Fonds minier de développement local : Les collectivités toujours dans l’attente de leurs lingots

Le maire de Falagountou, Saïdou Maïga : «Le Fonds minier de développement local permettra aux collectivités territoriales de se construire».

Quatre ans après sa création, le Fonds minier de développement local (FMDL) n’est pas encore opérationnel. Les collectivités territoriales n’ont reçu aucun financement pour mettre en œuvre leurs plans locaux de développement. Toute chose qui a poussé les maires des communes minières, à une sortie médiatique pour interpeller le gouvernement quant au respect de ses engagements. Car, le ministère des Mines et des Carrières rassure qu’un milliard 800 millions FCFA ont été versés par les compagnies minières et la répartition sera faite aux bénéficiaires. Quelle est la réalité avec la mine d’or de IAMGOLD/ESSAKANE SA installée dans la région du Sahel ? Enquête !

Institué par la Loi N°036-2015/CNT du 26 juin 2015, portant code minier du Burkina Faso en son Article 25, le Fonds minier de développement local (FMDL) est alimenté à la fois par l’Etat et les compagnies minières. Selon l’Article 26 du code, «le FMDL est alimenté d’une part par l’Etat à hauteur de 20% des redevances proportionnelles collectées, liées à la valeur des produits extraits et/ou vendus et d’autre part par des titulaires de permis d’exploitation de mines et les bénéficiaires d’autorisation d’exploitation industrielle de substances de carrières à hauteur de 1% de leur chiffre d’affaires mensuel hors taxes ou de la valeur des produits extraits au cours du mois».

Ainsi, comme l’exige toujours l’Article 26, cette manne financière générée par le Fonds est affectée au financement des Plans régionaux de développement (PRD) et des Plans communaux de développement (PCD) des collectivités territoriales et est prioritairement destinée aux secteurs sociaux. IAMGOLD/ESSAKANE SA est la plus grande mine du Burkina. Située dans la région du Sahel, elle est implantée sur trois communes que sont Falagountou, Gorom-Gorom et Markoye.

A l’instar du conseil régional du Sahel, ces communes ont bien accueilli la création du FMDL. Dans la perspective de cette manne financière, toutes ces collectivités ont relu leur plan, à l’exception de Markoye, du fait de l’enlèvement du maire, Mamoudou Mahamane Herou par des individus armés non encore identifiés le 21 mars dernier.

Cette relecture vise à arrimer ces plans au Plan national de développement économique et social (PNDES) en vue de se conformer non seulement aux priorités des communautés mais également au référentiel national. «La préoccupation première de tout président de collectivité est de savoir où trouver les ressources pour faire fonctionner sa structure.

Ce n’est pas où investir qui pose problème mais où obtenir les ressources pour investir», ironise le président du conseil régional du Sahel, Hamidou Dicko. Et le maire de Falagountou, Saïdou Maïga, par ailleurs président de l’Association des municipalités du Burkina Faso (AMBF), section du Sahel, de renchérir : «A travers ce Fonds, nous ne ressentirons plus uniquement les impacts négatifs, mais surtout les bienfaits d’une exploitation minière dans une commune».

Quant au directeur des programmes de l’Organisation pour le renforcement des capacités de développement (ORCADE), Jonas Hien, il estime pour le compte de la société civile, que la création du FMDL a été bien réfléchie. En clair, soutient-il, le Fonds participera au mécanisme de prévention des conflits sur les sites miniers parce que lors des investissements, les communautés verront du concret dans l’amélioration de leurs conditions de vie.

Le désenchantement

IAMGOLD/ESSAKANE SA s’est refusé à tout commentaire sur le FMDL.

Quatre ans après sa création, l’opérationnalisation du FMDL n’est toujours pas effective puisque l’objectif recherché qui est la satisfaction des besoins sociaux des populations riveraines n’a pas encore été atteint. C’est pourquoi, l’on pourrait qualifier la joie des collectivités de courte durée, voire d’un désenchantement. Pour preuve, le maire de Gorom-Gorom, Ibrahim Ag Attahir, déclare que depuis l’adoption du FMDL jusqu’à ce jour (ndlr : 9 avril 2019), «nous n’avons pas encore reçu la subvention».

Abondant dans le même sens, le secrétaire général de la commune de Markoye, Moussa Ouédraogo, a affirmé le 17 du même mois, n’avoir reçu aucun centime venant de ce fonds. Face à cette situation de non-opérationnalisation du FMDL, le président régional de l’AMBF/ Sahel, Saïdou Maïga, a fait savoir que le sujet a été inscrit à l’ordre du jour de la 15e édition de la Journée des communes tenue à Kaya en novembre 2018, parce que le fonds concerne l’ensemble des communes et des régions du Burkina Faso.

«Cela a permis que les discussions avancent et de faire savoir au gouvernement que les maires tiennent à leur fonds», clame M. Maïga. Par la suite, c’est le Réseau des communes minières du Burkina Faso qui est monté au créneau à travers une sortie médiatique, le vendredi 12 avril 2019 à Ouagadougou, pour exiger l’opérationnalisation de ce  fonds. «Comme les lignes ne bougeaient pas, nous sommes passés à une étape supérieure en procédant à une interpellation citoyenne de sorte que le fonds soit opérationnel et que ceux qui doivent payer le fassent», a confié le maire Maïga du réseau.

Au cours d’une conférence de presse, le vendredi 3 mai 2019 à Ouagadougou, soit trois semaines plus tard, le ministre des Mines et des Carrières, Oumarou Idani, a rassuré que le FMDL connaît un niveau d’opérationnalisation «très avancé». Aux dires du ministre, son alimentation est effective pour 2018. Il a fait savoir qu’à la date du 28 mars 2019, les sociétés minières ont procédé au paiement effectif de 1 milliard 800 millions F CFA au titre du 1% de leurs chiffres d’affaires.

Le hic, soutient le ministre Idani, est que les montants versés constituent des avances faites par les mines pour la contribution de la seule année 2018. Quant à l’Etat, a-t-il indiqué, il a donné une contribution de deux milliards F CFA. L’autre incompréhension, la loi a été adoptée en juin 2015, mais ses textes d’application datent de janvier 2017. Donc, pour le ministre, l’année d’entrée en vigueur du FMDL est 2017, passant pour perte et profit, les contributions des années 2015 et 2016.

Selon le rapport publié en fin d’année 2018 sur «l’état des lieux de la mise en œuvre du nouveau code minier du Burkina Faso» de la société civile du secteur minier (page 48), en 2017 et 2018, plus de 48 milliards F CFA devaient être collectés au profit du fonds minier de développement local. Sur le cas précis de IAMGOLD/ESSAKANE SA, elle a réalisé en 2017, un chiffre d’affaires de 323 milliards FCFA. 1% de cette somme représenterait 3,23 milliards FCFA pour la seule année, soit environ 6,4 milliards FCFA pour les années 2017 et 2018. Pourtant, en fin mars 2019, cette société n’avait payé que 350 millions F CFA.

A en croire une source bien introduite, la Chambre des mines évoque la clause de stabilité fiscale contenue dans les conventions minières des sociétés en production avant l’adoption du code minier de 2015 pour expliquer la réticence à alimenter le fonds. Approchée, IAMGOLD/ESSAKANE SA a refusé de se prononcer sur la question de la mise en œuvre du FMDL.

«L’Etat n’a pas joué son rôle»

Le ministre Idani a rappelé qu’à son arrivée à la tête de ce département, le 20 février 2017, il y avait un blocage. Il révèle que les sociétés minières en production avant l’adoption du code minier de 2015 considéraient qu’elles ont dans leurs conventions minières, des clauses de stabilité fiscale.

Par conséquent, poursuit-il, dans un tel contexte, il n’était pas question de contribuer au FMDL qu’elles considéraient comme un nouvel impôt. «Elles ont même signifié qu’elles étaient prêtes à aller en arbitrage international parce que c’est un point de principe que l’Etat doit respecter», relate le ministre. A ce sujet, Jonas Hien de l’ONG ORCADE dit avoir mis au défi les sociétés minières de contester le FMDL en ces termes : «si vous pensez vraiment que vous êtes dans vos droits, faites-les prévaloir».

En réalité, insiste le directeur des programmes d’ORCADE, il n’en est rien puisque c’est du «chantage inutile» qui a fait perdre du temps et dans lequel piège le gouvernement est tombé. Mais, le ministre Idani ajoute que ces anciennes mines disent avoir présenté des études de faisabilité avec une fiscalité qui n’intègre pas le FMDL, donc cela grève leur rentabilité. «Nous convenons toutefois qu’il faut donner une forme juridique à l’engagement de ces sociétés à contribuer au Fonds.

Toute chose qui aura pour avantage, de protéger à la fois l’Etat et les compagnies minières et de rassurer la communauté des investisseurs que le Burkina Faso est un pays dans lequel ils peuvent faire des investissements très importants», fait comprendre le président de la Chambre des mines du Burkina, Tidiane Barry.

Le ministre des Mines et des Carrières, Oumarou Idani : «Le 30 juin de chaque année, nous devons faire un rapport public sur la mise en œuvre du FMDL».

C’est pourquoi, Oumarou Idani dit avoir proposé une négociation parce que : «lorsque vous avez des partenariats internationaux, vous êtes obligés de respecter un certain nombre de normes internationales». En réponse, Jonas Hien, opine que le FMDL n’est pas encore opérationnel parce que l’Etat n’a pas joué son rôle.

Dès lors qu’une loi a été votée, estime-t-il, «si vous êtes un pays qui veut être respecté, il faut d’abord que vous la fassiez respecter». Il a en outre argumenté que «si l’on sait que vous êtes un pays flexible qui laisse passer, on peut se permettre ce que nous voyons aujourd’hui avec les sociétés minières qui se prennent pour des Etats dans un Etat».

Cette idée est réfutée par M. Barry qui déclare que le Burkina Faso a la chance d’avoir des partenaires miniers qui sont des sociétés bien structurées, de classe mondiale et qui ont pour valeur le respect des lois, règlements et coutumes des pays où elles font des affaires. De l’avis du ministre des Mines et des Carrières, des conclusions des tractations, il est prévu que les anciennes compagnies minières qui avaient leur convention avant l’adoption du FMDL vont l’alimenter effectivement à hauteur de 1% de leur chiffre d’affaires, mais à travers une convention séparée où elles s’engagent à contribuer.

En plus de la convention séparée, Oumarou Idani a laissé entendre que celles-ci ont souhaité que dans le calcul de ce qu’elles doivent payer au compte du FMDL, l’on tienne compte des financements apportés au développement local. En effet, selon le rapport de développement durable de IAMGOLD ESSAKANE SA de septembre 2018, la mine a contribué pour un montant de 1,818 milliard F CFA de 2014 à 2017, dans ce cadre. Falagountou et Gorom-Gorom ont bénéficié chacune de 725 millions F CFA. Elles sont suivies de la commune de Dori avec 210 millions F CFA, du conseil régional du Sahel et de la commune de Markoye avec respectivement 80 millions et 78 millions F CFA.

Comparé au 6,4 milliards F CFA qu’elle doit, l’on comprend la réticence des sociétés minières. Mais dans ce cas, même défalqué des 6,4 milliards F CFA dus, IAMGOLD ESSAKANE SA devra encore 4,6 milliards F CFA au fonds. C’est en ce sens qu’il a été mis en place une commission ad hoc pour tout formaliser, informe le ministre Idani. Sur cet aspect, Jonas Hien martèle que le ministère s’est fait avoir puisqu’il n’était pas obligé d’accéder à cette requête.

Il suffisait de leur demander de respecter la loi, préconise-t-il. Qu’à cela ne tienne, si le ministre dit que la commission a travaillé sur une convention séparée type que les anciennes compagnies minières devront signer, il explique que cette convention leur permettra de faire le point des investissements réalisés et validés par les collectivités territoriales.

Qui entrave l’opérationnalisation du FMDL ?

Dans sa déclaration liminaire, le ministre Idani a annoncé que le dispositif de gestion du fonds est opérationnel aussi bien au niveau national que local. «Dans les jours à venir, il sera procédé, conformément à la réglementation, à une répartition du fonds et au versement des montants dus aux communes déjà invitées à disposer de comptes spéciaux FMDL», avance-t-il. En réalité, le ministre a adressé une correspondance en date du 23 avril 2019 au président de l’AMBF, lui demandant d’inviter les communes abritant des sites industriels de mines et des carrières à se rapprocher des services du Trésor public pour l’ouverture de comptes.

Mais, l’on se demande pourquoi le ministre des Mines a attendu la sortie médiatique du Réseau des communes minières avant de les inviter à créer des comptes bancaires et faire part des paiements des mines qui datent de 2018 ? Aux dernières nouvelles, la correspondance du ministre des Mines et des Carrières est arrivée aux communes le 8 mai 2019. Pourtant, le décret d’application portant organisation, fonctionnement et modalités de perception du FMDL a été signé depuis le 23 janvier 2017. Par conséquent, l’on est en droit de se poser la question de savoir ce qui entrave vraiment l’opérationnalisation du FMDL.

Souaibou NOMBRE
Snombre29@yahoo.fr

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