Dégradation des terres cultivables: la coupe abusive du bois, un frein à la sécurité alimentaire

La recherche du charbon de bois et …

Au Burkina, des milliers d’hectares de forêts disparaissent chaque année. Selon les données de la direction générale des Eaux et Forêts, le bois alimente des milliers de foyers et des marchés de charbon dans plusieurs grandes villes du pays. Pour la seule ville de Ouagadougou, la demande en bois de chauffe et de charbon de bois est passée de 341 000 tonnes en 2000 à 567 000 tonnes en 2016. Ainsi, dans les villages, les terres se dégradent de plus en plus, plongeant près de 3 millions de Burkinabè dans l’insécurité alimentaire aiguë. Comment la razzia des forêts menace-t-elle des vies ? Quelles sont les actions en cours pour y faire face ? Réponse.

Dans le village de Po, à environ 6 km de la commune de Kyon, province du Sanguié (Réo), le soleil est ardent en cette journée du vendredi 25 avril 2025. Tandis que certains se rendent au marché de Kyon, Jeannette Kantiono, la quarantaine révolue, travaille sans relâche dans son champ d’un hectare et demi. Armée de sa daba et sa machette, elle prépare cette terre qu’elle cultive depuis 25 ans, pour la saison d’hivernage imminente. Elle s’affaire donc à défricher son lopin. D’abord, elle coupe les arbustes et ramasse les résidus de la dernière récolte qu’elle répand ensuite sur le sol desséché avant d’y ajouter de la fumure organique, transportée par charrette.

« Quand il pleut, ces déchets retiennent l’eau et avec le fumier, le sol devient humide et riche pour les cultures », explique-t-elle. Les mains de Jeannette portent les stigmates d’un labeur de longues années. En effet, ce champ, autrefois très productif, est aujourd’hui appauvri du fait de la dégradation du sol. « Dans les années 2000, j’avais de bons rendements, mon grenier était plein. Mais ces dernières années, ils ont chuté. La saison dernière, je n’ai récolté que deux charrettes de sorgho blanc », confie-t-elle, toute désemparée. Dans son champ, les deux arbres de karité qui servaient d’ombre à Jeannette ont été coupés à son insu par un individu dont elle ignore l’identité. Face à ce constat douloureux, Jeannette ne décolère pas.

… le bois de chauffe détruisent les terres cultivables.

Comme elle, de nombreux agriculteurs sont les témoins impuissants d’une déforestation galopante où le karité et le néré sont ciblés pour leur bois, dont le prix d’une charrette grimpe jusqu’à 7 500 F CFA. « C’est une course effrénée à l’argent », déplore la productrice. Pourtant, l’arbre est un allié essentiel dans l’agriculture. Selon le Directeur technique du génie et des infrastructures forestières (DGIF), Moukailou Dorinta, il joue un rôle de brise-vent naturel et améliore la qualité du sol. Ses racines favorisent une meilleure infiltration de l’eau, tandis que ses feuilles mortes fertilisent la terre.
« Sans arbres ou arbustes, la terre est exposée à l’érosion par l’eau et par le vent. Cela emporte la couche fertile du sol et le transforme en désert. Un sol pauvre signifie de mauvaises cultures et de faibles rendements », prévient Moukailou Dorinta. Il détaille que le déboisement dégrade les sols par l’érosion, l’appauvrissement et la désertification.

Déforestation galopante

En la matière, des études du ministère en charge de l’environnement ont révélé que le pays a perdu plus de 30% de sa couverture forestière au cours des 10 dernières années, confie Moukailou Dorinta. Depuis 2003, 105 000 hectares de forêts disparaissent chaque année au profit du marché informel et formel de bois, de charbon de bois et de bois d’œuvre, dit-il. Selon les données récentes publiées par la plateforme en ligne Global forest watch, les moyens de subsistance de millions de personnes sont menacés. En 2020, le pays comptait encore 2,22 millions de forêts naturelles, soit 8,1% de sa superficie totale. Mais cette richesse a enregistré une perte de 5 610 hectares en 2024.

La situation est plus perceptible dans le Nando. En effet, l’Enquête permanente agricole (EPA) de la campagne agricole 2023/2024 du ministère en charge de l’agriculture précise que dans la province du Sanguié, la perte continue du couvert forestier naturel s’est intensifiée entre 2016 et 2025. En 2020, la région comptait 173 000 hectares de forêts, mais entre 2021 et 2024, 97 % de cette couverture ont disparu. Aujourd’hui, la région de Nando est considérée comme l’une des principales sources d’émission de CO2 liée à la déforestation au Burkina, avec près de 10 027 gigagrammes de CO2 entre 2000 et 2013.

Baya Bamouni, à cause de la dégradation des sols, veut abandonner l’agriculture familiale au profit du maraichage.

A Ouagadougou, la capitale burkinabè, la demande en bois de chauffe et en charbon de bois ne cesse d’exploser et les forêts, de plus en plus menacées. De 341 000 tonnes en 2000, elle a bondi à 567 000 tonnes en 2016, selon les chiffres de la direction générale des Eaux et Forêts. Pire, la direction générale estime que la demande cumulée dépassera 2,14 millions de tonnes entre 2024 et 2028. Chaque famille a besoin de chaleur, de quoi cuisiner. Mais cette nécessité vitale induit une exploitation abusive du bois de chauffe dont les conséquences sont désastreuses pour l’agriculture. Cette déforestation, alertent les experts, affecte non seulement la biodiversité et le climat local, mais aussi l’économie nationale.

En effet, la forêt contribue à environ 9,6% du PIB du pays (Global forest watch) notamment via la production de bois de chauffe et les produits forestiers non ligneux. La perte des forêts menace donc les moyens de subsistance de plus de la moitié de la population qui dépend directement des ressources naturelles. Sur le plan environnemental, la dégradation des forêts entraîne une réduction de la densité et de la diversité des arbres, modifie le microclimat et le cycle hydrologique et accentue les vagues de chaleur extrêmes observées. Ce qui a un impact direct sur la santé humaine.

Des rendements en baisse

La déforestation et avec elle, l’appauvrissement des sols, impactent un pan entier de l’agriculture familiale au Burkina. Les données du ministère en charge de l’agriculture estiment à 6 millions d’hectares les terres déjà dégradées, affirme M. Dorinta. Derrière ces chiffres se cachent des greniers qui ne se remplissent plus. Baya Bamouni, agriculteur de 44 ans à Tialgo, situé à 5 km de Ténado, en est un exemple poignant. Habitué à une bonne récolte, il est contraint d’abandonner son champ à cause des rendements qui ont chuté. « Je ne peux plus avoir un grenier plein de sorgho blanc », confie Baya le regard teinté de regrets. Celui qui cultivait deux hectares de cette céréale ne peut désormais s’en tenir qu’à un hectare. Pour subvenir aux besoins de sa famille, Baya s’est tourné vers le maraîchage, une culture qu’il juge fructueux.

« Cette activité est très rentable. Et avec cet argent j’achète les vivres pour nourrir ma famille », raconte-t-il. En novembre 2024, la production de céréales en Afrique de l’Ouest devrait s’établir à 73,7 millions de tonnes, soit un recul d’environ 700 000 tonnes par rapport à l’année précédente, selon les estimations de l’Organisation des Nations unies

« Il est interdit de couper le karité ou le néré », explique le Directeur du génie et des infrastructures forestières (DGEF), Moukailou Dorinta

pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). D’après l’Enquête permanente agricole (EPA) de la campagne agricole de 2023-2024 du ministère en charge de l’agriculture, au Burkina Faso, le rendement est en baisse de 1,98% par rapport à la campagne précédente (2022-2023) et en baisse de 1,63% par rapport à la moyenne des cinq dernières années. La sécheresse et la pauvreté des sols sont les principales causes de la baisse significative de la production.

Conséquences, le sorgho blanc, le niébé, le mil, qui occupent près de 600 000 hectares de parcelles, sont les plus touchées. La production des cultures céréalières est estimée à plus de 5 millions de tonnes pour la campagne agricole 2023/2024 et cette production est en baisse de 0,60 % par rapport à celle de la dernière campagne agricole. Déjà, certaines familles se tournent vers d’autres sources de revenus. Hélène Kanzié, mère de quatre enfants avec une belle-fille à sa charge, est une des femmes résilientes. Elle a fondé la coopérative “Doui gnè” (signifie en langue gourounsi la famille est
unie – NDLR) qui rassemble une cinquantaine de femmes. Ensemble, elles collectent et achètent les noix de karité pour les transformer en beurre qu’elles revendent ensuite.
« Aujourd’hui, l’agriculture familiale ne rapporte plus.

On est donc obligé de mener d’autres activités pour acheter des vivres afin de nourrir nos familles », explique-t-elle. Un rapport de l’IPC (cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire piloté par plusieurs ministères dont ceux en charge de l’agriculture et de la santé) alerte sur la situation de la région du Nando. La prévalence de la malnutrition aiguë dépasse la moyenne nationale, comparativement aux autres régions et le taux de dépistage (MAS) frôle 8,3%. Pour l’Etat burkinabè, cela reste un enjeu majeur avec des besoins importants en interventions nutritionnelles adaptées.

L’espoir avec l’Offensive agropastorale

Depuis décembre 2023, une interdiction frappe l’exportation des principales céréales du Burkina. Niébé, riz, mil, maïs, sorgho … aucun sac ne doit franchir les frontières. Cette mesure qui reste en vigueur jusqu’à nouvel ordre, vise à garantir la disponibilité et l’accessibilité des céréales pour toute la population afin d’assurer la sécurité alimentaire nationale. En conséquence, la délivrance des Autorisations spéciales d’exportation (ASE) pour les céréales est suspendue, et tout contrevenant s’expose à des sanctions conformément à la réglementation en vigueur.

Au même moment, la Société nationale de gestion du stock de sécurité alimentaire (SONAGESS) organise régulièrement des opérations de vente de céréales à prix social, notamment du maïs, pour aider les populations vulnérables à accéder à des denrées essentielles. En février 2025, elle a mené une opération spéciale de vente de maïs
(40 tonnes) dans plusieurs arrondissements de la ville de Ouagadougou, à raison de 6 000 F CFA le sac de 50 kg. Une opération similaire s’est tenue du 12 au 30 juin 2025, avec une « vente directe sur camion ».

Dans la mise en œuvre de l’Offensive agropastorale et halieutique dont l’objectif est de parvenir à la souveraineté alimentaire, la production issue des sites aménagés à cet effet devrait faciliter la constitution des stocks de sécurité gérés par la SONAGESS. En effet,

« La coupe abusive de bois détruit nos sols », estime Jeannette Kantiono.

avec l’Offensive agropastorale et halieutique 2023-2025 en cours, le pays attend une production céréalière de 7 millions de tonnes dont 20 000 tonnes de blé, 2,41 millions de tonnes de maïs, 1 million de tonne de riz Paddis, 968 533 tonnes de mil, 2,54 millions de tonnes de sorgho et 43 013 tonnes de fonio.

Dans la même lancée, la SONAGESS a été érigée en centrale d’achat, chargée de constituer et  de gérer les réserves de sécurité alimentaire, les stocks de régulation commerciale et les stocks de produits de rentes stratégiques. Dans ce sens, elle a lancé, l’opération
« collecte bord champ » de céréales, à Kalsaka, mardi 4 novembre 2025. L’objectif de la collecte bord champ qui va se dérouler durant trois mois sur toute l’étendue du territoire national concerne le maïs, le mil, le sorgho, le riz et les légumineuses, pour un total attendu de 530 000 tonnes de céréales.

Défis du contrôle local

Alors que ce combat se mène, la lutte contre la déforestation a été engagée depuis plusieurs décennies au niveau gouvernemental. Ainsi, à partir de 1985 (création de la SONABHY), le Burkina subventionne le gaz butane pour freiner la coupe de bois. Malgré plus de 271 milliards F CFA injectés ces 11 dernières années, dont 19 milliards F CFA au premier trimestre de l’année 2024, et la plantation de 20 millions d’arbres en 2025, la pression sur les ressources forestières ne faiblit pas.

A Tiogo, un village de la commune de Ténado, le chef de poste forestier, Aristide Guigma, précise que les agents forestiers travaillent d’arrache-pied à contenir les actions anthro-piques, à travers des patrouilles forestières, des campagnes de sensibilisation et des interpellations pour les cas assez flagrants. Au plan national, le Burkina Faso, participe au Forest Carbon Patnership de la Banque mondiale et s’est même engagé dans le mécanisme REDD+ pour lutter contre la déforestation. Le pays dispose également d’une stratégie nationale ambitieuse de reforestation. Il reste à relever les défis auxquels sont confrontés les acteurs-terrains, notamment l’insuffisance de moyens logistiques (véhicules, carburant …).

Fleur BIRBA

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