Lutte contre le terrorisme au Nord : les volontaires, ces « héros »  en première ligne

Promulguée, le 21 janvier 2020, la loi portant Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) a permis d’enrôler des jeunes burkinabè âgés de plus de 18 ans comme des auxiliaires des Forces de défense et de sécurité (FDS) dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Aux côtés des FDS, ils ont réduit, dans certaines parties du Burkina Faso, la capacité de nuisance des terroristes. Dans la province du Loroum, les VDP sont considérés comme des « libérateurs » aux yeux des populations.

La brume de l’aurore laisse peu à peu place aux rayons solaires qui illuminent la ville de Titao, située au Nord du Burkina. La prière de l’aube terminée, A. K. se prépare à monter au front, à Sollé. Cette contrée, située à plus d’une centaine de kilomètres de Ouahigouya, est l’un des épicentres des attaques terroristes au pays des Hommes intègres. Sacoche et kalachnikov en bandoulière, tout est fin prêt pour le départ du jeune de 26 ans. Il fait ses « adieux » à sa mère et à son frère aîné. « Au début, j’avais de la peine à trouver le sommeil quand il devait se rendre à Sollé. Maintenant, j’ai fini par réaliser qu’il se battait pour sa famille et son pays », soutient la génitrice d’A.K., les yeux presqu’embués de larmes. A. K. est un Volontaire pour la défense de la patrie (VDP). Avec lui, nous faisons chemin pour Sollé ! Le jeune homme défend son village natal, bien avant l’appel lancé par le Président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, le 7 novembre 2019, au lendemain de l’attaque d’un convoi de travailleurs d’une entreprise minière qui a causé la mort d’au moins 37 personnes et blessé une soixantaine d’autres.

« Quand les terroristes nous ont chassés de notre village, nous nous sommes déplacés à Titao. Dans la foulée, les jeunes de Sollé qui avaient pris les armes, nous ont fait appel. Et nous n’avons pas hésité à rejoindre leurs rangs », explique A.K., alors que nous partageons la route avec des passagers matinaux. Au niveau d’une intersection à la sortie de la ville, A. K. nous présente les différents chemins possibles pour rejoindre Sollé : la piste de droite, 41 km, traverse une forêt, et en l’empruntant, il y a plus de risque de sauter sur un engin explosif, celle de gauche impose une bifurcation de 58 km et elle est en mauvais état. « A vous de choisir… », nous lance-t-il, sourire aux lèvres. Nous optons naturellement pour la bifurcation. Nous ré-entamons notre course. Nous ressentons le vent sec de l’harmattan sur la peau. Quelques jardins aménagés en bordure de la voie laissent entrevoir encore un peu de verdure. Les arbres ont perdu de leurs feuillages. Le feu a consumé les hautes herbes.

Impossible de riposter

Salla, Silia, Noogo, Ingané… les villages se succèdent avec tous, un rempart sécuritaire contre toute menace armée. Des civils armés sont postés aux portes de chaque localité. « Ce sont nos éléments », rassure A. K. A Ingané, il marque une halte pour saluer les siens. Ce village se réveille à la faveur du jour naissant. Les commerces s’ouvrent. Les femmes s’agglutinent aux abords des bornes-fontaines. Devant un kiosque, des hommes dégustent du thé ou tirent des bouffées de cigarette. « Ici, la quiétude est de retour. Il y a de cela quelques mois, nous étions tous encore à Titao », raconte H. K., un habitant de Ingané. Témoignages de ce passé récent, les centres de santé, les écoles et les logements pour enseignants ont été abandonnés, sous la férule des forces obscurantistes. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires en Afrique de l’Ouest et du Centre (OCHA/ROWCA) estime, dans un rapport publié en novembre 2020, que la santé et l’éducation sont les secteurs les plus affectés par le terrorisme au Burkina Faso. A la date du 29 octobre 2020, 323 formations sanitaires étaient à l’arrêt et un total de 2 398 établissements étaient fermés sur le plan national, selon les données de l’OCHA/ROWCA. Chemin faisant, nous rencontrons plusieurs convois d’élèves, sécurisés par des VDP, se diriger vers Titao.

« Ils reviennent de leurs congés de Sollé », explique notre interlocuteur. Au fil du trajet, nous traversons des villages quasi-déserts avec des habitats détruits par des roquettes. Gambatao et Dougouma portent encore les stigmates des attaques terroristes. A Dougouma, A. K. marque une nouvelle halte sur les lieux de l’attaque du 29 mai 2020. Un camion transportant des commerçants escortés par les VDP avait été attaqué par des hommes armés non identifiés. « C’était violent… Les femmes couraient dans tous les sens. A peine avions-nous secouru certains blessés que nous étions encerclés. Étant au milieu de la foule, il était impossible de riposter, pourtant, eux (les terroristes), ils nous tiraient dessus », raconte le VDP, tout en faisant le tour des arbustes pour mieux situer les lieux. Bilan : 17 morts et une vingtaine de blessés, côté burkinabè. Des carcasses d’un camion et d’un minibus incendiés témoignent du drame. L’autre indice de la terreur des groupes armés, ce sont les villages presque déserts, les maisons détruites, à coups de roquette…Gambatao et Dougouma portent les stigmates des attaques terroristes. « Depuis lors, nous nous sommes réorganisés et il n’y a plus eu une attaque de cette envergure », ajoute-t-il.

« La patrie ou la mort… »

A Sollé, piétons, cyclistes, motocyclistes…y entrent et sortent, à condition de montrer patte blanche au poste de contrôle du détachement militaire, installé à l’entrée du village. Cette formalité remplie, c’est une bourgade assez paisible, qui s’offre à vue. Des scènes de vie quotidienne d’hommes et de femmes vaquant à leurs occupations, de bambins conduisant une dizaine de têtes de caprins et de bovins au pâturage, de tenanciers de boutiques, de gargotes et de tabliers de part et d’autre du « centre-ville ». Seuls ces hommes, qui se faufilant entre les habitations, armes de guerre en main, contrastent d’avec ce décor rural et rappellent le contexte sécuritaire précaire. L’idée de « Far west » que nous nous faisions du village de Sollé, considéré comme le fief des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) de la province du Loroum, nous quitte peu à peu. Mais pas pour longtemps… Au Quartier général (QG) des volontaires, aux allures de « caserne », une vingtaine de civils armés de kalachnikov et de minutions attendent sous le seul arbre qui domine la cour. Certains nettoient leurs fusils. Les uns s’assurent du bon état des engins. D’autres se partagent le reste de galettes qui a servi de petit déjeuner. Au milieu de la foule, deux hommes se distinguent. Le premier, élancé et barbe « taillée », vêtu d’une chemise grise fleurie, d’un jean, plusieurs bagues au doigt, s’entretient avec le second, en chemise blanche et plus en chair, amulettes autour des bras.

Il s’agit de « Yoro », chef kolgweogo devenu patron des VDP du Loroum et de son adjoint, « Le pétrolier ». « C’est vous qu’on attendait », nous dit le second, dans un français approximatif. Poignées de main, échanges de civilités… Nous prenons place sous l’arbre. A l’unisson, les VDP scandent: « La patrie où la mort, nous vaincrons ! ». « Le pétrolier » explique qu’au « Allah Akbar » des présumés terroristes, ils répondent désormais par la devise du pays des Hommes intègres. Selon plusieurs sources, c’est à Sollé que la résistance a été organisée et lancée contre les groupes armés qui écumaient le Loroum. « C’est mon papa qui a créé les kogl-weogo dans la commune. Je l’ai aidé à mieux organiser la lutte, à nous défendre et à défendre les autres villages. (…) On ne pouvait plus regarder des bandits nous dépouiller de tous nos biens et de notre dignité sans rien faire. On aurait aussi pu fuir et aller à Titao, ensuite à Ouahigouya. Or, au fur et à mesure que nous fuirons, ils avanceront et gagneront du terrain », explique « Le pétrolier », natif de Tibou, village situé à un jet de pierre de Sollé.

Sollé, la forteresse

Face à la menace terroriste persistante, des dizaines de jeunes ont fait bloc autour de « Le pétrolier » et de son père. Ensuite, est venu le groupe de « Yoro », du Mali voisin. L’appel du chef de l’Etat à recruter et armer les civils, pour défendre leurs terroirs a permis aux volontaires de « mieux s’organiser et de bénéficier de l’encadrement de l’armée et d’un soutien logistique », selon les termes du chef-adjoint des VDP. Sur plus d’un millier de combattants, seulement une soixantaine sont enregistrés comme VDP. Aux côtés des Forces de défense et de sécurité (FDS), ces derniers apprennent les techniques de renseignements et de maniement des armes. Avec des fusils de fabrication locale et quelques « kalachs », ils se défendent tant bien que mal. Ils engrangent des résultats et repoussent l’ennemi. Isolé dans le Nord du pays, Sollé est une sorte de forteresse imprenable, avec plusieurs postes avancés. Retranchés dans une forêt sur l’axe Solle-Beguentigué, les terroristes ont tenté maintes fois de prendre la bourgade, selon les témoignages des VDP. La dernière tentative date du 31 mai 2020, 48 heures après l’attaque contre le convoi de commerçants sur l’axe Sollé-Titao. « C’était un vendredi, jour de marché de Titao. Les assaillants savaient sûrement que des gens iraient à Titao. Nous étions en deuil, donc tout le monde était là. Ils ont encerclé le village.

Le combat a duré plusieurs heures », décrit « Yoro »…. Plusieurs concessions, situées en périphérie, portent les stigmates de cette attaque : des impacts de balles, des murs effondrés, des maisons et greniers troués… Le bilan fait état de « 2 VDP tués et 83 terroristes neutralisés et plusieurs autres blessés » et d’importants dégâts matériels. Ce jour fera date dans la mémoire collective. Un gradé de l’armée, en poste au détachement militaire anti-terroriste de Sollé, parle de « rude combat » au cours duquel, les VDP, ont su s’imposer. Pour le chef des VDP, le « siège » n’avait que trop duré. « De Titao à la frontière malienne, Sollé était le seul village encore habité. Il a fallu qu’on organise plusieurs patrouilles avec l’armée pour libérer les villages », soutient l’homme, âgé d’une quarantaine d’années. Acculés et traqués, plusieurs groupes armés ont dû abandonner leurs positions. « Yoro » dit avoir constaté une baisse des attaques contre les villages environnants. « C’est nous qui organisons les patrouilles et s’il y a des accrochages, c’est loin de nos maisons et de nos villages. Ils ne nous attaquent plus », confie fièrement le combattant.

Les « libérateurs »

Le tandem FDS-VDP de Sollé a libéré plus d’une vingtaine de bourgades des mains des terroristes, dans le Loroum. Tibou, Palgo, Nassingré, Samboulga, Dougouma, Gambatao, Ingané, Noogo, Silia, Salla…sont désormais « libres ». Ces villages sont, tout de même, inaccessibles du fait des Engins explosifs improvisés (EEI). Toutefois, selon plusieurs habitants, la déroute infligée aux terroristes ce jour-là a signé le retour de la quiétude dans la commune de Sollé.

« Quand je rentre chez moi maintenant, je dors paisiblement », se réjouit le chef de Sollé… Il décrit un climat délétère dû à la récurrence de la menace terroriste, avant la prise des armes par des civils, aux côtés de l’armée. Chaque instant pouvait être le dernier. « Entre le lever et le coucher du soleil, beaucoup de choses pouvaient se passer. On pouvait mourir à tout moment…», dit-il. Pour lui, la relative accalmie est le fruit de l’excellente collaboration entre les deux entités armées. « Une seule main ne ramasse pas la farine », paraphrase le chef du village. H. K. est l’un des rescapés de l’attaque du 29 mai 2020. Outre sa fracture, ce natif de Sollé a tout perdu : ses deux boutiques ont été incendiées, ses troupeaux emportés. Il estime qu’aujourd’hui la paix est de retour. Ce qui le rend plus heureux, c’est la liberté de circuler. « Il est désormais possible de se rendre aux marchés des différents villages sans crainte d’être tué. Les VDP sont nos libérateurs », estime H. K., commerçant établi à Ingané. A Nassingré, les VDP sont considérés comme des héros. Les patrouilles de sécurisation des auxiliaires de l’armée ont fini de convaincre les uns et autres du retour de la quiétude. Des équipes motorisées font la ronde des villages à longueur de journée, afin de s’assurer de la quiétude des habitants, notamment les femmes.

« Nous avions peur de nous faire agresser en allant chercher du bois de chauffe et de l’eau à la fontaine. Aujourd’hui, les VDP nous rassurent », souligne Mme Z., mariée et mère de sept enfants. Tous reconnaissent la « grande contribution » des volontaires dans la lutte contre le terrorisme. Au sein du détachement militaire basé à Sollé, l’on indique que les supplétifs ouvrent la voie aux soldats lors des patrouilles. En cas d’alerte, ils sont les premiers sur les lieux. « Les volontaires maîtrisent mieux le terrain. Contrairement à eux, quand nous arrivons, nous avons besoin d’un temps d’adaptation », soutient une source militaire. Le haut-commissaire du Loroum, Djibril Bassolé, salue le « travail très remarquable » des civils armés dans la lutte contre le terrorisme dans sa province. « Les VDP sont à l’avant-garde de la lutte. Leur action a permis de freiner les velléités d’occupation et d’expansion des groupes armés. Ils ont contribué à stabiliser la situation. Beaucoup de villages étaient menacés », reconnaît M. Bassolé.

Des armes très coûteuses

Pour les VDP, c’est à la fois une question de survie et un devoir de patriotisme et de défense de leurs terroirs. Ils affirment que n’eut été certaines difficultés d’ordre matériel, ils auraient engrangé de bien meilleurs résultats. En effet, les VDP évoquent une insuffisance d’armes. Ils combattent avec des armes de fabrication locale et quelques kalachnikovs, dont la moitié a été achetée à leurs propres frais. « Ce sont des armes très coûteuses. Nous n’avons pas assez d’argent pour nous en procurer en grand nombre », se désole « Yoro ». Il en est de même pour les moyens roulants. Les volontaires sous la coupe de « Yoro » disent n’avoir reçu de l’Etat qu’une quinzaine de motos. Doter d’une logistique conséquente, ils estiment pouvoir mieux épauler les FDS.

L’autre défi à relever est sans conteste l’insuffisance d’aide alimentaire. Pour la plupart agriculteurs et/ou pasteurs, ils ont dû tout abandonner pour contrer les terroristes. « Avec les attaques, nous n’avons pas pu cultiver la saison dernière. Les jeunes ont laissé toutes les activités qu’ils menaient pour défendre leurs villages. Il faut qu’on les nourrisse (leurs familles et eux) », fait savoir le chef-adjoint des VDP, « Le pétrolier ». Depuis novembre 2019, les volontaires de Sollé ont reçu environ 200 tonnes de vivres de l’Etat et des bonnes volontés. Ils ont été partagés à part égale avec toute la population, sans distinction aucune. Pour leur prise en charge par l’Etat, ils ont bénéficié d’une subvention de 2 millions 400 mille FCFA. Pour l’instant, les difficultés n’entachent aucunément le moral des « troupes » de « Yoro ». Pour lui, la fin du terrorisme dans le Nord n’est plus qu’une question de temps. Le Loroum « libéré », il compte prêter main forte aux VDP du Yatenga voisin.

Djakaridia SIRIBIE
dsiribie15@gmail.com

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