Orpaillage à Sibi dans les Balé : Des violences au quotidien

Des tricycles entreposés au bord du fleuve Mouhoun pour transporter les sacs de granites.

La commune rurale de Sibi, située à une dizaine de kilomètres de Boromo, province des Balé, abrite, ces deux dernières années, des sites d’orpaillage. Dans ces endroits qui grouillent du monde, tous les coups semblent permis. Bagarres, vols, viols et autres faits rythment le quotidien sur les yaars d’or des villages de Sécaco et de Soraboly.

Des centaines de tricycles stationnés sur le long de la rive, une vingtaine de pirogues transportant des sacs ralliant une rive à l’autre. A côté, des centaines de motocyclettes obstruant la voie ferroviaire, au même endroit, des sacs remplis de granites entassés sur les deux rives. Tel est le spectacle que nous avons constaté dans la matinée du jeudi 4 juin 2020 sur le long du fleuve Mouhoun. Ce plus long fleuve du Burkina Faso, dont 1000 Kilomètres en territoire burkinabè, séparant la forêt classée de Soroboly dans les Balé et celle de Kalio dans le Sanguié est la jonction entre l’extraction et le traitement du métal jaune.

Ainsi donc, cet orpaillage a occasionné plusieurs activités tout au long du Fleuve à savoir le transport des sacs en pirogue pour rejoindre l’autre rive et en tricycle pour aller au yaar d’or, situé à un kilomètre du fleuve pour le traitement. Des activités commerciales y sont également pratiquées. Et chacun semble avoir son compte.

Yacouba Zongo, piroguier, ne nous dira pas le contraire. Il nous explique que les orpailleurs creusent l’or à Zamo et ils le font convoyer par des tricycles jusqu’à la rive du fleuve. Le rôle de M. Zongo consiste à faire traverser ces sacs à l’aide de sa pirogue pour rejoindre Sécaco pour traitement. «Quand on fait traverser, nous prenons souvent cent F CFA par sac ou sur 10 sacs transportés, nous gardons un sac comme récompense. En filtrant ce sac, on peut gagner 15 à 20mille francs CFA », nous explique le jeune piroguier, par ailleurs pécheur professionnel.

Une fois les sacs à l’autre rive, le conducteur de tricycle, Hamidou Tambra, assure le relais jusqu’au marché de l’or, lieu de traitement et d’extraction du métal précieux. « Je transporte les sacs de granites entre 750F et 1000F CFA par sac selon la saison. Souvent je peux avoir deux ou trois clients par jour. L’engin peut prendre 10 sacs par voyage », nous raconte M. Tambra.

Ce marché, qui s’étend sur une superficie de plus de cinq hectares, est le carrefour du traitement de l’or. Sur ces lieux, des dispositifs de filtrage d’or sont implantés. L’or se vend également sur place.

Une vue du trafic dans la forêt de Kalio dans le Sanguié.

Ramata Ouédraogo, native de Ouahigouya, arrivée au yaar de Sécaco depuis un an, a abandonné le foyer conjugal pour la chasse au métal jaune. Devant sa hutte construite à l’aide de sachet plastique où elle dort avec ses six enfants, elle a installé également un dispositif de filtrage d’or. Toute enthousiaste et déterminée, elle nous confie se rendre elle-même dans la forêt acheter les sacs de granites à 15 mille francs l’unité. Après avoir écrasé le granite, elle procède au filtrage. « L’or que j’obtiens, je le revends soit sur ce marché soit à Boromo », a précisé Mme Ouédraogo.

Par contre, la présidente des femmes du yaar du village de Soroboly, Asseta Kaboré, dit se contenter des résidus de sable déjà filtré pour re-filter à son tour. Une activité qui lui permet de payer la scolarité de ses cinq enfants restés à Bobo-Dioulasso avec leur père. Même si elle dit ne pas avoir de souci avec son conjoint, elle reconnaît que la vie d’orpailleurs n’est pas du tout facile.

Le chef de site du yaar de Soroboly, Kalilou Ouédraogo, natif de Pouytenga, lui, fait dans le recèle d’or. Son activité consiste à préfinancer des orpailleurs (prise en charge alimentaire et autres) afin de leur permettre de creuser les trous. En retour, ces derniers sont obligés de lui vendre leur or afin qu’il puisse soustraire ses dépenses et leur remettre le reste en argent liquide.

Une activité qui n’est pas sans risque selon Kalilou Ouédraogo. « Souvent, il y a des conflits entre acheteurs et vendeurs. Si tu effectues une dépense sur quelqu’un et il te contourne pour vendre son or ailleurs il y aura forcément un conflit. Certains même fuient avec notre argent », a-t-il dit. Mais l’orpailleur Drissa Ouédraogo doute souvent de la fiabilité des balances utilisées par les acheteurs. C’est ce qui entraîne les bagarres. Sur la question, Mohamed Ouédraogo, un autre receleur à Sécaco est formel. « Nous nous fions à la machine, car c’est elle qui décide », a-t-il indiqué, le sourire aux lèvres.

Découverte d’un corps mutilé

Coups et blessures, bagarres, consommation de stupéfiants, prostitution, proxénétisme et meurtres sont les maîtres mots qui règnent sur les sites d’exploitation artisanale du métal jaune dans la commune de Sibi, ces deux dernières années selon les autorités locales. Dans ces milieux qui drainent beaucoup de monde, aucune règle ne semble tenir. Pour le maire de la commune rurale de Sibi, Issifou Ganou, cette situation qui perdure depuis deux ans est imputable à la concession des sites d’orpaillage de Houndé aux industriels, d’une part. Ce qui a entrainé le repli de plus de vingt mille orpailleurs dans la zone de Sibi et de Zamo. D’autre part, la majorité des déplacés internes, installés à Sibi s’adonnent aux activités d’orpaillage.

Les dozos assurent la sécurité au yaar de Soroboly.

En effet, dans la soirée du 4 juin 2020, le corps mutilé d’une femme, identifiée comme une déplacée interne, selon des sources officielles, a été découvert à Sibi. Selon les autorités policières ayant procédé aux constatations d’usage, il s’agirait d’un meurtre et une enquête a été ouverte à cet effet. « Nous allons mettre les bouchées doubles pour retrouver le ou les coupables », a rassuré le directeur provincial de la police des Balé, Sylvain K. Yaméogo.

Mais la difficulté, selon le commissaire central de police de Boromo, Salif Zallé, est que « les gens qui commettent des infractions au niveau des yaars aussi bien à Sécaco qu’à Sibi, lorsqu’ils savent qu’ils sont recherchés, fuient se réfugier dans la forêt ou ailleurs ».
Le haut-commissaire de la province des Balé, Yaya Sanou, par ailleurs président du Conseil de santé de district (CSD), a indiqué qu’en fin février, début mars, sa commune a enregistré cinq morts des suites de coups et blessures. Il a ajouté que des corps qui n’ont pu être identifiés jusqu’à ce jour ont été également retrouvés devant des centres de santé.

« On ne peut pas attribuer ces cas de violences aux orpailleurs d’autant plus qu’on ne les a pas vus le faire. Mais toujours est-il que c’est depuis leur arrivée que la violence s’est accrue aussi bien à Sibi qu’à Boromo », a soutenu M. Sanou
Plus tôt dans la journée, l’orpailleur Seydou Ouédraogo, la trentaine, s’est retrouvé au Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) de Sécaco.

Nous l’avons trouvé gisant dans une mare de sang. Se tordant de douleur, Seydou Ouédraogo, un jeune orpailleur transporté par ses amis depuis le site d’or de Zamo explique les circonstances de son malheur : « C’est mon compagnon qui m’a blessé à la main et à la tête suite au partage du butin ». Selon l’agent de Santé présent ce jour au CSPS, Joël Ouédraogo, le blessé a reçu un coup de couteau à la tête et au bras droit. « Il est arrivé vers midi, dans un état critique car ayant perdu énormément de sang. Nous lui avons posé des sutures. Heureusement il est hors de danger », nous rassure l’infirmier diplômé d’Etat. A part les douleurs des blessures, Seydou Ouédraogo dit ne pas avoir de souci particulier.

« Récemment nous avons déféré prévenu devant le parquet pour coups et blessures volontaires. Il est présentement détenu à la maison d’arrêt et de correction de Boromo», a confié le commissaire central de police de la localité.
Ces cas de violences sont légion, de l’avis du directeur provincial de la police des Balé. Il a poursuivi qu’avec l’avènement du couvre-feu, instauré dans le cadre de la lutte contre la COVID-19, les violences ont un peu diminué.

Deux cas de viol ont été enregistrés en 2020 à la police, selon le commissaire central. Beaucoup de cas de viol sont aussi signalés chez les groupes d’auto-défense Koglweogo, à en croire le président du Comité villageois de développement (CVD) du village de Sécaco, Abdoul Aziz Sankara. Selon lui, les plaintes pour les cas de vol et du partage de gain font partie de leur quotidien.
« On recevait dix cas de plainte par jour avant le couvre-feu », indique Salifou Zallé, ajoutant que les conflits liés aux partages de gains ne sont pas moins importants. « Très souvent, le CVD tente de gérer et c’est lorsqu’il n’y parvient pas qu’il se réfère à nous. Quand ils viennent nous les écoutons et nous leur demandons de régler le problème à l’amiable », a poursuivi M. Zallé.

Sécuriser les sites

Le directeur provincial de la police des Balé, Sylvain K. Yaméogo, a déploré les violences sur les sites.

Outre ces aspects, il y a également des cas de proxénétisme qui font office depuis l’arrivée de ces orpailleurs. Certains, par abus de confiance ou tromperie, font venir des jeunes filles pour la prostitution. Aux dires du commissaire, certaines ne découvrent cela qu’une fois sur les lieux. Mais d’autres ont le courage de venir se signaler.
« Nous avons déféré deux dames pour des cas de proxénétisme à Sécaco. Nous collaborons avec le CVD qui nous alerte sur ces cas. Souvent il interpelle les intéressés avant de nous appeler », renseigne le commissaire Zallé.

Les conflits entre populations autochtones et orpailleurs sur les détournements de femmes sont orientés vers les services de l’action sociale si toutefois ces personnes sont adultes et que l’affaire ne relève pas du pénal. Aussi des cas d’infractions par transfert d’argent se sont-ils multipliés ces derniers temps.

Face à la recrudescence de la violence sur ces lieux, les CVD de Sécaco et de Soroboly communes qui abritent ces sites ont mis en place une sécurité. Du côté de Sécaco, ce sont les groupes d’auto-défense Koglweogo qui assurent la sécurité du yaar. Par contre à Soroboly c’est plutôt les Dozos qui sont commis à cette tâche. Une tâche pour laquelle ils ne sont pas rémunérés à en croire Daouda Nébié, porte-parole des Koglweogo. « Nous essayons de sécuriser le marché jour et nuit.

Il y a souvent de grosses bagarres ici, des vols, des viols ou des tentatives de viol », a affirmé Daouda Nébié. En plus de cela, Sianou Siaka Damoé, Dozo du yaar de Soroboly relève des bagarres entre orpailleurs et habitants du village pour détournement de femmes. Avant de préciser que c’est à la suite de cette insécurité permanente que les premiers responsables de leur confrérie les ont envoyés afin d’assurer la sécurité des biens et des personnes dans tout le village.

« Avec le flux important des populations, nous ne savons pas qui est qui. Le site d’orpaillage est aussi un monde à part entière de sorte que la vie que les gens mènent là-bas est différente des autres. Ce qui fait que l’on retrouve du tout (banditisme, consommation de stupéfiants, viols et vols. Nous avons dû installer une petite sécurité pour atténuer ces maux. Pour les cas tolérables, nous gérons. Quand des cas de dommages corporels arrivent nous les renvoyons au commissariat », a expliqué le premier responsable du CVD de Sécaco.

Le maire de Sibi, Issifou Ganou, visiblement remonté contre cet état de fait, appelle l’Etat central à intervenir au plus vite afin de sauver ces deux forêts classées envahies par des imposteurs. « Les forêts classées relèvent de l’autorité de l’Etat central et non de la commune. Mais en attendant, nous ne prenons que des petites mesures telles que la fermeture des trous de cyanisation en collaboration avec le préfet », a souligné le bourgmestre. Selon lui, les orpailleurs ont creusé des trous pour la cyanisation sans autorisation ni contrôle, risquant de provoquer la pollution des nappes phréatiques. Ce qui met également sans doute le fleuve Mouhoun en danger.

Des rackets ?

Autre phénomène, cette situation a créé un autre type de business qui semble profiter à tous. Il s’agit du racket.
Dans ces deux yaars d’or (Soroboly et Sécaco), des orpailleurs confient faire l’objet de plusieurs formes de rackets. Hamidou Tambra, le cachet du Conseil villageois de développement (CVD) de Sécaco en main, dit payer cinq cents francs par jour sans comprendre pourquoi. De ses dires, tous les conducteurs de tricycles y sont assujettis.
Amadé Ouédraogo, un autre piroguier pour sa part, indexe les agents de l’environnement de la localité.

Le maire de Sibi, Issifou Ganou, craint une pollution du fleuve Mouhoun.

Selon lui, ils font l’objet de tracasseries de la part de ces agents.
« Les forestiers font régulièrement des descentes au bord du fleuve ou souvent au yaar pour taxer 20 mille francs CFA à tous les conducteurs de tricycle », a confié M. Ouédraogo. Il dit ne pas être contre le paiement des 20 mille francs. Seulement, il souhaite l’instauration d’un système de paiement légal à l’aide de quittance avec une échéance clairement établie afin d’éviter des incompréhensions.

Certains conducteurs qui font la navette entre Boromo et Sécaco se plaignent à leur tour de tracasseries policières. « La police avait érigé des barrières et nous obligeait à payer à chaque passage », s’est plaint un conducteur qui a requis l’anonymat.
Le président du CVD de Sécaco, Abdoul Aziz Sankara, justifie que les 500F CFA journaliers contribuent à la prise en charge de certains blessés sur le site aurifère, à l’inhumation des personnes décédées sur le site sans identité.

« Nous soignons souvent des gens à hauteur d’un million cinq cent mille F CFA par an. Pourtant nous ne disposons pas de fonds pour cela. Donc nous avons institué cette taxe pour couvrir ces besoins », a-t-il justifié. Il a ajouté que le CVD a, grâce à cet argent, fait un don de médicaments, de matelas et installé l’électricité au Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) du village de Sécaco. Le CVD a également construit une classe complémentaire au profit de l’école primaire de ladite localité.

Le chef de service départemental de l’environnement de Sibi, Lassané Ouédraogo, indique que leurs descentes sur les lieux ne visent en aucun cas à racketter, mais à sensibiliser face à la coupe abusive du bois. Il a expliqué que des conducteurs de tricycles s’adonnent à la coupe du bois dans la forêt pour la construction des hangars dans les yaars. « A moins que des individus ne se soient fait passer pour nos agents pour racketter ces personnes, nous ne l’avons pas fait », s’est-il défendu.

Sur la question, le directeur provincial de l’environnement et de l’économie verte, Bernard Bingo, a indiqué n’avoir pas connaissance d’un de ses agents qui s’adonnerait à de telles pratiques. Il a prévenu que si l’un des siens soutire 20 mille francs à quelqu’un sans reçu, il se fera le devoir de le sanctionner conformément à la loi. Toutefois, M. Bingo a relevé que ceux qui s’adonnent aux activités d’orpaillage dans cette zone sont à réprimander. Citant le Code forestier qui défend toute activité et séjour dans une forêt classée, le directeur provincial de l’Environnement affirme que ces derniers, au lieu de calomnier ses agents, devraient être punis, selon la règlementation, à une peine de 5 à 50 mille francs CFA. Près de 500 tricycles quittent Boromo chaque jour et font le trafic au bord du fleuve 24h sur 24. Pour cette raison, Bernard Bingo a prévenu que son service ne cessera de sécuriser la forêt.

« Avec l’arrivée massive des orpailleurs dans la ville de Boromo, nous avons redoublé de vigilance en installant un poste de contrôle sur la route Boromo-Sibi. Le poste a été fermé par la suite. Mais la police n’a effectué ni de contrôle, ni de descente sur le site de Sibi, ou à Sécaco. Nous ne nous y rendons que lorsque nous sommes sollicités pour une interpellation. Nous avons même contribué à lutter contre la corruption sur ces sites », a indiqué le commissaire central de police de Boromo, Salifou Zallé.

Les propriétaires terriens sont également indexés dans le processus d’extorsion. Des dires des occupants des yaars, l’obtention d’un lopin de terre est conditionnée par le payement de 15 milles francs CFA, équivalant aux frais d’installation. Par la suite, chaque semestre ou année, ces propriétaires terriens font le tour pour récupérer 10 mille francs. Si certains orpailleurs s’offusquent contre cet état de fait, d’autres par contre le trouve normal. « Ce sont leurs champs. Et ils n’ont plus d’endroit pour cultiver et nourrir leur famille», nous lance Mohamed Ouédraogo du yaar de Sécaco.

Rabiatou SIMPORE
rabysimpore@yahoo.fr

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