Tissage du Faso dan fani : Un métier qui nourrit sa femme

Au sein de son association, la secrétaire générale de la Fédération nationale des tisseuses du Burkina accompagne des jeunes femmes à s’auto-épanouir à travers le tissage.

Le pagne traditionnel, Faso dan fani, est véritablement entré dans les habitudes vestimentaires des Burkinabè. Cette réappropriation du pagne, ces dernières années, a donné un nouvel essor au métier de tissage.

Village de Sonré, dans la commune rurale de Komsilga à quelques encablures de la ville de Ouagadougou. Au milieu d’un quartier composé d’habitations précaires (communément appelées non-loties), 25 femmes forment un groupement pour s’affranchir de la dépendance économique. Depuis quelques années, le tissage du pagne traditionnel, le Faso dan fani (FDF) est leur activité principale.

A leur tête, une cinquantenaire, Alizéta Tiendrébéogo qui a, à son actif une trentaine d’années d’expériences. A l’entrée de sa concession, elle s’attelle à installer sa machine à tisser, en cette fin de matinée du lundi 2 décembre 2019. Sur une chaise en plastique posée non loin de son atelier, des pagnes déjà tissés avec de multiples designs sont empilés et forcent l’admiration. Trois couleurs de fils ont été utilisées dans leur fabrication : violette, marron et blanche.

Ces pièces de tissu ont été commandées par un groupe de femmes pour une cérémonie de mariage. « J’ai appris le tissage avec ma belle-mère. A mes débuts, le pagne coutait entre 1500 FCFA et 2500 FCFA », se souvient-elle.
De nos jours, le prix du pagne, fait-elle savoir, est passé du simple au double, voire plus (5000 F CFA ou plus, l’unité). En plus de la vente dans les marchés, elle explique que son groupement reçoit de nombreuses commandes pour des cérémonies diverses et d’événements d’envergure nationale et internationale. «Ce type de commandes arrive trois à quatre fois par mois.

Quand c’est le cas, nous empruntons les fils et les produits de teinture avec l’un de nos partenaires pour répondre à la demande. Nous répartissons le nombre de pagnes à tisser par femme et après la livraison, nous nous acquittons de notre dette avant de nous répartir les bénéfices», explique la leader du groupement.

En outre, elle souligne qu’en dehors des commandes qui leur apporte les plus grands revenus, la coopérative écoule mensuellement au moins 20 pagnes et parvient à faire un chiffre d’affaires d’au moins 100 000 F CFA.
Avec les revenus tirés de leur activité, ces femmes sont devenues indépendantes au plan économique et participent aux charges familiales.
Mme Tiendrebéogo s’occupe, ainsi, grâce à ses revenus, de la scolarisation de l’un de ses quatre enfants.

« Mes deux frères et moi avons abandonné les bancs au premier cycle, faute de moyens. Mais, aujourd’hui, notre benjamin poursuit ses études grâce à l’activité de notre mère », témoigne l’un d’entre eux, Abdoul Karim Bikienga.
Abdoul gère une boutique de pagnes Faso dan fani installée par sa génitrice, et se charge également de certaines manifestations, telles la foire agroalimentaire ou les Nuits atypiques de Koudougou (NAK).

Sankara, le père du Faso dan fani

« Nous disons merci à Dieu, l’activité de notre mère nous permet de nous épanouir », souligne-t-il.
Une autre artisane, Honorine Compaoré/Konkisiré, réside au secteur 18 dans l’arrondissement 4 de la capitale burkinabè.
Agée d’une cinquantaine d’années, elle tisse le pagne traditionnel depuis une trentaine d’années. « J’ai commencé avec une seule machine à tisser. A cette époque, nous achetions le fil en Côte d’Ivoire ou à l’usine Faso Fani de Koudougou », se remémore-t-elle.
Mère de six enfants et grand-mère, Mme Compaoré a encore en mémoire les temps forts de la période révolutionnaire.

Le président Thomas Sankara avait lancé, relate-t-elle, la promotion du pagne traditionnel dans le but de contribuer au développement socio-économique de milliers de tisseuses du Burkina Faso et les « libérer du joug de la domination masculine ».
«La Caisse de sécurité sociale a organisé, sous la Révolution, un concours pour intégrer un centre de tissage. J’ai postulé et elle m’a retenue. C’est ainsi qu’a débuté ma carrière », se rappelle-t-elle.

Alizéta Tiendrébeogo souhaite que le gouvernement facilite l’accès des financements aux femmes tisseuses.

Pour elle, le tissage du FDF est sans conteste une activité génératrice de revenus.
L’attachement à ce pagne a disparu, selon Mme Compaoré, après l’assassinat du leader de la Révolution d’Août 1983 jusqu’à l’avènement de la Transition qui a ravivé cette flamme d’amour pour le FDF dans le cœur des Burkinabè.

Le tissage est devenu, se réjouit-elle, une activité pourvoyeuse d’emplois et de revenus.
Grâce à ce métier, j’ai pu, révèle-t-elle, construire une villa pour ma famille et ouvrir une boutique de pagnes tissés au quartier Tanghin. « J’ai aussi une parcelle que m’a offerte une amie, Sœur religieuse à cause de ma passion pour le tissage. J’y ai installé une quinzaine d’ateliers. J’emploie 15 femmes qui sont payées en fonction du nombre de pagnes tissés. Mon fils qui fait la teinture est aussi payé par mois », indique «Maman Honorine», comme l’appelle ses collaborateurs.

Lauréate du pagne d’or au Dan fani Fashion week 2017, avec deux prix lors du Salon international de l’artisanat de Ouagadougou (SIAO) et récipiendaire de l’Ordre du mérite du développement rural, l’artisane ne cache pas la rentabilité du tissage. Son chiffre d’affaires mensuel, dévoile-t-elle, se situe entre 900 000 et 1 000 000 F CFA. Elle a également remporté le concours sur le motif du pagne de la célébration du 8-Mars 2020 organisé par le ministère en charge de la femme et doté d’une valeur de deux millions F CFA. « Je rends grâce à Dieu parce que j’arrive à prendre soin de ma fille et à payer la scolarité de mes enfants », confie-t-elle fièrement.

Les difficultés du secteur

Elle regrette, toutefois, que le tissage soit considéré comme un métier réservé aux filles qui ont échoué à l’école. Raoul Compaoré, l’un de ses fils, est teinturier. Il travaille avec sa génitrice depuis une quinzaine d’années. « C’est vrai qu’elle est ma mère, mais quand il s’agit du boulot, nous avons une relation de patronne à employé. Grâce à mon travail, j’arrive à m’occuper décemment de ma famille », soutient Raoul Compaoré.

La politique du gouvernement en matière de valorisation des produits locaux, salue-t-il, a favorisé le développement des activités de tissage. Germaine Compaoré est la présidente de l’association des tisseuses Teega-Wendé et secrétaire générale de la Fédération nationale des tisseuses du Burkina Faso. Son association, reconnue officiellement en 2010, regroupe 347 femmes du quartier Kouritenga dans l’arrondissement 6 de la ville de Ouagadougou. «Au début, nous avons approché des partenaires, notamment l’ONG Shalom qui nous a accompagné à acquérir le fil. Nous avions à notre disposition par mois, 100 balles de fil.

Et nous devions nous partager dix paquets par membre », se souvient-t-elle.
Même, si cet appui était insuffisant à l’époque, reconnaît Germaine Compaoré, son association a toujours travaillé à valoriser le pagne traditionnel à travers des journées promotionnelles.

La décision du gouvernement de la Transition, le 2 septembre 2015, de faire du FDF, le pagne officiel de la fête du 8-Mars a apporté, selon elle, une bouffée d’oxygène au plaidoyer de son association. « Elle a été un top de départ pour toutes les organisations de tisseuses.

Mme Honorine Compaoré appelle les jeunes à se lancer dans le métier de tissage.

Nous avons donc jugé nécessaire de former une organisation faitière afin de pouvoir répondre à la demande et défendre nos intérêts », explique-t-elle.
La fédération regroupe, précise-t-elle, 13 unions régionales et chacune d’elles composée de plusieurs associations. La présidente de l’association Teega-Wendé est formelle: les tisseuses vivent de leur métier.

Pour elle, le tissage constitue un maillon important de l’économie burkinabè capable de contribuer au développement. Grâce à ce métier, Germaine Compaoré participe à des foires sur les plans national et international pour vendre les produits de son association.
Cependant, les tisseuses sont, déplore-t-elle, confrontées à plusieurs difficultés qui freinent le développement de leur activité.

Consommer local

Il s’agit des prix élevés des produits de teinture, du fil, des machines à tisser sans oublier la rareté, souvent, de la matière première. A écouter les artisanes, la balle de fil coûte entre 84 000 F CFA et 90 000 F CFA. « Auparavant, nous arrivions à nous procurer les fils à plusieurs couleurs. Mais, aujourd’hui, il faut d’abord acquérir le fil blanc et ensuite faire la teinture. Ce qui rend le coût de production élevé. Et nous n’avons d’autre alternative que d’augmenter le prix du pagne. Mais, cela ne plaira pas à nos clients », souligne Alizéta Tiendrébéogo.

Malheureusement, son groupement, se lamente-t-elle, n’a pas accès aux financements. C’est pourquoi, Honorine Compaoré appelle à une réduction du prix du fil et à une dotation conséquente des associations féminines en machines. « Je souhaite acquérir une machine électrique ou à quatre pédales afin de pouvoir augmenter ma production », fait-elle savoir.
La secrétaire générale de la Fédération nationale des tisseuses du Burkina évoque, pour sa part, le manque de maîtrise parfaite du métier par la majeure partie des artisanes.

A son avis, les actrices ne disposent pas encore de la technologie nécessaire pour une production de qualité et à grande échelle. «Les moyens que nous utilisons ne sont pas adaptés. Pour le moment, avec les critères du cahier des charges du label FDF, les centres et tisseuses capables de l’avoir se comptent au bout des doigts », insiste-t-elle.
Germaine Compaoré préconise, pour ce faire, un renforcement des capacités. Attirées par la rentabilité du tissage, de nombreuses femmes, dit-elle, ont intégré le milieu sans disposer des compétences nécessaires.

Aussi, invite-t-elle, le gouvernement à doter les tisseuses en équipements adéquats.
La première responsable de l’association Teega-Wendé dénonce également les retards de paiement pour les marchés publics qui ne favorisent pas l’essor des activités de tissage.
« La plupart des femmes n’ont pas une bonne assise financière. Et quand il faut attendre cinq ou six mois avant d’être payé, cela pose problème. Si des efforts pouvaient être faits à ce niveau, cela pourrait nous aider à aller de l’avant », estime Germaine Compaoré.
Elle appelle, dans le même ordre d’idées, les Burkinabè à consommer le produit local. Car, c’est ainsi, à son avis, que le Burkina Faso va amorcer son développement.

Joseph HARO
josephharo4@gmail.com


 

Les étapes de la confection du Faso dan fani

La fabrication du pagne traditionnel Faso-dan fani comporte quatre principales étapes. La première consiste à défiler les rouleaux de fils et de les ajuster grâce à un mécanisme pour atteindre la mesure nécessaire. La deuxième est la teinture des lots de fils selon la couleur désirée, ensuite séchés sur de simples cordes à linge. La troisième est la fixation des fils à tisser sur les plaquettes des métiers. Ce travail est totalement manuel et nécessite une grande patience et une habilité des mains. Le tissage constitue la dernière étape et est marqué par des mouvements synchronisés et réguliers. L’artisan fait passer le fil de trame grâce à la navette,- tout en alternant les plaquettes sur lesquelles sont fixés les fils de différentes couleurs.

J H


Un produit prisé hors du Burkina Faso

Le pagne tissé burkinabè est importé par voie aérienne, routière ou ferroviaire, par des clients en provenance des pays voisins notamment la Côte d’Ivoire, le Niger, le Ghana, le Sénégal. Ce produit est réexporté vers les pays comme l’Europe, l’Amérique, l’Asie et vers d’autres destinations. De nos jours, le Faso dan fani est le seul produit non alimentaire qu’on peut trouver sur tous les continents. En Amérique, en Asie, en Australie, aux Antilles, des designers promeuvent le pagne tissé. Le pagne tissé burkinabè est devenu plus cher que les tissus ordinaires importés. Avec l’amélioration de la qualité des productions, ce produit qui était autrefois considéré comme un produit de basse qualité, est aujourd’hui apprécié comme un produit haut de gamme.

J H
Source : APEX-Burkina

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