Soudan : un saut dans l’inconnu

La rumeur qui circulait depuis un certain temps s’est confirmée au soir du dimanche 2 janvier 2022. Le Premier ministre soudanais, Abdallah Hamdok a rendu le tablier après une manifestation des civils qui a été violemment réprimée, puisque trois personnes ont été tuées par les militaires. « J’ai tenté de mon mieux d’empêcher le pays de glisser vers la catastrophe, alors qu’aujourd’hui il traverse un tournant dangereux qui menace sa survie […] au vu des conflits entre les composantes (civile et militaire) de la transition […] Malgré tout ce qui a été fait pour parvenir à un consensus […] cela ne s’est pas produit », a-t-il déclaré à contrecœur à la télévision.

La démission de l’économiste de 65 ans était prévisible au regard de l’imbroglio dans lequel il se trouvait depuis qu’il avait retrouvé son fauteuil de chef de gouvernement, le 21 novembre 2021. Après le coup de force du général Abel Fattah al-Burhan le 25 octobre 2021, Abdallah Hamdok avait été placé en résidence surveillée et la Transition politique stoppée. La contestation populaire contre ce coup d’Etat et la pression de certaines puissances ont contraint al-Burhan à trouver un compromis avec le Premier ministre. Ce dernier regagne son poste, mais cette décision est mal accueillie par les civils qui voient en ce retour une trahison de la cause du peuple. Ces derniers pensent que Hamdok a conclu un accord unilatéral qui consacre une part belle aux militaires, sinon leur confiscation du pouvoir. Les tentatives de convaincre les pro-démocrates à accepter la formation d’un nouveau gouvernement sont restées vaines. Pendant ce temps, la colère des manifestants monte dans les rues de Khartoum, la capitale, et d’autres localités du pays. L’impasse était évidente d’autant plus que le général Abdel Fattah al-Burhan et ses frères d’armes durcissaient le ton face aux contestataires. Le Premier ministre avait-il d’autre choix que de démissionner ? Absolument pas ! Dans la mesure où il n’est pas parvenu à concilier les positions des civils et des militaires, qu’y avait-il de mieux à faire dans cette situation d’enlisement que de jeter l’éponge. La démission de Hamdok est le signe patent que le général al-Burhan entend rester le maître incontesté du pays. Elle est aussi le symbole d’une confiscation des acquis de la révolte populaire qui avait eu raison de la dictature Omar el-Béchir en avril 2019.

C’est donc un lendemain fait d’incertitudes qui s’ouvre pour le peuple soudanais qui a chèrement lutté pour conquérir sa liberté. Nul ne sait ce qui adviendra les prochains jours tant les militaires sont décidés à mater les contestataires. C’est un saut dans l’inconnu que le peuple soudanais s’apprête à vivre puisque le départ de Abdallah Hamdok sonne comme la fin de la transition civilo-militaire qui a eu toutes les peines du monde à tenir. La question qui se pose désormais, c’est comment le général Abdel Fattah al-Burhan va s’y prendre face à la détermination de la rue à couper définitivement l’appétit insatiable des militaires pour le pouvoir. Qui des civils ou des militaires sortiront victorieux de ce bras de fer ? Wait and see !

Karim BADOLO

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