Interdiction de l’exploitation du bois d’œuvre : Deux scieries dans un “coma” profond à Banfora

Les machines de la scierie Yiri à l’abandon depuis la fermeture.

A Banfora, dans la région des Cascades, deux scieries, Ghassoub et Coulibaly, souffrent de l’arrêt de l’exploitation du bois d’œuvre dans la région décrété par le gouvernement, le 15 septembre 2016. Cette décision a plongé les deux unités de transformation du bois dans une profonde léthargie, et des employés et de nombreuses familles dans
un dénuement total.

Un espace de plus de 35 000 m2 sans aucune présence humaine où contrastent un calme olympien et des cris d’oiseaux dans les arbres qui s’y dressent. C’est la physionomie que présente à Banfora (région des Cascades), la scierie Yiri dénommée scierie Ghassoub, en cette matinée du mardi 8 septembre 2020. Des traces d’activités récentes de travaux champêtres sont encore perceptibles sur la majeure partie du terrain. Le reste de la cour est envahi par de hautes herbes. L’atelier de la scierie jouxtant un nid de reptiles et autres rongeurs est visiblement dans un état de dégradation avancée.

Les machines abandonnées, il y a belle lurette, sont recouvertes de rouille et de poussière. Des tracteurs et des camions de transport, occupant une partie de la superficie, subissent le même sort. L’on retrouve ce triste décor à un jet de pierre de la scierie Yiri. A la scierie Coulibaly, le constat est aussi amer. La deuxième unité industrielle dans le secteur du bois au Burkina Faso est aujourd’hui un capharnaüm, où jonchent pêle-mêle de la ferraille et des machines…

Dans le vaste enclos, non loin de l’atelier, est stationné dans ce « dépotoir d’engins », un bulldozer qui a coûté 150 millions F CFA à l’usine, se désole le chef de l’entreprise, Nouhoun Coulibaly, un brin de tristesse. Ce « géant en fer» n’est plus en usage depuis longtemps. Cette léthargie des deux sociétés remonte au 14 septembre 2016. Ce jour

Le DG de la scierie Yiri, Alias Ghassoub : « La raison
de l’inexistence du bois n’est plus valable ».

marquera la fin de l’exploitation du bois d’œuvre dans la région des Cascades décrétée
par le ministère de l’Environnement, de l’Economie verte et du Changement climatique. Cette décision, tel un couperet sur « la tête » des deux industries, obligera leurs responsables à mettre la clé sous le paillasson, au grand désarroi des populations de la cité du Paysan noir.

« Avons-nous coupé du bois dans une forêt classée ? »

La fermeture des scieries intervient, alors que le chef de l’entreprise Yiri est hors du Burkina Faso. Avons-nous coupé du bois dans une forêt classée ou dans un bas-fond?, se demande-t-il à son retour. Mais le chef du personnel, Bernard Hema, le rassure que le cahier des charges a été strictement respecté. Qu’est-ce qui explique alors la fermeture de ma société ? s’interroge-t-il à nouveau. Il connaîtra le véritable motif deux jours plus tard. Un employé de la scierie Coulibaly aurait eu une prise de bec à Niangoloko avec un homme qui serait un ancien corps habillé.

« L’un de mes chauffeurs a rencontré cette personne qui lui a demandé s’il disposait d’une autorisation. L’agent lui a répondu qu’il a une autorisation du ministère en charge de l’environnement. L’homme en question, selon nos informations, se trouve être un militant de l’UNIR/PS. Ce dernier a appelé séance tenante le ministre pour lui rendre compte. C’est ainsi que le ministre Bassière a instruit le directeur régional chargé de l’environnement d’arrêter l’exploitation du bois d’œuvre», explique le DG de la scierie Coulibaly, très remonté.

La direction régionale de l’Environnement, de l’Economie verte et du Changement climatique des Cascades donne cependant une autre version. Son premier responsable, l’inspecteur des eaux et forêts, Nabonsba Ernest Yaméogo, affirme que la décision est motivée par un arrêté conjoint pris en 2005 par les ministres en charge de l’environnement et du commerce, suspendant l’exploitation du bois d’œuvre au Burkina Faso.

Un demi-milliard F CFA de pertes

Il note, en outre, que la menace de la flore est due en partie à l’exploitation frauduleuse du bois. Avec la crise ivoirienne, les compatriotes rentrés au pays avec des tronçonneuses s’adonnent, soutient-il, à une exploitation outrageuse du bois. « En plus, les études du second inventaire national (IFN2) réalisé en 2017 ont révélé que le potentiel de bois d’œuvre est fortement menacé dans la région. C’est ce qui a amené le ministère à prendre la mesure », déclare-t-il.

Les responsables des deux scieries balaient du revers de la main cette thèse qu’ils jugent « absurde ». « Un ami forestier qui désapprouve la fermeture des scieries sans raison m’a envoyé le fameux document sur l’inventaire réalisé en 2017 grâce au soutien de l’Union européenne. Ce document confidentiel révèle qu’il y a 260 000 mètres cubes de bois d’œuvre dans la région des Cascades. Ma scierie coupe en moyenne 700 à 800 mètres cubes par an et celle de Coulibaly entre 500 et 600 mètres cubes. Cela veut dire que nous coupons tout au plus 1 500 mètres cubes de bois par an. Dans ces conditions, les scieries peuvent encore travailler plus de 200 ans », argumente-t-il.

En sus, le cahier des charges impose aux deux unités des conditions strictes à respecter. « Nous plantons plus de 5 000 arbres par an. Nous les entretenons pendant 5 ans. Les deux scieries donnent chaque mois 200 à 250 litres de carburant à la direction régionale de l’environnement pour sa bonne marche. Nous payons aussi des manœuvres pour l’entretien des pépinières et nous rachetons les plantes pour le reboisement », détaille Alias Ghassoub. Pour lui, il est inconcevable qu’en ce XXIe siècle, une industrie en règle vis-à-vis de ses obligations soit fermée sur un simple coup de fil, avec à la clé, des pertes estimées entre 400 millions et 500 millions F CFA.

Pour redémarrer, il faut injecter, affirme-t-il, 200 à 300 millions F CFA dans l’entreprise Coulibaly. Plus d’une centaine d’employés se sont retrouvés sur le carreau à la suite de la fermeture de l’usine. Depuis le début de cette situation cauchemardesque, l’entreprise Yiri a perdu neuf de ses bras valides, déplore M. Ghassoub. Le responsable de la scierie Coulibaly se rappelle, à ce propos, d’un évènement tragique.

« L’épouse de l’un de nos travailleurs est tombée malade après son accouchement. Lors d’une rencontre avec le ministre, j’ai évoqué ce problème et supplié de revenir sur sa décision. Mais, c’était peine perdue. La femme et l’enfant ont rendu l’âme », relate-t-il, les yeux embués de larmes. Le chef de maintenance à la scierie Coulibaly, Fitiguié Diarra, après 35 ans de service, n’en revient toujours pas.

« La nouvelle nous est tombée sur la tête. Le gouvernement soutient qu’il lutte contre le chômage. Mais, comment peut-on lutter contre le chômage avec des usines fermées. Sur la quarantaine de personnes qui travaillent dans la scierie, chacune peut avoir entre quatre et six enfants. Cela donne une idée du nombre de personnes en difficultés », laisse entendre le sexagénaire, en colère.

Un bon signe

Le DG de la scierie Coulibaly, Nouhoun Coulibaly : « C’est comme un complot monté contre les scieries pour permettre
à d’autres personnes de s’enrichir ».

Deux de ses enfants initialement inscrits dans un institut à Bobo-Dioulasso ont dû interrompre les cours, faute de moyens financiers.
Les deux scieries ont formé au total 1 060 menuisiers dans la ville de Banfora. Chaque atelier emploie au moins cinq personnes avec plus de 5 000 emplois et paye entre 60 000 F CFA et 70 000 F CFA par an de taxes. Ce sont de véritables pertes pour l’Etat, relève le DG de l’usine Yiri. Boureima Ouattara est à la fois sculpteur et menuisier.

Il reconnaît que son travail était facilité par les produits des scieries qui ravitaillaient les clients en bois, planches, chevrons, etc., et ce, selon les dimensions souhaitées. Avec l’arrêt des unités, regrette-t-il, son temps de travail a été pratiquement multiplié par trois ou quatre. Cette situation préjudiciable, déplore-t-il, fait plutôt la part belle aux forestiers. «Certains d’entre eux affectés dans les Cascades, compte tenu des avantages qu’ils gagnent, comparent la région à Cinkansé, une ville aussi convoitée par des agents de douane », justifie-t-il.

Au regard de la situation critique, M. Ouattara et Diarra invitent le gouvernement à se pencher « sérieusement » sur la question. Selon le directeur régional de l’Environnement et de l’Economie verte des Cascades, le ministère de tutelle, au regard de la pression sociale, a pris une note autorisant la réouverture des scieries à compter du 1er juillet 2020 pour une période de six mois.

Pour M. Ghassoub, cette décision est un bon signe. Mais, il regrette l’absence de mesures d’accompagnement. Où allons-nous dénicher la centaine de millions pour relancer nos sociétés surtout que nous étions endettés ? s’interroge M. Coulibaly. Une réunion à Banfora sur la réouverture et les dédommagements des scieries s’est tenue avec le gouverneur sans pour autant parvenir à dresser un bilan commun des pertes.

C’est pourquoi, les patrons d’entreprises disent poursuivre les démarches auprès du président du Faso, du président de l’Assemblée nationale, du Médiateur du Faso et d’autres personnalités pour une issue heureuse de la situation. « Le Médiateur nous a demandé de patienter. Et cela fait quatre ans que nous vivons ce calvaire», relève le DG de la société Yiri. Les regards désormais tournés vers la capitale, les acteurs concernés n’ont qu’un seul vœu : voir la fumée blanche sortir dans les meilleurs délais afin de permettre à l’économie de la cité du Paysan noir de retrouver son lustre d’antan.

Abdoulaye BALBONE


Une idée du président Maurice Yaméogo

L’histoire de la scierie Yiri débute en 1957 et 1958, explique l’actuel Directeur général (DG) et fils du fondateur de l’entreprise, Alias Ghassoub. « Mon père transportait du bois au Burkina Faso à partir du Ghana où il avait deux scieries. Il séjournait régulièrement à Ouagadougou. C’est là-bas qu’il croisera le président Maurice Yaméogo et celui de l’Assemblée nationale, Begnon Damien Koné. Le président lui a alors suggéré d’ouvrir une scierie en Haute-Volta (actuel Burkina Faso) qui disposait du bois en abondance. Il le mettra donc en contact avec un agent forestier du nom de Pertiou Sagnon pour la prospection», relate-t-il. Depuis lors, poursuit M. Ghassoub, son père et M. Sagnon lieront une solide amitié. Il séjournera ainsi dans la famille Sagnon pendant plus de trois mois pour sillonner la brousse des Cascades. La prospection se révèle fructueuse. C’est ainsi qu’il entreprend des démarches pour l’installation de sa scierie en 1965. Elle se positionnera comme la deuxième unité industrielle à Banfora.

A.B


« Les scieries n’ont jamais fait de reboisement », le ministre Nestor Bassière

« L’exploitation du bois d’œuvre communément appelé bois rouge est règlementée par un arrêté ministériel. Cet arrêté implique que les contrats avec les exploitants soient renouvelés chaque année en fonction de la disponibilité de la matière. Quand nous sommes arrivés au ministère en charge de l’environnement, les responsables des deux scieries sont venus pour le renouvellement. Mais, nous avons pris la décision de ne plus renouveler en attendant une étude sur la situation exacte du bois d’œuvre dans la province.

Les deux scieries ont fait une délégation conduite par Nouhoun Coulibaly, accompagné des ministres Alpha Barry et Souleymane Soulama. Ils nous ont dit qu’ils ont des marchés en cours et qu’ils souhaiteraient bénéficier d’une autorisation spéciale afin de respecter leurs engagements. Nous avons fait une correspondance en donnant un quota à chaque scierie afin qu’elle puisse finaliser ces marchés. Nous leur avons précisé que le ministère n’a pas fermé les scieries. Nous avons fait une correspondance au président du Faso pour lui expliquer que l’exploitation du bois rouge est interdite.

Le problème est que le bois rouge est fini au niveau de Banfora et les scieries vont jusqu’à Niangoloko pour l’exploiter alors que nous sommes dans une décentralisation totale. Ceux de Niangoloko se sont plaints. Contrairement à ce qu’ils avancent, je n’ai même pas de militants à Niangoloko. La réalité est qu’ils refusent de faire une conversion vers autre chose. Depuis qu’ils exploitent, ils n’ont jamais fait de reboisement ».

Propos recueillis par A.B


La fibre patriotique

La scierie Coulibaly, elle, a ouvert ses portes en 1971. De l’avis du DG de l’usine, Nouhoun Coulibaly, c’est la fibre patriotique de son géniteur qui l’a conduit à implanter l’entreprise dans la cité du Paysan noir. «Mon père a été président des exploitants forestiers de Côte d’Ivoire. Il avait la facilité d’implanter une scierie en Côte d’Ivoire. Mais, il a préféré le faire au Burkina Faso. Ce sont plus de 300 millions F CFA qui ont été investis dès les premiers mois », fait-il remarquer tout en regrettant la situation actuelle de l’usine. Si cette industrie était en terre ivoirienne, estime-t-il, la famille engrangerait d’importantes sommes d’argent.

A.B


Trois décennies de fonctionnement non-stop

Depuis sa mise en fonctionnement en 1967, le DG de la scierie Yiri soutient que l’usine n’a pas connu d’interruption jusqu’en 2002. « Cette année-là, nous avons cessé de fonctionner pendant un mois. Cette interruption est due à une décision de suspension de toute coupe du bois prise à l’époque par le Premier ministre, Paramanga Ernest Yonli. Ce dernier, en se rendant dans son village, en 2002, avait constaté un important entrepôt de charbon », affirme-t-il. Mais, après vérification, les autorités ont compris, souligne-t-il, « que nous n’étions pas concernés, car nous avons toujours respecté notre cahier des charges».

A.B


Des sages contre la fermeture de la scierie Yiri

Avec la construction de son hôtel en 2009, Alias Ghassoub avait décidé de fermer la scierie Yiri. Mais des sages de Banfora le lui ont déconseillé. Car derrière la scierie, plus de 1 000 menuisiers nourrissent leurs familles, a expliqué le DG de l’usine. La délégation était constituée du regretté Imam Ladji Ba, opérateur économique, Lacina Barro, le directeur de la police régionale, Marcel Paré et deux autres personnes dont il ne retient plus les noms. Pour eux, l’œuvre de son père doit être pérennisée. Ils lui ont demandé d’utiliser l’argent qui devait servir à payer les droits des travailleurs pour renouveler certaines machines et confier la gestion à un fils de la région. Leur doléance a été acceptée, toute chose qui a conduit à la responsabilisation du chef de personnel Hema Bernard à la tête de l’entreprise. La nouvelle de la fermeture des usines a provoqué une onde d’amertume au sein des notabilités de Banfora.

A.B

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