Depuis que la démocratie est venue nous engluer dans la paresse et l’égoïsme, l’intérêt commun n’est plus qu’un vain groupe de mots qui souffre de tous les maux. Avec la démocratie, la liberté est sacrée et le Burkinabè d’antan a l’air d’un projet inachevé, perdu au présent. Hier seulement patriote combattif, attaché à la nation et prêt à mourir pour la patrie ; aujourd’hui, compatriote en papier froissable à volonté au moindre coup de « feuilles » craquantes. L’argent a remplacé les gens au point que les uns sacrifient les autres pour être heureux les mains sales. Le goût du pouvoir a rendu fades les délices du savoir dans un pays où l’honneur et la fierté traînent les pas derrière une intégrité pure et propre comme du charbon fin. On peut mettre sa main au feu et mentir en jurant de dire la vérité rien que la vérité. L’amour de la patrie est un slogan commercial d’infidèles marchands d’illusions. Chacun balaie devant sa cour pour jeter à la porte du voisin ; personne n’est capable de meilleur que pour soi. L’ère de la solidarité a cédé la place au temps de la cupidité et de l’indifférence. Plus personne ne veut mettre la main à la pâte ; tous veulent fouiner dans les poches du boubou de l’autre. Sous perfusion, l’économie nationale est un grabataire aux jours comptés mais les accompagnants du malade sucent son sang sans se faire du sang d’encre. Il y en a même qui ont fini par devenir riches à force de lutter contre la pauvreté. C’est contradictoire mais la contradiction n’est-elle pas la sève nourricière de la démocratie ? Pendant que le panier de la ménagère se rétrécit comme une peau de chagrin, la gibecière de l’impénitent commis indélicat se nourrit de la sueur des dignes. La démocratie est le meilleur moyen de se développer sans avancer. Que de débats stériles sans actions concrètes ; que de verbiage aux allures de cacophonie ; on s’écoute mieux quand on se bouche les oreilles ; on voit clair quand tout est flou.
Dans ce tohu-bohu, ne cherchez surtout pas la vérité ; elle a existé dans le temps mais c’était à l’heure où il y avait encore des hommes. Ne pensez pas à la droiture ; l’honnêteté a la forme d’une faucille et le juste partage et tranche toujours en faveur du plus fort. L’homme de parole est un amnésique tartuffe géant à la fourberie subtile. Même face à leurs propres propos il y en a qui refusent et crient au quiproquo. Quel imbroglio ! D’autres parlent même de montage devant leur conscience en délestage. Le Burkinabè d’aujourd’hui ne cherche pas à entrer dans l’histoire ; il y a longtemps que l’histoire lui a fermé ses portes. Le Burkinabè d’aujourd’hui est un héros qui ne fait rien sans compter, sans calculer, sans jauger. L’engagement du leader n’est qu’un placement de dealer à moyen ou à long terme. Finie, l’ère des héros qui se battaient pour zéro ; fini, le temps des francs parleurs dont les discours restent gravés dans du marbre. Bonjour au siècle des beaux parleurs à peine audibles dans un haut-parleur. A quoi sert de jouer le héros quand la seule récompense est d’être adulé et reconnu à titre posthume ? A quoi bon s’il s’agit juste d’avoir eu du cran sur un banc de touche ? Pour quel idéal peut-on encore vraiment se battre quand les bénéficiaires de la lutte sont des poules qui picorent et piétinent les graines de l’usufruit dans la boue ? Ceux qui se sont battus pour nous au point de tout troquer se sont trompés de combat ; leur héritage est un brouhaha de saltimbanque réduit au rang de pastiche ou de parodie. Voilà pourquoi, on nous traitera au rabais d’appartenir à la race asine, parce que nous avons osé beugler dans les oreilles du maître à penser. Mais ne vaut-il pas mieux être comme l’âne de Buridan que de faire l’âne pour avoir du son ? Ça tape à l’œil ; c’est même un pont aux ânes ! Mais à quoi bon le coup de pied de l’âne ? Si seulement le maître reconnaissait que c’est grâce à l’âne que la basse-cour aux gazouillis s’est érigée. S’il savait que l’âne ne demande qu’à brouter juste là où on l’a attaché, le foin qui lui revient de droit ! Et si l’âne savait qu’il doit enfin travailler pour lui-même, nous n’en serions pas là, las de la rhétorique du bourreau et de la victime. La vraie indépendance se prend, elle ne se donne pas, ne se quémande pas. Elle s’arrache dans le travail, dans l’autodiscipline, dans le respect mutuel. Sinon, nous continuerons à sauter du coq à l’âne !
Clément ZONGO
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