Personnes sourdes-muettes et aveugles : gagner sa vie est possible

A Bobo-Dioulasso, des personnes en situation de handicap ont bien compris la maxime selon laquelle le handicap n’est pas une fatalité. Sourds-muets, ils dansent au son de la musique Malvoyants, ils tressent des chaises et des lits à base de fils. Reportage !

Pour le président de l’ABPAM de Bobo-Dioulasso, Lamine Hié, la société doit changer de regard sur les personnes en situation de handicap

Une cour bien aérée, le portail d’entrée ouvert. Des sons de balafon et de tam-tam accueillent le premier venu. Sur scène, une troupe de danse suit religieusement les consignes d’un chorégraphe. Un petit public se « nourrit » les yeux en cet après-midi du jeudi 28 avril 2022. Bienvenue dans les locaux de l’association « Art au-delà du handicap » (ADH), située à quelques mètres, côté Est, de la maison de la Culture de Bobo-Dioulasso. A la différence de la pratique générale, ces danseurs sont des jeunes sourds et/ou muets qui exécutent une belle chorégraphie en regardant sous la directive (des signes) de l’artiste danseur chorégraphe, Yaya Sanou, par ailleurs directeur artistique de l’association. Selon lui, l’association « Art au-delà du handicap » est une association à caractère culturel et à but non lucratif. Elle s’appuie sur l’art pour l’éveil et l’épanouissement des personnes en situation de handicap. Yaya Sanou s’est donné pour mission de coacher les personnes sourdes-muettes, passionnées de la danse, et de les aider à réaliser leurs rêves. L’idée de faire danser les sourds-muets, dit-il, est partie d’un constat en 2006. « En tant qu’artiste danseur, j’ai passé assez de temps à donner des cours de danse dans presque tous les quartiers de la ville de Bobo-Dioulasso aux personnes en situation de handicap et non handicapées. Il se trouve que dans le quartier où je réside, il existe une école qui accueille les élèves vivant avec un handicap auditif. Cela m’a touché et j’ai vu que ces élèves étaient en quelque sorte oubliés.

J’ai donc décidé de proposer de la danse à cette école en 2006 », explique le passionné de l’art. Malgré les difficultés liées aux barrières du langage, il dit avoir mis tous les moyens afin de se faire comprendre par les enfants. C’est le début d’une aventure avec la compagnie « Fientan » ouverte aux danseurs sourds-muets les plus expérimentés. Ces débuts n’étaient pas du tout repos, raconte-t-il. « Au départ, c’était un peu compliqué, mais au fur et à mesure, j’ai dû employer mes propres moyens et suivre une formation afin de maitriser le langage des signes pour communiquer facilement avec ces enfants vivant avec un handicap auditif », confie Yaya Sanou. Au bout de quelques années, poursuit le chorégraphe, les jeunes ont décidé de le suivre dans ce voyage. « Nous vivions et échangions ensemble. Au bout de quelques années, j’ai fais le bilan et j’ai vu le changement que cela apportait à leur vie », confie le chorégraphe-danseur. Le succès est immédiat. « Grande fut notre surprise ! Nous avons participé à de nombreux évènements et compétitions sur le plan national et international. Nous faisions des prestations partout et cela émerveillait le public», raconte-t-il, nostalgique.

Un rêve qui se réalise

Le malvoyant, Abdoulaye Sanogo, à pied d’œuvre pour le tissage d’un lit.

La participation de la compagnie à la compétition « l’Afrique a un incroyable talent » de 2016, au cours de laquelle le groupe a terminé sa course en demi-finale est l’un de ses plus grands succès. Par ailleurs, elle a participé à plusieurs éditions de la Semaine nationale de la culture (SNC). Le handicap n’est pas une fatalité, selon Ouaramata Sanou, danseuse à « Fientan », âgée de 22 ans. Accueillie dans la troupe depuis 2013, alors qu’elle était encore élève à l’Institut des jeunes sourds du Faso (IJSF), elle exprime aujourd’hui son art. « Avant, je voyais les entendants danser lors des mariages et autres évènements et je voulais danser comme eux. Quand j’ai vu ce que Yaya Sanou faisait à l’école, je me suis dit que c’était une occasion à ne pas rater », déclare la danseuse non-entendante, par communication gestuelle à son maitre Yaya Sanou. Mlle Sanou se dit toujours incrédule elle-même, quant à sa capacité à devenir danseuse. « Si on me disait qu’un jour, je serais à mesure de danser sous une musique comme les autres, je ne l’aurais jamais cru », fait-elle comprendre tout émue. C’est un rêve qui se réalise, foi de la danseuse. Comme Ouaramata, Oumar Sanou, sourd-muet âgé de 24 ans, est danseur.

La danse a changé le regard des autres envers lui, précise-t-il, convaincu qu’elle lui a permis d’oublier qu’il est différent des autres. Depuis son arrivée dans la compagnie « Fientan », M. Sanou a participé à de nombreuses activités. « J’ai participé à plusieurs festivals. J’ai aussi participé à la SNC. Je continue d’apprendre en participant toujours à des ateliers de formation qu’initie l’association », a soutenu Oumar Sanou. Son rêve est de devenir danseur professionnel, mais aussi formateur. « J’envisage d’être formateur professionnel en danse. Montrer aux handicapés auditifs que même sans entendre, on peut danser au son d’une musique », poursuit-il. Au regard du succès inattendu de la compagnie, Yaya Sanou dit avoir compris l’enjeu et avoir cherché du même coup à innover. « Au regard de l’impact positif, mes collaborateurs et moi avons alors décidé de créer de petits projets comme « Noussondia », explique l’artiste-chorégraphe. « Noussondia » (être heureux en dioula), a-t-il détaillé, est un projet de formation en danse, théâtre, musique et langue de signes au profit des jeunes en situation de handicap auditif, visuel et des personnes dites « normales » dont l’objectif ultime est de créer un brassage entre les deux publics à travers l’art.

Le cœur à l’ouvrage

Située au secteur 22 de la ville de Bobo-Dioulasso, l’Association burkinabè pour la promotion des aveugles et malvoyants (ABPAM) œuvre également pour la formation professionnelle des personnes en situation de handicap, spécifiquement les aveugles et malvoyants. Coupées du monde visuel, ces personnes en situation de handicap font des merveilles, grâce à l’ABPAM. C’est le cas de Abdoulaye Sanogo (non-voyant) qui, arrivé en son sein depuis 2011, fait aujourd’hui des prouesses avec ses doigts. Le cœur à l’ouvrage, il occupe ses journées dans le tressage de chaises et de lits. « Je tresse des chaises et des lits avec des fils multicolores », affirme-t-il. Actuellement, Abdoulaye Sanogo est le principal formateur de ses camarades non-voyants du centre de l’association. « Après ma formation, vu que mon travail était impressionnant, les patrons ont décidé de me garder en tant que formateur des nouveaux arrivants. De nos jours, je maitrise plus d’une quarantaine de modèles », affirme M. Sanogo. Selon lui, le handicap visuel n’est pas une raison pour baisser les bras. Avec le courage et la passion, la personne en situation de handicap peut réaliser de nombreux rêves personnels, foi de Abdoulaye Sanogo. Etant non-voyant comme tous les élèves sous sa coupe, il a sa propre stratégie pour donner les notions de base aux novices.

« Si je pars au marché, je précise les couleurs que je veux au vendeur. Arrivé au centre, je donne le fil aux apprenants et je leur explique comment ils doivent tisser. Au fur et à mesure, les plus curieux apprennent très vite. C’est comme cela que je les forme jusqu’à ce qu’ils maitrisent le tissage », explique Abdoulaye Sanogo, tout en reconnaissant que le procédé n’est pas aisé. Awa Traoré est arrivée dans le centre il y a près de dix ans. Dame Traoré a perdu la vue après un accident de circulation. Aujourd’hui, elle s’épanouit et est même devenue la formatrice des femmes aveugles désireuses d’apprendre le tissage de sacs en fil de couleurs. Assise sous un hangar, les pieds croisés et entourés de fils, elle tisse avec d’autres femmes, des sacs. Ce travail n’a plus de secret pour Awa Traoré. « Pour celles qui viennent d’arriver, elles trouveront que le travail est plein d’embuches. Mais, après plusieurs années de pratique, nous n’avons plus de difficultés. Il suffit d’avoir du fil et qu’une personne voyante nous précise les couleurs », souligne Mme Traoré. Elève-apprenante de Awa Traoré, Habi Hié, est aveugle depuis 2017 des suites d’une maladie. Après avoir interrompu ses études en classe de CM2, elle a intégré l’association, il y a quatre années de cela. « Avant mon arrivée ici, je pensais que si quelqu’un était handicapé visuel, la personne ne pouvait plus rien faire … Mais après quelques mois au centre, je me suis rendu compte que ce que je pensais était faux », admet Habi Hié.

Un gagne-pain

Handicapée visuelle, Habi Hié dit démontrer par ce travail qu’au-delà du handicap, une autre vie est possible.

Devenu handicapé visuel après avoir reçu dans les yeux le crachat d’un serpent en 2004, Souleymane Ouattara est aussi apprenant à l’ABPAM. « A mon arrivée, on m’a appris quatre modèles de tissage.

Au fil du temps, je me suis perfectionné et j’ai moi-même créé des modèles », mentionne-t-il. Au-delà de l’épanouissement, ces personnes vivant avec un handicap gagnent leur vie dans les activités qu’elles mènent, même si au départ, il s’agissait d’éviter de se tourner les pouces. Ainsi, malgré son handicap auditif, Ouaramata Sanou dit avoir trouvé sa voie professionnelle, celle de danser. Sa vision du futur est établie et elle vit déjà de son art. « Je ne regrette pas d’avoir choisi la danse comme métier. Ce travail me permet non seulement de me sentir utile, mais aussi de me faire de l’argent », fait savoir la danseuse. Cet argent, poursuit-elle, me permet d’être « partiellement » indépendante et par conséquent, de ne pas constituer une « charge entière » pour les parents et la société. Quant à Oumar Sanou, il affirme que depuis son entrée dans la compagnie « Fienta », il a pu avoir un revenu « considérable », sans oublier les relations. Pour sa part, la malvoyante Habi Hié pense que son courage lui a permis d’être plus considérée par les siens. « Aujourd’hui, je gagne bien ma vie et dans la famille, je participe énormément aux dépenses.

Changer de regard

Ce qui fait que j’ai le respect et la considération des membres de ma famille », confie-t-elle, joyeuse. A écouter le non-voyante, Abdoulaye Sanogo, au-delà du gain financier, ce travail lui permet de relever un défi. « Il est vrai que nous gagnons notre vie par ce travail qui, en soi, est un défi pour moi. Ma voix compte auprès des miens et les gens ne me considèrent pas comme un raté », déclare-t-il avec fierté. Même si la plupart de ces personnes vivant avec un handicap s’épanouissent financièrement et socialement, l’arbre ne doit pas cacher la forêt. En effet, ce chemin n’a pas été sans embuches. « Au début de ma carrière, étant donné que je suis sourde-muette, les parents avaient du mal à accepter mon choix de devenir danseuse », affirme Ouaramata Sanou. Mais, poursuit-elle, un jour, ses parents ont fait le déplacement pour suivre une de ses prestations.

« Ce jour-là, ils ont donné leur quitus afin que se poursuive mon rêve », soutient-elle. Pour Mlle Sanou, tant que la volonté y est, rien n’est impossible, d’où son appel aux personnes atteintes de handicap à travailler à être indépendantes, au lieu de s’adonner à la mendicité pour survivre. Habi Hié les exhorte également à ne pas se décourager et à toujours chercher les voies et moyens pour briser les limites du handicap. Pour le président de l’ABPAM, Lamine Hié, aussi handicapé visuel, la société doit changer de regard sur les personnes en situation de handicap. « Quand on voit une personne en situation de handicap, on pense déjà qu’elle est une charge », regrette-t-il. L’ABPAM, selon lui, démontre le contraire, en cherchant à les former et à contribuer à leur épanouissement. Lamine Hié souhaite donc une prise en charge adéquate des personnes en situation de handicap, notamment dans leur formation professionnelle. Même son de cloche pour le directeur artistique de l’association « Art au-delà du handicap », Yaya Sanou, qui exhorte les autorités à prendre à bras-le-corps la formation et l’insertion socioprofessionnelle des personnes en situation de handicap, en particulier les enfants.

Boudayinga J-M THIENON

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