraogo a un parcours qui force le respect…

Dr Issa Ouédraogo (1er à gauche) avec des agriculteurs sénégalais utilisateurs de l’information climatique pour la production de riz dans la vallée de Anambé (Casamance), en novembre 2018.

Au pays de la Téranga, comme partout ailleurs, il y a des burkinabè qui honorent la mère patrie par leur exemplarité, leur expertise, leur ardeur au travail. Dr Issa Ouédraogo, en est un. Titulaire d’un Ph.D en management des ressources naturelles et spécialiste en gestion des risques climatiques et en analyse des données géospatiales, il fait partie de cette diaspora qui s’illustre dans son domaine d’activités et qui fait la fierté de ses compatriotes. Depuis 2016, il réside dans la capitale sénégalaise, Dakar, où il est chercheur et coordonnateur scientifique du projet Services d’informations climatiques pour accroitre la résilience et la productivité au Sénégal (USAID/CINSERE), financé par l’USAID à hauteur 6,7 millions de dollars américains, dans le cadre du programme de recherche du Groupe consultatif international pour la recherche agricole (CGIAR) sur le Changement climatique, agriculture et sécurité alimentaire (CCAF). Le projet a pour objectif d’accroître l’accès des agriculteurs, éleveurs et pêcheurs sénégalais aux Services d’information météorologique et climatique (SIMC) et leur utilisation afin de générer une meilleure prise de décision face à la variabilité climatique. Marié et père de quatre enfants, ce chercheur en télédétection du CNRST en position de détachement, a un parcours qui retient l’attention. Depuis les années de lycée, Dr Ouédraogo rêvait d’études universitaires dans le domaine de l’espace. « Bala Kéita et Modibo Diarra étaient mes idoles », se souvient-il.

En classe de Tle D au lycée Marien-N’Gouabi de Ouagadougou, sur l’instigation de son professeur de mathématiques, il prend part à un concours devant lui permettre de poursuivre ses études supérieures en Allemagne. Mais après son admission, il décline l’offre, car l’option de formation, “technicien de bateau”, ne lui convenait pas. En réalité, le jeune lycéen tenait à ses études spatiales. Il s’inscrit alors en 1998 en première année de géographie à l’université de Ouagadougou, aujourd’hui université Pr Joseph-Ki-Zerbo. A l’époque déjà, il fallait y être à 6 heures du matin pour avoir une place assise dans les amphis afin de suivre les enseignements. « Tu as refusé d’aller étudier en Allemagne mais tu vas souffrir ici », se moquaient ses camarades. Déterminé à atteindre son objectif, le jeune étudiant ne désarme point ! En fin d’année, parmi les 11 étudiants qui passent en 2e année à la session de juin, sur un effectif d’environ 180 étudiants, l’enfant de Nédogo, dans la province du Ganzourgou, est le seul nouveau étudiant, les 10 autres étant tous des redoublants. En 2000, dans le cadre de la préparation de son mémoire de maitrise, il obtient un stage dans la Cellule Télédétection de l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles (INERA) de Kamboinsé où l’on fait du traitement des images satellitaires. Il a la chance d’être encadré par Dr. Lamourdia Thiombiano qui deviendra par la suite son mentor. « Pr Thiombiano m’a confié ceci : Issa ne te focalise pas sur la recherche de l’argent. Concentre-toi dans la recherche des connaissances, des compétences. Tu peux avoir l’argent aujourd’hui mais ça peut ne pas être pérenne. Pourtant, si tu as les compétences, que les gens veuillent ou pas, ils seront obligés de composer avec toi », se souvient-il encore.

« Il est venu faire le master mais il ne comprend pas anglais »

La collaboratrice de M. Ouédraogo, Dr Sarr Ndèye Seynabou Diouf : « dans ma courte expérience, j’ai vu rarement une personne aussi droite et transparente dans la gestion des fonds ».

Dr Ouédraogo fait siens les précieux conseils de son mentor. Il décide donc de s’investir à fond dans la conquête des connaissances, en optant pour des études doctorales. Mais il est handicapé par l’absence de troisième cycle en géographie à l’université de Ouagadougou. Un jour, la chance lui sourit. Il bénéficie d’une bourse d’étude suédoise pour un master. Il met alors fin à ses petits contrats avec l’INERA et décide d’aller s’inscrire à l’université de Cape Coast (UCC) au Ghana. Une fois, dans l’ancienne Gold Cost, la barrière linguistique de l’anglais se dresse devant le jeune francophone Ouagalais. Mais à cœur vaillant, rien d’impossible ! Pour sa prise de contact avec le professeur Awusabo Asare, Directeur de la Faculté des Sciences sociales de l’UCC, l’étudiant de Zogona est obligé de s’attacher les services d’un interprète en anglais. « Tu veux étudier ici, et tu ne comprends pas l’anglais ? », s’étonne le premier responsable de l’Université. Par la suite, Pr Asare va trouver le moyen de motiver le jeune burkinabè. Au cours d’une grande cérémonie réunissant corps professoral et étudiants, il appelle M. Ouédraogo au podium et le présente au public. « Vous voyez ce jeune, il est venu faire le master ici mais il ne comprend pas l’anglais. S’il a eu ce courage, votre devoir est de l’aider à parler anglais le plus rapidement possible », lance le Directeur de la Faculté à l’assistance. Depuis, le jeune Issa est devenu l’ami de tous et tout le monde le taquinait, l’obligeant à parler l’anglais.

« Ainsi, en deux, trois mois, je suis devenu anglophone », raconte M. Ouédraogo. Et pour un programme de master de deux ans, le vaillant étudiant de Zogona l’exécute en une année, avec pour thème de mémoire : « Dynamiques d’occupation des sols dans le département de Bieha, Province de la Sissili, Sud Burkina Faso ». Mieux, certains professeurs le prenaient comme assistant. Ses années de stage à l’INERA lui ont donné une longueur d’avance sur ses camarades de l’Université régionale de Cape Coast. En 2007, il s’envole pour la Suède où il s’inscrit pour un Ph.D en management des ressources naturelles à l’Université suédoise des sciences agricoles (SLU). Là aussi, le jeune burkinabè soutient sa thèse en trois ans chrono sur le thème : « l’impact de la migration paysanne sur les ressources naturelles au sud du Burkina Faso ». Une thèse d’une importance majeure pour le Burkina Faso mais qu’il n’a jamais pu présenter aux autorités du ministère de l’environnement, malgré ses multiples tentatives. Pendant ses études doctorales, il a eu l’opportunité d’aller à la NASA, de donner des conférences aux Etats-Unis d’Amériques, à Boston, Michigan, Washington, Las Vegas, etc. En 2010, le Ph.D en poche, malgré les offres de recrutement de plusieurs universités européennes, le jeune docteur décide de rentrer au bercail. Il est recruté comme chercheur à l’INERA.

Le prix de l’abnégation au travail

l y passe deux ans (2010-2012) avant de repartir en Europe. En position de détachement, Dr Ouédraogo passe successivement trois mois à l’Université Frankfort d’Allemagne comme chercheur, deux ans au Stockholm Resilience Center de l’Université de Stockholm. « En Suède j’avais l’avantage de me concentrer sur mes recherches sur l’Afrique », soutient-il. Après deux années de recherche dans ce centre suédois, Issa Ouédraogo revient en Afrique pour d’autres expériences de recherche. Il atterrit à Nairobi, au Kenya, au World Agroforestry Center (ICRAF). Deux ans plus tard, l’enfant du Ganzourgou s’installe à Dakar en 2016 où il est recruté comme coordonnateur du projet USAID/CINSERE pour le compte de l’ICRISAT/ CCAFS. En six ans à la tête de ce projet, M. Ouédraogo a fortement contribué à l’atteinte de l’objectif d’« accroître la résilience des agriculteurs, des éleveurs, des pêcheurs par l’utilisation de l’information climatique ». Plus de 500 mille producteurs sénégalais ont été formés sur l’information climatique, plus d’un million d’agriculteurs et de pêcheurs, dont 33% de femmes, ont accès aux SIMC. Désormais, ces agriculteurs utilisent les informations climatiques produites pour prendre des décisions adéquates sur le choix des variétés, des types de champs, des dates de semis, de sarclage, de désherbage, d’épandage des engrais, de récolte, etc. et maximisent ainsi leurs rendements agricoles malgré les fortes variabilités climatiques dans le temps et dans l’espace. Ces performances satisfont aussi bien le bailleur, le gouvernement du Sénégal que les utilisateurs potentiels des informations climatiques. Chercheur très prolixe, celui qui est Maître de recherche (CAMES) depuis 2020 est auteur/coauteur de plus d’une trentaine d’articles scientifiques. Ce parcours honorable, M. Ouédraogo le doit à son sérieux, à son ardeur au travail. « J’ai excellé dans un domaine où il n’y avait pas beaucoup de monde. Mais avant tout, c’est le travail. En tant que Burkinabè, quand je m’engage dans une activité, je me donne à fonds. Quand on me confie un travail, si je ne l’exécute pas avec perspicacité, je ne me sens pas honoré », confie-t-il. La compétence, le professionnalisme et l’ardeur au travail de Dr Ouédraogo est reconnu par ses collaborateurs. Dr Sarr Ndèye Seynabou Diouf est manager en suivi-évaluation au projet USAID/CINSERE. Elle fait partie de ceux qui ne tarissent pas d’éloges sur l’enfant du Ganzourgou.

L’incarnation du mot “intègre“

« Sur le plan professionnel, M. Ouédraogo est doté d’une grande compétence et a une excellente capacité de travail en équipe. Il n’hésite pas à partager ses connaissances avec ses collègues. J’ai beaucoup appris à ses côtés et aujourd’hui, il peut se réjouir d’avoir joué un grand rôle dans ma carrière de chercheur. Dans ma courte expérience, j’ai vu rarement une personne aussi droite et transparente dans la gestion des fonds. Il est à la fois rigoureux et méthodique », confie-t-elle. Au-delà de ses qualités professionnelles, le jeune Maitre de recherche a des valeurs humaines et sociales qui ont facilité son intégration dans la société sénégalaise, où il s’y sent bien. « J’ai toujours eu cette chance d’être bien intégré partout où je suis passé. J’ai eu la bénédiction de mon père qui me disait : “ Issa partout où tu iras, tu n’auras aucun problème “ », se remémore-t-il. Sur le plan social, M. Ouédraogo est un homme très ouvert, humble, serviable, avec une grande capacité d’adaptation, confirme Mme Diouf. « Grâce à ses qualités humaines, il est devenu aujourd’hui le fils adoptif de ma famille. M. Ouédraogo est d’une bonté rare, prêt à partager tout ce qu’il a pour faire plaisir aux autres.

Je remercie le bon Dieu de l’avoir mis sur mon chemin car il a toujours été là pour moi. Il est en somme l’incarnation du mot « intègre » tel que le décrivait feu Thomas Sankara », ajoute Dr Sarr Ndèye Seynabou Diouf. De l’avis de l’ancien étudiant de Zogona, le Burkinabè est très bien respecté au pays de la Téranga. « Quand vous dites que vous êtes Burkinabè, on vous dit : “ vous êtes bien chez vous “. Ici, il est reconnu que le Burkinabè est un travailleur, honnête. C’est quelque chose qu’il faut travailler à sauvegarder », soutient-il. Du haut de ces 48 ans, Dr Ouédraogo est actif au sein des mouvements associatifs de la diaspora burkinabè au Sénégal. Membre de l’Union fraternelle des ressortissants burkinabè au Sénégal (UFRBS), il est également membre du bureau de l’Amicale des Burkinabè des Organisations des Nations unies et partenaires au Sénégal (ABONUPS) dont il est le président depuis décembre 2020. Avec une centaine de membres, cette association a déjà apporté sa solidarité à la mère patrie à travers un soutien aux déplacés internes et à la prise en charge des malades de la COVID-19. Loin de sa terre natale, Issa Ouédraogo est très peiné par ce que traverse son cher Faso sur le plan sécuritaire. « Personnellement, je suis très triste. Être à l’étranger et voir les terroristes empêcher le développement de mon pays me fait très mal. Le Burkina Faso ne mérite pas cela », déplore-t-il. Mais il ne perd pas espoir qu’un jour, le pays des Hommes intègres viendra à bout des forces du mal et retrouvera sa stabilité d’antan. –

Joseph HARO josephharo@gmail.com

Mahamadi SEBOGO Windmad76à@gmail.com

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