Filière sésame dans la Boucle du Mouhoun : les producteurs entre craintes et espoir

Deuxième produit d’exportation du Burkina, le sésame est, en ce moment, l’une des filières les plus porteuses. Il est produit dans plusieurs régions. Dans la Boucle du Mouhoun, c’est une activité qui se mène de père en fils et permet à la région d’occuper la deuxième place après l’Est.  Mais les producteurs sont confrontés aux défis organisationnels et aux réalités du marché…

A l’étape de séchage, le sésame demande à être protégé de la pluie et de tout contact avec l’eau.

Des milliers de personnes vivent des revenus de la filière sésame au Burkina Faso : les producteurs, les collecteurs bord champs, les commerçants locaux, les grossistes, les transformateurs et les exportateurs. De père en fils, ces acteurs tentent de pérenniser  l’activité qu’ils mènent comme c’est le cas dans la région de la Boucle du Mouhoun. A Boromo, de simples ventes de friandises de sésame couramment appelées « bènè », ont construit des vies de familles. Boulguissa Guira, 52 ans, affirme avoir exercé cette activité pendant plus de 30 ans avant de passer la main à ses filles et belles-filles. Comme elle, de nombreuses autres personnes au sein de l’association « Basnéré » sont passées par là. Au-delà des discours politiques, la filière sésame est prometteuse. Au 15e Salon international de l’artisanat de Ouagadougou, cette année, des femmes de plusieurs régions ont exposé dans leurs stands du sésame et des produits dérivés.

Président de l’Union régionale des producteurs de sésame de la Boucle du Mouhoun, Elisée Sama, a fait ses premiers pas dans la culture du sésame du temps de son grand-père. A l’époque, cette spéculation n’avait pas une valeur marchande et était destinée à la consommation familiale. A Passakongo, son village natal, il a commencé avec le sésame sur ½ hectare (ha) en 1993 pour atteindre 6 hectares en 2018. Avec les revenus de son activité, elle a pu s’acheter une moto, quatre vélos, construire deux maisons dans son village, payer les frais de scolarité de ses enfants, etc. « En 2015, poursuit-il, je suis tombé malade et c’est grâce à la vente du sésame que j’ai produit que j’ai pu me prendre en charge trois mois durant ». Justin Dakuyo, président provincial des producteurs de la Kossi, dit avoir construit deux maisons, acheter deux parcelles à Nouna dont une a été mise en valeur grâce au sésame. Quant à Victor Namboho des Banwa, il s’est constitué, après une quinzaine d’années de production du sésame, un cheptel de quinze bœufs, entre autres.

A Dédougou, les commerçants trouvent en général que «  la filière est rentable», en dehors de certains effets pervers, comme le souligne Souleymane Ouédraogo. Pour Hamadou Sama, les revenus du sésame sont à la base de plusieurs de ses réalisations et lui permettent de résoudre certains problèmes au quotidien dans la famille.  Convaincus que les exploitants peuvent en tirer plus de profits, il suggère que les autorités travaillent à assainir le milieu.

Répondre à la demande avec du sésame de qualité

Le Burkina Faso, selon le directeur de cabinet du ministre du Commerce, Christian Somda, est le quatrième pays exportateur de sésame derrière l’Ethiopie, l’Inde et le Soudan. De 2011 à 2015, la production est passée de 58 500 t à 171 500 t et a généré 350 milliards francs CFA par an en moyenne.

 

« Il faut que nos producteurs se conforment aux règles de production pour s’insérer dans le marché international »,

 

En dehors des dépenses quotidiennes, Safiatou Maïga après quinze années de vente du ‘’bènè’’, a acquis quatre moutons et cinq chèvres et veut s’acheter une moto.

Le sésame burkinabè, à l’entendre, intéresse des pays comme le Japon, l’Inde, les Etats-Unis, Israël. Un vaste marché à conquérir, de l’avis de M.Somda.  Mais cette forte demande n’est pas sans conséquence, car les acheteurs exigent un produit de qualité. « Il faut que nos producteurs se conforment aux règles de production pour s’insérer dans le marché international », souligne le Directeur régional de l’agriculture et des aménagements hydrauliques (DRAAH) de la Boucle du Mouhoun, Gustave Sanon. Il rappelle que le sésame de sa région a été victime de déclassement, les deux dernières années, compte tenu des pesticides que les producteurs utilisent. C’est pourquoi, il sensibilise à l’utilisation de produits de traitement homologués à des stades bien précis, relativement à la préparation du sol, au labour, à la pulvérisation et au renouvellement du terrain. Acheteur-revendeur du sésame depuis 2005, Hamadou Sama, commerçant de céréales et légumineuses à Dédougou, a souffert avec du sésame de mauvaise qualité et souhaite que les producteurs veillent sur le produit de la récolte à la vente.

Pour ces derniers, ce n’est pas toujours facile. Justin Dakuyo soutient que lorsque les récoltes sont précoces, il y a des risques de pertes. « En cas de pluie, nous retrouvons des moisissures sur le sésame et lors du séchage, des insectes sucent les grains », souligne-t-il. Une des conséquences, selon plusieurs producteurs, de l’utilisation abusive des pesticides souvent non homologués. Victor Namboho et Elisée Sama relèvent certaines contraintes qui ont un impact négatif sur les rendements. Le premier parle des grandes pluies intervenant après les semis qui font que les grains ne poussent pas. Quant au second, il cite le difficile accès aux crédits, les cas d’attaque de chenilles qui leur sont préjudiciables.

Fort heureusement, l’Etat accompagne les producteurs par un appui en semences, la formation pour le suivi des itinéraires techniques, afin de minimiser les risques. De même, Lutheran World Relief (LWR) et la Coopération japonaise (JICA) forment les producteurs par le biais des champs-écoles.

Assainir les circuits de commercialisation

Conditionné le sac de 80 kg de sésame se négocie entre 40 et 50 000 francs CFA. Conscients de sa rentabilité et de la forte demande à l’international, les producteurs manifestent un engouement particulier pour cette spéculation, selon le DRAAH. « La production est en croissance. Et vu les réalités actuelles, avec le coton, nous aurons une hausse importante des superficies et des productions », révèle-t-il.

Malheureusement, de nombreux acteurs de la filière, les producteurs en particulier, trouvent les gains en deçà de leurs efforts et fustigent les circuits de commercialisation. Victor Namboho, par exemple, dénonce l’attitude de certains commerçants qui profitent de leur précarité. « A la rentrée, des commerçants passent voir les producteurs pour leur proposer de l’argent avant même la récolte. Ainsi, pour le sac de 80kg, ils peuvent proposer 25 000 francs CFA en deçà du prix réel situé entre 40 et 50 000 francs CFA », confie-t-il. Elisée Sama embouche la même trompette pour fustiger les comportements malsains de certains acteurs : « En 2017, nous avons organisé une bourse du sésame avec les commerçants de Dédougou, de Bobo-Dioulasso et de Ouagadougou. Pendant que nous étions en train de négocier le prix du kg à 550  francs CFA, les mêmes ont envoyé des gens acheter le même sésame à 600 francs CFA le kg à Solenzo ».

« La filière connaîtra un souffle nouveau avec cet appui du gouvernement »

 

Avant d’arriver aux friandises, il faut passer des jours à vanner et trier le sésame pour le débarrasser des cailloux et autres saletés.

Indexés, les commerçants se dédouanent et chargent, à leur tour, les exportateurs. Selon  l’un des exportateurs, Souleymane Ouédraogo, ils sont les perdants de la chaine, eux qui, depuis trois années sont confrontés à la fluctuation des prix. « Nous prenons le sésame à Dédougou à des prix raisonnables et une fois à Ouagadougou, on nous dit que les cours ont baissé et on nous oblige à vendre moins cher que le prix auquel nous l’avons acheté », s’emporte-t-il. Pour Hamadou Sama, en plus de la perte, quand le produit est de mauvaise qualité, ils font face à des prix très volatiles. « C’est presque chaque jour avec son prix », renchérit-il. Sékou Tibi, délégué régional de la Chambre de commerce et d’industrie de la Boucle du Mouhoun enfonce le clou, affirmant qu’à certains moments, les Indiens viennent jusque dans les champs pour acheter le sésame. « Ils viennent avec leurs bascules à Djibasso ou à Nouna pour acheter directement. Et quand nous leur  proposons notre prix, eux ils ajoutent 50 ou 100 francs CFA et tout le monde se rue vers eux », raconte-t-il. Finalement, pour qui brille le sésame ? A cette question Sékou Tibi est formel : « pour les importateurs qui grugent tout le monde ».

De qui viendra le salut pour tous ces soi-disant perdants ? De l’organisation de tous les acteurs comme chacun le pense. Chez les producteurs, les lignes bougent pour barrer la route aux commerçants véreux. Le gouvernement aussi n’est pas en reste. Le ministre de tutelle, Harouna Kaboré, promet veiller à l’application des décisions du comité de fixation et de régulation des prix du sésame (Voir encadré). « La filière connaîtra un souffle nouveau avec cet appui du gouvernement », conclut la présidente de l’Interprofession du sésame du Burkina (INTERSEB), Adja Mamounata Vélegda.

De belles promesses avec la vente groupée

une moto (S12_4680). Le directeur régional de l’agriculture de la Boucle du Mouhoun, Gustave Sanon : « Les produits de traitement ne sont pas interdits, mais il faut des produits homologués».

Pour préserver la filière sésame des ‘’prédateurs’’, il faut privilégier la vente groupée et encourager les producteurs à produire plus. Pour le DRAAH, Gustave Sanon, il s’agira à chaque campagne de commercialisation, d’organiser la collecte des productions et de rechercher le marché. Elisée Sama trouve qu’il faut amener,  en premier lieu, les producteurs à comprendre l’intérêt de la vente groupée et ensuite, disposer de fonds pour faire des avances aux producteurs pour leurs besoins immédiats. « En ce moment, croit-il, nous aurons la capacité de mobiliser le produit et attendre la vente groupée ». Et pour relever le défi de la qualité, Victor Namboho plaide pour la construction d’un bon magasin qui répond aux normes. Les magasins d’intrants qu’ils utilisaient étant proscrits.

En sa qualité de premier responsable des producteurs dans la Boucle du Mouhoun, Elisée Sama est convaincu qu’ils n’arrivent même pas à tirer profit de leurs productions. Et face à ceux qu’il accuse de vouloir manger à leur dépens, il souhaite que le producteur soit au cœur de toutes les préoccupations. Avec la vente groupée initiée depuis 2015, l’Union régionale compte réussir la commercialisation à compter de cette année. Avec l’appui de certains partenaires, Elle a acquis des unités de nettoyage pour rendre le produit propre avant de le mettre à la disposition des commerçants. A long terme, il suggère que l’on pense à la transformation pour réduire les pertes en cas de mévente à l’extérieur. Lentement et sûrement, des lendemains meilleurs se profilent à l’horizon pour les acteurs de la filière sésame et principalement les producteurs qui n’attendaient que ça.

 Tielmè Innocent KAMBIRE


Ce qu’il faut savoir sur le sésame

A l’origine, c’est une plante de l’Afrique tropicale, qui, par la suite, a vite gagné l’Asie. On la considère comme le plus ancien fruit des champs fournissant de l’huile comestible. On a déjà des traces de son existence en Mésopotamie en 2 350 av. J-C. Les graines contiennent 50% d’huile dont l’extraction doit se faire de façon très fine. On s’en sert aussi dans l’industrie pharmaceutique et cosmétique, de même que comme additif à la margarine. En Asie et en Egypte, le sésame est bien plus utilisé comme céréale que comme oléagineux : les graines décortiquées peuvent être mangées en purée, comme épice ou en confiserie. En Europe et en Amérique de Nord, ses utilisations les plus célèbres sont la garniture de hamburger et les barres sucrées. Les jeunes feuilles et les pousses sont aussi comestibles. Les résidus de l’extraction, appelés tourteaux, riches en protéines, sont utilisés comme fourrage de qualité pour le bétail.

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Source : ABC Burkina


La campagne de collecte en marche

En début novembre 2017, selon le service d’information spécialisé n’kalo de l’ONG Rongead, les prix différaient d’une zone à une autre. Ainsi à Bobo-Dioulasso et ses environs, le kilo était vendu entre 450 et 500 francs CFA, 350 à 400 F CFA à Léo et au Centre-Ouest et 900 à 1 000 francs CFA au Centre-Est et à l’Est. Cette année, le comité de fixation et de régulation des prix du sésame a fixé le prix du kilo à 600 francs CFA pour le sésame blanc et 575 francs CFA pour le bigarré, à l’occasion du lancement de la campagne de collecte et de commercialisation, le 15 novembre dernier.  La structure a fixé la date du 1er décembre comme début des exportations et interdit l’achat du sésame bord champs aux exportateurs, de même que la sortie du sésame non nettoyé. Le ministre du Commerce, Harouna Kaboré, a promis la mise en œuvre de ces mesures sur le terrain.

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