Wahabou Bara, DG/ BBDA: « Aujourd’hui, on n’achète plus la musique, on s’abonne à la musique »

A Banfora et à Bobo-Dioulasso, le directeur général du Bureau burkinabè du droit d’auteur (BBDA) est en tournée d’explication du projet « Renforcement de la filière musique et ses nouveaux modèles économiques au Burkina-Faso et dans certains pays de l’UEMOA». Un projet présenté à Genève par le BBDA et qui sera financé par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI). Dans cet entretien, Monsieur Bara souligne l’importance dudit projet pour la musique burkinabè et ses acteurs.

 Sidwaya(S.) : Le Bureau burkinabè du droit d’auteur (BBDA) est porteur d’un projet, adopté par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle(OMPI), de renforcement de la filière musique à travers l’appropriation des nouveaux modèles économiques. Quels sont ces nouveaux modèles économiques ?

Wahabou Bara (W.B.) : Parlant des nouveaux modèles économiques, si vous prenez la filière musique de façon traditionnelle, on produisait les œuvres avec les supports physiques pour les mettre à la disposition des consommateurs. Aujourd’hui avec la dématérialisation et l’explosion du numérique, les modes de consommation ont changé. Aujourd’hui, on n’achète plus la musique, on s’abonne à la musique. C’est le téléchargement, le streaming et l’écoute en flux continu.  Qui parle d’abonnement, parle de nouveaux outils qui doivent être mis en place notamment le paiement électronique, les paiements bancaires. Il est aussi question de  confort d’écoute parce qu’on écoute également la musique avec des écouteurs. Ces nouveaux modèles économiques, il faut se l’approprier afin de donner une réponse à la fracture numérique.

S.: Comment est née l’idée de ce projet ?

 W.B. : C’est un projet qui a été muri dans les laboratoires du BBDA. Avec les collaborateurs, nous avons voulu éviter d’aller faire de la figuration aux instances internationales notamment lors des rencontres de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI). Nous avons constaté qu’il était possible de proposer des projets relatifs aux filières gérées au sein du BBDA. Malgré l’étude d’impact du ministère de la Culture, des Arts et du Tourisme qui a identifié la   musique comme une filière porteuse, elle souffre pour d’une faiblesse de structuration. Nous avons monté un dossier intitulé ’’Développement de la filière musique au Burkina Faso’’ qui a été, dans un premier temps, soumis à l’assemblée de l’OMPI en novembre. Ce projet a été retenu avec comme consigne, du  secrétariat de l’OMPI, d’intégrer les observations des autres délégations. Ainsi le projet a été redéfini ‘’Développement de la filière musique au Burkina Faso et des nouveaux modèles économiques dans l’espace UEMOA’’. Il a été adopté le 22 mai 2019 à l’unanimité et sera mis en œuvre pendant 30 mois (2020-2022) avec un budget de 500 000 francs suisse(environ 295 millions de F CFA).

S.: De projet burkinabè, il est devenu sous-régional. Quels sont les pays qui participent à l’initiative?

W.B. : Le projet concerne l’espace UEMOA parce qu’il y a une dynamique sous-régionale. C’est l’occasion de saluer le président de la Commission de l’UEMOA qui abat un excellent travail ainsi que le responsable  du département du développement humain, le Pr Filiga Michel Sawadogo, qui ne cesse de nous accompagner par des conseils. Ce projet vise à doter la filière musique, à l’image de l’audiovisuel, de directives. On espère qu’à la fin, ce projet  pourra déclencher un projet de directives en faveur de la filière musique. Pour ce genre de projet, trois à quatre pays pilotes sont choisis. Sans devancer l’iguane dans l’eau, vous aurez la Côte d’Ivoire et le Sénégal et évidemment  le Burkina Faso qui a porté le projet. Ces pays, membres de l’espace UEMOA, ont certaines similitudes avec le Burkina Faso. Ils ont fait leur  demande de participation au projet auprès du secrétariat de l’OMPI.

S.: Le renforcement concernera-t-il tous les acteurs de la filière musique ?

W.B. : Il y a un déficit de structuration des corps de métier dans la filière musique. Dans la plupart des pays de la sous-région, l’artiste est auteur-compositeur, interprète, producteur, souvent distributeur. Alors quand on se retrouve à faire tout cela, il est compliqué de donner la plénitude de son potentiel. Donc ce projet va viser à restructurer les corps de métier, à favoriser une utilisation rationnelle des droits de propriété intellectuelle à des fins de création et de production. Parce qu’ils sont nombreux, ces créateurs qui ne savent pas que de la création des œuvres découlent des droits. Comment ces droits peuvent être utilisés à des fins de production et de diffusion ? Avec les licences multi-territoriales, aujourd’hui n’importe qui peut diffuser à partir de n’importe quel territoire, donc il faut des réponses concertées. Il faut aussi des concertations entre les bureaux de droit d’auteur, les organismes de régulations et leurs ministères de tutelle. Si vous prenez l’audiovisuel, il est constitué de trois infrastructures importantes. Vous avez les fréquences, les programmes et le régulateur. Les programmes sont constitués généralement d’œuvres littéraires et artistiques qui émanent du droit d’auteur. Donc le secteur audiovisuel est tributaire de l’économie du droit d’auteur. Pourtant dans les cahiers de charges, il n’y a pas de renforcement de ce dispositif qui obligerait les organismes de radiodiffusion  à s’acquitter de la redevance de droit d’auteur. Il faut travailler sur ces choses parce que dans les missions des organismes de régulation, il est fait mention de protéger les contenus nationaux et africains. Ce sont des débats qui pourront être menés pour parvenir à une meilleure articulation entre les bureaux de droit d’auteur, les organismes de régulation et les ministères de tutelle. Ce projet concerne tous les acteurs de la filière musique.

S.: Est-ce que les journalistes seront-ils pris en compte ?

W.B. : Les journalistes culturels seront pris en compte. Ils seront dans la catégorie des médiateurs culturels parce que ce sont eux qui apportent l’œuvre culturelle au public avec ses codes, ses spécificités. Dans la phase exploratoire, il s’agira d’identifier tous les leviers qu’il faudra activer pour que le projet réponde à toutes les attentes.

S.: Comment va se présenter l’organigramme de ce projet ?

W.B. : L’OMPI fonctionne généralement sur la  base du partenariat privé/public. Au niveau du ministère de la Culture, des Arts et du Tourisme, il y aura un point focal chargé de chapeauter le projet. Il y aura également dans la société civile culturelle spécifiquement musicale un point focal et dans chaque  pays nous aurons les coordonnateurs locaux en contact avec la responsable du projet au niveau de l’OMPI, Carole Croela

S.: En cas de succès, qu’est ce qui va changer dans la filière musique ?

W.B. : A la fin du projet, pour ne pas devancer l’évaluateur, je pense à une meilleure restructuration de la chaine de valeurs  de la filière musique. Je pense à une meilleure utilisation des droits de propriété intellectuelle à des fins de création, de production et de diffusion. Je crois à une meilleure articulation entre les bureaux de droit d’auteur, des organismes de régulation, à l’amélioration des conditions sociales et économiques des acteurs de la musique et une meilleure gestion des droits dans l’environnement numérique. Ce  projet sera aussi un moyen pour réduire les conflits. Parce que lorsqu’on ne sait pas comment fonctionne un écosystème, cela peut prêter à confusion et créer des conflits. Il est important d’échanger sur le rôle des uns et des autres. C’est pourquoi pendant la première année, il y aura une équipe exploratoire. Elle consistera à rencontrer les différentes parties prenantes dans chaque pays afin que les acteurs exposent leurs difficultés et leurs aspirations. Il y aura une hiérarchisation des priorités. On ne peut pas tout régler en 22 mois.

 

 

Alassane KERE

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