Editorial : cultiver une autre image

Devinez dans quel pays ont été récoltées ces statistiques en 2015 : 43 millions de pauvres, 15 millions d’affamés, plus de deux millions de prisonniers, 16 000 mariages de mineurs, 13 200 morts par armes à feu. Certains se sont peut-être déjà trompés. Ce n’est pas en Afrique que cela se passe, comme on serait tenté de croire, mais bel et bien aux Etats-Unis. Pourtant le pays de l’oncle Sam reste l’un des Etats jouissant d’une meilleure image dans le monde et continue de nourrir le rêve américain de nombreux jeunes. Qu’en est-il du continent africain ? Les Universités africaines de la communication de Ouagadougou (UACO), édition 2019, posent la problématique à partir de ce lundi 25 novembre, sous le thème interpellateur : « Communication et géopolitique : construire une autre image de l’Afrique ».

Trop longtemps, en effet, l’image de l’Afrique perçue comme un bloc monolithique a été celle des autres. C’est-à-dire une construction autour du symbolisme occidental du noir (deuil, tristesse, désespoir, peur, mort…) et des représentations associées sans une volonté d’échange et de compréhension mutuelle. Gageons que l’exercice heuristique engagé à Ouagadougou sur une autre image de l’Afrique sera enfin le déclic d’une prise de conscience individuelle et collective de cette réalité plutôt anglo-saxonne de ce qu’on appelle « Nation branding » (la marque d’un pays), c’est-à-dire, projeter une image positive contrôlée, sans aucun étalage excessif des problèmes, en dehors de la tentation du déni systématique des réalités. Enfin, disons-nous, parce que nos pays ont longtemps ramé à contrecourant de la dynamique. Alors que les puissances travaillent à renforcer leur voix et leur soft power (l’influence douce) en vertu duquel l’Etat le plus puissant n’est pas forcément celui qui a plus de têtes nucléaires. Ce, à travers des agences de presse qu’ils veulent tout aussi influentes. Sous nos tropiques en revanche, l’heure était au « démantèlement » des agences nationales de presse qui ne représentaient souvent que les « majors » de l’information sur le plan national, au profit de certaines publications internationales particulièrement cotées dans nos palais présidentiels. Le résultat est là. Il n’est pas à l’avantage du continent : la construction d’une autre image va au-delà de la nécessaire réhabilitation des agences nationales de presse sur d’autres modèles que ceux hérités de la colonisation avec des moyens conséquents et la création de medias d’envergure internationale.

En matière de presse, cette tendance est observable au Burkina Faso et au Niger notamment où elles sont en train de retrouver timidement la plénitude de leurs attributions grâce à une volonté politique affirmée. Il faut rappeler à juste titre que l’histoire du continent, en général, a été écrite dans les mêmes conditions, faisant notamment des soldats africains qui ont héroïquement participé à la libération de la France, de simples tirailleurs « sénégalais » sans nom. Autrement, que personne ne s’émeuve de voir que le géant économique nigérian soit réduit à Boko Haram, que le Sahel soit présenté sous le seul angle de la menace terroriste, que le Burkina Faso ne renvoie plus qu’à l’insurrection populaire de 2014 et que la surnatalité supposée soit élevée au rang des problèmes prioritaires de développement du continent. Aussi un véritable aggiornamento s’impose-t-il au sein de nos classes politiques et dirigeantes actuelles plus enclines à « se confier » aux médias étrangers….

Pour qu’advienne cette autre image de l’Afrique, il va falloir nous atteler, comme disait Joseph Ki- Zerbo « à désenchaîner les consciences et les subconscients. » Ce qui passe par une éducation citoyenne à même de « fabriquer » une élite consciencieuse fondue dans la masse qui  va parler pour éclairer le peuple et lui faire comprendre qu’il est parmi les plus grands d’Afrique et que par conséquent il ne saurait plier l’échine.

Par Mahamadi TIEGNA

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