Economie mondiale :« Ce sont les petits pays qui financent les grands », Dr Hamidou, enseignant-chercheur

Dans cet entretien, l’enseignant-chercheur en économie monétaire et financière à l’Institut burkinabè des arts et des métiers (IBAM) de l’Université Joseph Ki-Zerbo, Dr Hamidou Sawadogo, revient sur les conclusions du sommet sur le financement des économies africaines, tenu le 18 mai 2021 à Paris, à l’initiative du président français, Emmanuel Macron. L’universitaire dégage des pistes d’actions pour un véritable décollage économique du continent noir.

 

Sidwaya (S) : Le 18 mai 2021 s’est tenue à Paris un sommet sur le financement des économies africaines, une sorte de new deal africain pour la relance économique de l’Afrique, à l’initiative du président Français, Emmanuel Macron. Cette rencontre était-elle la bienvenue ou une de trop sur le développement de l’Afrique ?

Dr Hamidou Sawadogo (H.S) : A priori, c’est une bonne chose de réfléchir sur le financement des économies africaines, peu importe le lieu. C’est plutôt les questions de fond du sujet, qu’il faut apprécier et non de forme. Dans le fond, si les économies africaines sont bien financées, cela peut créer le développement, la croissance économique et extirper le continent de la pauvreté, ne serait-ce que de celle monétaire. Certes, un sommet sur les économies africaines à Paris a des relents de néo-colonialisme. Mais si dans le fond, le problème est bien posé cette rencontre peut être bénéfique pour l’Afrique.

S : Quelle appréciation faites-vous des conclusions de ce sommet ?

H.S : L’Afrique a été durement touchée par la COVID-19, même si en termes de statistiques, on peut considérer qu’elle a été moins affectée que les autres continents. Mais les économies africaines sont tellement fragiles que n’importe quel choc peut les faire vaciller. En termes de conclusions, on peut retenir les droits de tirage spéciaux (DTS) que l’on va mettre à la disposition de l’Afrique. Les DTS ne constitue pas de l’argent liquide que l’on donnera à l’Afrique. Ils permettent aux pays africains d’améliorer les capacités à emprunter, car les DTS sont comme des réserves déposées dans une banque centrale et qui servent de garantie.

S : Sur les 650 milliards de dollars de droit de tirage prévus, seulement 33 milliards de dollars reviennent à l’Afrique. Au regard de cette part qu’il juge « trop peu et encore insuffisant », le président Macron souhaite que des efforts soient faits pour augmenter la part du continent 100 milliards. Votre commentaire…

H.S : Il n’y a pas que les 33 milliards de dollars. Ce montant va permettre à l’Afrique de faire des emprunts à court terme. En plus de ces 33 milliards, il y a d’autres dotations, notamment les DTS des grandes puissances qu’elles céderont à l’Afrique.

La France n’a pas par exemple besoin de la garantie des DTS pour lever des fonds sur les marchés financiers. Bien qu’elle n’ait pas besoin de ces réserves, elle a décidé de les récupérer pour ensuite, sur sa décision, de les mettre à la disposition de l’Afrique. Par exemple, si le Burkina Faso veut emprunter de l’argent pour réaliser une route, la France peut décider d’offrir ses DTS en garantie. Comme les grandes puissances n’ont pas besoin de ces DTS, elles auraient pu dire au FMI de les octroyer directement aux pays africains.

On peut se demander pourquoi ce qui est destiné au continent africain doit passer par les pays occidentaux. C’est une question fondamentale qui fait penser au néocolonialisme. Des fonds à accorder aux Africains doivent l’être directement et de les laisser la latitude de décider de ce qu’ils vont en faire.

A l’origine, les DTS sont faits pour les emprunts qui doivent être remboursés en monnaie locale à hauteur de 33% et le reste dans les cinq monnaies internationales les plus fortes.

Le problème fondamental du continent africain n’est pas celui du volume des financements qu’il reçoit mais leur utilisation efficace. On a vu les pays asiatiques qui ont pu se tirer d’affaires avec les programmes d’ajustement structurels en combinant l’exigence d’ouverture au marché à leurs valeurs propres pour se hisser aujourd’hui au statut de pays développés.

S : La solution du droit de tirages spéciaux est-il une thérapie efficace contre la crise économique et financière liée à la COVID-19 ?

H.S : Il est l’une des solutions. Une fois encore, le mal de l’Afrique ne réside pas dans le financement mais dans son utilisation ! Aujourd’hui, le continent arrive à mobiliser des ressources pour faire face à ses nombreux besoins d’investissements. Malheureusement, le volume croissant des investissements est lié au fait que les infrastructures réalisées avec ces ressources sont mal faites. Prenons le cas des routes où en moins de cinq ans, on est obligé d’y faire des réfections. Dans les grands pays, la durée minimale pour réfectionner une route est de 15 ans. En occident, la durée moyenne d’une route est de 25 ans. Au Burkina Faso, quelle est la durée de vie des routes ? Je vous laisse deviner.

S : Pourquoi l’Afrique n’arrive pas à utiliser efficacement ses ressources ?

H.S : Il est de la responsabilité des leaders africains. Certes, il y a la main extérieure qui ne veut rien lâcher. Il n’y a pas lieu de s’apitoyer sur son sort mais de travailler à créer les conditions de son propre développement. Prenons le cas des infrastructures qui sont mal réalisées, ce sont les africains qui les font et non une main extérieure. Le jour où les Africains en prendront conscience, le monde entier nous respectera. Ce qui nous arrive n’est pas une fatalité. L’Asie est également passée par là. Mais aujourd’hui, les emprunts des pays asiatiques ne sont pas soumis aux conditionnalités que les bailleurs imposent aux pays d’Afrique ! Quel pays au monde peut empruntant à la Chine en lui imposant ses desideratas ?

S : Le sujet de la consolidation du moratoire sur les intérêts et le principal de la dette détenue par les pays du G20 en 2020 et 2021 a largement été abordé durant ce sommet de Paris. A propos, à quelles conclusions le sommet est parvenu ?

H.S : : Le moratoire est un délai de grâce que l’on accorde aux pays africains. Car, on estime que les économies du continent ont été durement éprouvées par la COVID-19 qu’elles ne peuvent pas faire face au paiement de tous les services de la dette. On demande alors aux pays qui ont des dettes de payer le capital, en accordant un délai de grâce pour le paiement des intérêts suivant les termes de l’accord.

S : Au cours du sommet, on a également dénoncé l’accès inéquitable de l’Afrique au vaccin contre la COVID-19, avec à peine 2% de sa population vaccinée. A qui la faute ?

H.S : Je n’accuse pas les Occidents, car chaque pays doit se donner les moyens de son existence. Il appartient aux Africains de se faire vacciner s’ils estiment que le vaccin est la solution. Le Burkina Faso a fait des réaménagements budgétaires pour faire face au défi sécuritaire. De la même manière, il peut faire des réajustements pour acquérir le vaccin si cela constitue sa priorité. Surtout que le coût du vaccin n’est pas au-dessus de nos capacités. Peut-être que les Etats africains observent une certaine prudence face au vaccin qui fait polémique surtout en Occident.

S : L’Afrique a connu une récession en 2020, après un quart de siècle de croissance économique. Selon le Fonds monétaire international (FMI), 285 milliards de dollars de financements supplémentaires sur la période 2021-2025 seraient nécessaires aux pays africains pour renforcer leur réponse à la pandémie. L’Afrique pourra-t-elle mobiliser un tel montant au regard du contexte économique international difficile ?

H.S : Il serait difficile à l’Afrique de mobiliser de tels moyens financiers. La mobilisation des ressources doit résulter d’une conjugaison d’efforts des Africains avant de dépendre de la volonté des financeurs. Si l’Afrique présente de bons projets, elle pourrait mobiliser d’importantes ressources à même de lui permettre de relancer son économie.

Mais il faut noter que la récession africaine n’est pas seulement liée à la crise sanitaire. Le continent vit une certaine instabilité due aux crises sécuritaires, politiques, au terrorisme, à la gouvernance.  Ce qui fait qu’une part importante des ressources est orientée vers la stabilité des Etats. Il y a donc une certaine récession qui s’observait avant la COVID-19 qui est venue aggraver cette crise économique.

S : A l’issue du sommet, Emmanuel Macron a déclaré qu’il a permis de parvenir à « un changement d’état d’esprit et au lancement d’une nouvelle dynamique profonde » pour l’Afrique. Etes-vous de cet avis ?

H.S : C’est relatif ! C’est le point de vue du président français. Les Africains peuvent aussi avoir leurs points de vue ! Mais quand on observe les relations France/Afrique, on se rend compte que les dirigeants africains ne sont pas opposés à ceux de la France. Heureusement, la jeunesse africaine est en train de prendre conscience, de prendre son destin en main, veut être la locomotive qui permet au continent de créer son propre développement.

Personnellement, je ne compte pas sur nos dirigeants pour nous frayer un chemin du développement ; je crois plutôt à cette jeunesse du continent, pas forcement à travers des marches, des mouvements mais plutôt avec une prise de conscience, le travail, la réflexion profonde.

Il est possible de créer une nouvelle dynamique France-Afrique si les Français comprennent que l’Afrique veut se développer, prendre son destin en main, que nous sommes des partenaires stratégiques, où les deux ont mutuellement besoin l’un de l’autre. Dans tout autre schéma faisant appel aux rapports de maître à élève, il nous serait difficile d’avancer. Car, les leçons que nous apprenons de la France ne font pas notre croissance économique, notre développement. Certes, nous avons besoin de l’expertise, des financements français mais dans le cadre d’un partenariat gagnant-gagnant.

S : Comment expliquer qu’après 60 ans d’indépendance, l’Afrique peine encore à mobiliser des ressources internes pour financer son développement ?

H.S : : Le problème de l’Afrique est interne. Je le répète, personne ne viendra faire notre développement à notre place. Aujourd’hui, il y a des possibilités de financements. Je suis dans le milieu bancaire et contrairement à ce que l’on pense, ce sont les petits pays qui financent les grands. Comment ? L’épargne collectée dans les pays en développent n’est pas réinjectée dans l’économie locale, car on estime que les risques associés à nos projets de financements sont très élevés. Et nos banques qui sont en majorité des filiales des banques occidentales rapatrient cette épargne dans leurs pays d’origine où elle sert à financer des projets de développement. Il faudrait que les Etats africains mettent en place des systèmes de garantie pour permettre aux banques de financer les projets en vue de propulser le développement. Sans investissement, il n’y pas de croissance.

Il faudrait donc que les emprunts internes (obligations, bons de trésor) des Etats africains soient exclusivement dédiés aux investissements productifs qui apportent la croissance au lieu qu’ils servent financer la consommation, à résoudre les revendications sociales.

S : Au plan fiscal, n’y a-t-il un potentiel non encore exploité ?

H.S : Je suis entièrement d’accord avec vous ! Au niveau des finances publiques de nos Etats, nous avons deux principaux problèmes : la mobilisation des ressources et leur bonne gestion. Au niveau de la mobilisation des ressources, la recette consiste à élargir l’assiette fiscale, à ratisser large. Il faut donc imposer tout le monde. Nos grandes entreprises sont, d’une certaine manière, exonérées de l’impôt. On me dira qu’elles paient, mais le font-elles à la hauteur de leurs capacités contributives ? J’en doute fort ! Un opérateur qui a plusieurs entreprises avec deux ou trois où il est à jour de ses obligations fiscales et quatre autres dont il ne paye pas les impôts, il y a un problème !

Il y a des secteurs comme l’informel, le transport ou l’immobilier qui sont des niches fiscales importantes. Dans le domaine du transport, il existe des sociétés de transports d’hydrocarbure, de marchandises, je ne citerai pas de nom, qui ne payent pas l’impôt. Le problème est beaucoup plus criard au niveau de l’immobilier. La plupart des sociétés immobilières ne payent pas l’impôt comme il se doit. Et en lieu et place des sociétés qui font réellement de la promotion immobilière qui est créatrice d’emplois, de richesses, nous avons des sociétés spécialisées dans la vente de parcelles nues. Ce qui n’est pas créateur de consommation, de richesses, d’emplois.

Dans le domaine minier, il est dangereux de confier le capital des sociétés minières à des expatriés ou de se contenter de 10% du capital. Notre Etat gagnerait à avoir le tiers du capital des mines pour le moment, et à terme la moitié. Les pays qui veulent avancer prennent au moins 51% du capital des compagnies minières. Car, les ressources naturelles sont tarissables avec de graves conséquences sur l’environnement.

Au niveau de l’agriculture, les agrobusiness men doivent être convenablement imposés. Pour ceux qui sont de l’agriculture de subsistance, c’est à l’Etat de les subventionner.

S : La COVID-19 a mis à nu les modèles de développement en cours ; elle a donné l’occasion au monde, surtout à l’Afrique de repenser son développement. L’Afrique a-t-elle tiré leçons de cette crise ?

H.S : Le monde entier devrait tirer leçons de la COVID-19, car cette maladie a montré que même les grandes puissances ne sont pas si stables. Ces puissances mondiales pensaient avoir atteint un niveau de développement avec des fondements solides qu’aucun choc ne pouvait les secouer.  Mais la COVID-19 a montré le contraire et la nécessité pour les Etats, grands ou petits, d’agir dans la solidarité.

Pour ce qui est de l’Afrique, le problème est structurel. Après 60 ans d’indépendance nous ne sommes toujours pas développés. Nous sommes dans une économie primitive. Si l’on prend l’Amérique, la main d’œuvre est partie de l’Afrique pour aller développer les Etats-Unis, pour en faire une grande puissance mondiale. Les pays où on les autres sont venus chercher la ressource humaine devrait être au moins au même niveau de développement que les autres. Mais hélas, l’Afrique peine encore à trouver ses marques !

S : Comment le continent peut-il mobiliser des ressources suffisantes à l’interne pour financer son développement endogène ?

H.S : Le développement endogène passe par une croissance endogène qui elle-même repose sur le capital humain et des infrastructures de bonne qualité. L’aide extérieure vient appui. L’argent de la dette doit être bien utilisée, ce qui nécessite une ressource humaine qualifiée. L’Afrique doit également avoir des dirigeants suffisamment responsables et honnêtes pour impulser le développement. D’une manière générale, on dit que le développement est une croissance à sueur du front. Ce qui signifie qu’il ne s’agit pas du copier-coller mais un développement dicté par les réalités endogènes. Les modèles de développement élaborés par les Occidentaux, la Banque mondiale, le FMI et importés chez nous peuvent marcher mais la probabilité que ces modèles ne prospèrent est aussi réelle.

Je ne dirai pas comme Laurent Bado qui veut amener nos autorités à jurer sur les coutumes en lieu et place d’une constitution à laquelle, elles ne croient pas ! Mais, on peut leur demander de partir de nos réalités locales pour bâtir le développement. C’est ce que l’Asie a fait pour être là où elle est aujourd’hui ! Seuls les Africains vont développer l’Afrique. La main tendue ne commande jamais !

Mahamadi SEBOGO

Windmad76@gmail.com

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