De salarié à la fonction publique burkinabè en passant par les ONG internationales, Ricard Moné est aujourd’hui un succes story dans le domaine de l’entrepreneuriat agricole. Sa ferme à système de production intégrée, écolo-intelligente, située à Loumbila, est une école, une source d’inspiration pour nombre de Burkinabè. Zoom sur le parcours et l’engagement d’un homme qui vit pleinement sa passion et engagé à changer le mauvais regard de la société sur l’agriculture, pour ainsi contribuer à intéresser la jeunesse aux métiers de la terre.
« L’agriculture n’est pas considérée à sa juste valeur. On n’a pas compris qu’elle est une science. On pense que c’est quand on a échoué partout ailleurs que l’on vient à l’agriculture. Pourtant elle est un métier qui a ses règles, ses exigences. Certains pensent que c’est une activité que l’on peut pratiquer par pilotage automatique. Cette perception explique le taux élevé de fermeture des fermes agricoles autour des centres urbains.» Ses propos de l’ingénieur agronome et entrepreneur agricole à succès, Richard Moné, ne sont pas seulement le reflet d’une triste réalité. Ils traduisent aussi et surtout son engagement à œuvrer à inverser la donne. Réussir dans l’entrepreneuriat agricole pour ainsi contribuer à changer ce regard négatif de la société burkinabè sur l’agriculture semble être la mission qu’il s’est donnée. « Tel que je vois notre système agricole, il faudrait que l’on change la perception que l’on a de l’agriculture », martèle-t-il, avec conviction.
Dans la patience mais avec détermination, M. Moné va se donner les moyens de relever ce challenge. Pour se constituer un capital financier nécessaire à la concrétisation de sa vision, il fait l’option de commencer par le travail salarié. Après ces études supérieures à l’Université Nazi Boni, à Bobo Dioulasso, où il sort nanti du diplôme d’ingénieur agronome, suivi d’un master spécialisé en hydraulique et systèmes irrigués à 2IE (Institut international de l’eau et de l’environnement), Richard Moné se fait recruter comme ingénieur agronome au ministère en charge de l’agriculture en 2008, mais pas pour longtemps. Après deux ans passés à son premier poste à Fada N’Gourma, à la direction régionale de l’agriculture, il entame une longue et riche carrière professionnelle dans les ONG internationales.
D’abord à l’ONG Action contre la Faim à Diapaga, puis à l’ONG américaine International Relief and Development, où il accompagnait les réfugiés maliens du camp de Dori dans l’élevage des petits ruminants. Par la suite, il est successivement recruté au réseau MARP, à Hellen Keler International, à Welthungerhilfe (WHH). Avec cette ONG, il sera affecté en Centrafrique. De retour au bercail, l’enfant du Boulgou est recruté à GIZ puis à l’ambassade de Danemark comme chargé de programme pendant une année. A ce dernier poste, il avait la charge d’assurer le suivi d’un portefeuille de financement octroyé aux ONG pour réaliser des activités de résilience dans certaines zones à défis sécuritaire dans les domaines de l’agriculture et de l’élevage.
Avec un salaire de plus d’un million F CFA, il décide de quitter ce prestigieux poste en ambassade pour troquer son statut d’employé contre celui d’entrepreneur agricole. Mais cette reconversion, loin d’être accidentelle, a plutôt été préparé, et de longue date. Parallèlement, pendant qu’il était en activité, il investissait à son rythme dans son projet de ferme de Loumbila, où il avait acquis un domaine d’un hectare en 2011. « Tout l’argent que je gagnais dans mon parcours professionnel était réinvesti au niveau de la ferme », confie-t-il. Deux ans après, il acquiert deux autres hectares pour agrandir son domaine. Aujourd’hui sa ferme intégrée qu’il a baptisée Centre Rialé d’intelligence agricole (CRIA) est une référence, un modèle de réussite entrepreneuriale où nombre de personnes, jeunes comme adultes, viennent s’inspirer.
« Ici, « rien ne se perd »… »
L’ingénieur agronome y combine harmonieusement production animale et végétale. « Nous avons un concept appelé intelligence agricole qui consiste à faire une bonne planification, dans le temps et dans l’espace, de l’exploitation des spéculations, afin de tirer le maximum davantage du marché. J’ai coutume de dire que l’agriculteur doit être plus intelligent que le consommateur et le commerçant. Par exemple, actuellement nous produisons de l’oignon en pleine saison des pluies qui n’est pas le moment de grandes productions de cette culture. Cela nous permet de répondre à la demande et de vendre à des prix rémunérateurs », explique-t-il.
L’organisation et l’occupation rationnelle de l’espace répondent bien au nom de la ferme. Mieux, la formule de Lavoisier y prend tout son sens. « Ici, « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Par exemple, la culture fourragère sert à nourrir la volaille et les ruminants ; l’élevage produit du fumier pour la production végétale. Les cultures vivrières sont utilisées pour la cantine de la ferme, au profit des employés. Notre centre est basé sur l’intelligence agricole, un concept holistique, qui, depuis la production à la commercialisation, combine un ensemble de techniques bio, durables, respectueuses de l’environnement et protectrices de la santé humaine et animale. Nous faisons aussi appel à la technologie, notamment le système d’irrigation par aspersion », confie M. Moné. Une partie de la production est transformée, avec des produits finis les confitures de papaye, des jus naturels, des effusions à base de verveine, etc.
Cultures céréalières (mil, maïs, sorgho…), maraichères (oignons, ail), plantes fruitières, médicinales et fourragères y sont exploitées tout au long de l’année sans trêve. La culture du maralfalfa, une espèce de hautes gerbes denses, semblables à des pieds de canne à sucre, mais avec l’épaisseur des tiges en moins, retient forcement l’attention du visiteur. « Ici, nous exploitons le maralfalfa, une plante fourragère à haut rendement que nous utilisons pour nourrir les animaux et la volaille. Son rendement est estimé à 500 tonnes de fourrages à l’hectare et par récolte, avec au minimum trois à cinq récoltes par an ! Avec cette culture, vous pouvez réaliser un chiffre d’affaires de 90 millions F CFA à l’hectare », explique-t-il. Avec le contexte sécuritaire qui fait que les pasteurs ne peuvent plus aller en transhumance, cette plante est l’avenir de notre élevage ; surtout qu’avec l’alimentation du bétail représente 70% des charges d’exploitation de l’éleveur, produire soi-même son fourrage permet de réduire énormément lesdites charges et d’avoir des produits d’élevage compétitifs sur le marché, argumente-t-il.
Il s’est spécialisé dans la vente des boutures de cette plante fourragère, qu’il commercialise au Burkina Faso et un peu partout en Afrique, notamment au Bénin, au Mali, en Côte-D’Ivoire, au Sénégal, au Ghana, en Algérie, au Maroc, en RDC. Côté élevage, le choix des races est dicté par le même principe d’intelligence agricole.

Emplois et formation professionnelle des jeunes
« Les chèvres rousses de Maradi ont plusieurs avantages. Elles peuvent mettre bas deux fois dans l’année, avec deux à cinq chevreaux par mise-bas. C’est aussi une race laitière et sa viande ne dégage pas d’odeurs. Les moutons ont aussi une bonne mise-bas », relate-t-il. Son cheptel varie entre 20 et 100 en fonction des périodes, Au niveau de la volaille, l’ingénieur agronome entrepreneur qui refuse d’être théoricien de bureau s’est aussi spécialisé dans la production de poussins d’une espèce hybride de poulets indiens appelée kuroiler. « C’est une race qui a une très bonne croissance. Le poussin de 45 jours peut peser 1,5kg ; à 4 mois, vous avez un coq valant 8 kg. Au lieu de faire venir les poussins de l’Inde, nous les produisons sur place pour ce qui en demandent. Nous produisons aussi des œufs fécondés pour ceux qui ont des couveuses et qui souhaitent produire des poussins », fait savoir le fondateur de CRIA.
Avec 1500 poulets reproducteurs, la ferme produit par semaine en moyenne 1500 poussins et 20 à 30 plaquettes d’œufs fécondés. « Comme indiqué, notre système de production est intelligent ; la preuve, nous vendons la plaquette d’œuf fécondés à 8000 F CFA, alors qu’une plaquette d’œufs ordinaires est autour de 1500 F CFA », souligne-t-il. Aujourd’hui, avec sa ferme agroécologique à système de production intégré, écolo-intelligent, qui fait un chiffre d’affaires entre 20 et 50 millions F CFA, Richard Moné n’est pas seulement un modèle de réussite, il est porteur d’un entrepreneuriat impactant. Sa ferme emploie cinq salariés permanents et entre 10 à 20 employés non permanents par mois, dont des déplacés internes (PDI). Le centre CRIA reçoit chaque année des stagiaires venant des écoles de formation professionnelle et universités du Burkina Faso.
Titulaire d’un CEAP en production agrosylvopastorale, Talato Noëlie Zongo travaille dans cette ferme depuis trois ans. Employée permanente, elle en est le superviseur général. « La ferme participe au développe du pays. Elle offre des emplois et contribue à la formation des jeunes en techniques de production agrosylvopastorale, tout en changeant leur regard sue l’agriculture », confie celle qui rêve d’avoir sa propre ferme agricole.
Contrairement à nombre de jeunes de son âge, Apolline Guelebou a une passion pour l’agriculture. Alors qu’elle devrait faire la classe de 3e, à Piela dans la province de la Gnagna, elle décide volontairement d’abandonner l’enseignement général et de quitter son village pour venir s’inscrire au Centre agroécologique de Guiè dans la région de Oubri. En stage au CRIA depuis huit mois, elle dit être satisfaite des connaissances pratiques acquises, notamment en matière de suivi de l’élevage de poules, de techniques de production intégrée. « C’est ici que j’ai appris à faire le repiquage des plants d’ail. Je ne savais pas comment produire l’ail », se réjouit-elle. Après sa formation, elle compte travailler deux ans au moins dans une ferme avant de s’installer à son propre compte, fait-elle savoir.
« C’est là que je me sens utile à mon pays »
Loin des bureaux confortables des ONG et organismes internationaux, Richard Moné se sent mieux dans sa ferme ; il y vient pleinement sa passion. « L’agriculture est un métier que j’aime. C’est là que je me sens utile à mon pays. Et aujourd’hui, l’impact est grand, pas seulement au Burkina Faso. Nous avons des relations d’affaires avec des pays voisins comme le Mali, le Bénin, la Côte-d’Ivoire, le Togo, le Sénégal, etc. En plus de la production, je fais de la formation sur les techniques de productions végétale et animales mais aussi de l’appui-conseil pour l’installation des fermes, des systèmes d’irrigation. Le centre reçoit des stagiaires qui profitent de notre savoir-faire. J’avoue que je me sens mieux dans cette ferme que dans un fauteuil pivotant dans un bureau climatisé », rigole-t-il.
Pour cet ingénieur agronome, pour atteindre l’autosuffisance alimentaire et produire pour la transformation industrielle, il y a lieu de changer de paradigme. « Nous devrons œuvrer à mettre notre agriculture à l’abri des facteurs climatiques. Et nous avons le potentiel pour le faire, notamment les eaux souterraines et de surface pour produire 12 mois sur 12. Un peuple qui a faim est un peuple qui n’est pas libre mais aussi en danger ! Aucun pays au monde ne s’est développé sans avoir assuré au préalable sa sécurité alimentaire », martèle celui qui se définit comme un VDP agricole.
Pour lui, si depuis plus de 60 ans, le secteur agricole de son pays n’arrive pas à nourrir la population, c’est parce que, le politique n’avait pas su donner à l’agriculture la place qu’elle mérite. « Depuis l’école primaire, l’agriculture n’est pas vu comme un métier valorisant ; dans notre société, les professions valorisantes sont la médecine, le journalisme, l’avocature, la magistrature… Mais on oublie que tout le monde compte sur l’agriculteur : les hommes, les animaux, et même la nature », argumente-t-il.
Dans les pays occidentaux, les fermes se transmettent de père en fils ; ici personne ne veut laisser une ferme agricole comme héritage à ses enfants, déplore M. Moné. Pour y remédier, il faut réinitialiser les mentalités et créer des modèles inspirants. Pour semer ces graines de l’amour du travail de la terre très tôt dans l’esprit des jeunes, il est impératif d’inscrire l’entrepreneuriat agricole dans les curricula d’enseignement et ce depuis le primaire, suggère-t-il. Les politiques devraient, poursuit l’ancien fonctionnaire, aider à bâtir des champions nationaux dans le domaine agricole et les mettre en exergue.
Et s’il a abandonné le travail salarié bien rémunéré dans les organismes internationaux pour s’investir dans sa ferme, c’est aussi et surtout pour monter qu’il est possible de faire autrement l’agriculture et d’en vivre dignement, et ainsi amener les jeunes à s’intéresser à l’entrepreneuriat agricole.
Le succès demande du temps
Pour l’ingénieur agronome entrepreneur, l’agriculture constitue un puissant levier pour sortir la jeunesse burkinabè du chômage. Mais à condition que les jeunes acceptent les contraintes, les risques qui vont avec, car l’activité agricole demande beaucoup de volonté, d’engagement, de patience. « Il faut accepter se battre et consentir les sacrifices qui vont avec. Si vous voulez devenir un Idrissa Nassa ou Bonkoungou de EBOMAF, il faut accepter vivre les difficultés qu’ils ont vécu dans leurs parcours d’entrepreneurs », conseille-t-il. Car, le succès demande du temps et c’est sur les ruines de l’échec que l’on construit la réussite.
Mais pour accompagner l’engagement des jeunes dans le secteur agricole, il y a lieu de lever les barrières structurelles. A commencer par le financement public au secteur agricole qui doit être conséquent, souligne-t-il. Le financement privé, notamment bancaire a également un grand rôle à jouer dans l’accès des producteurs au capital. Avec le même tôt d’intérêt appliqué au secteur agricole, et des délais de remboursements des crédits inadaptés aux cycles de production agricole, le secteur bancaire doit se réinventer pour répondre au mieux aux besoins de financement de l’entrepreneuriat agricole, insiste Richard Moné.
Aujourd’hui, l’ancien chargé de programme à l’ambassade de Danemark séduit plus d’un, y compris des personnalités et des notabilités du pays. Sa Majesté Naba Têgré de Dimbila de Tèma, économiste gestionnaire et ancien cadre de banque à la retraite, a connu M. Moné à travers un reportage de Agribusiness TV sur sa ferme. Le chef coutumier n’a pas résisté à la tentation d’aller constater de visu les initiatives innovantes qu’il y déploie. « J’ai décidé à l’improviste d’aller lui rendre visite. Son modèle d’exploitation est inspirant. Souvent les gens sont intéressés par l’entrepreneuriat agricole mais ils ne savent pas comment s’y prendre, par où commencer. Partant de l’expérience de M. Moné, ils peuvent construire étape par étape leurs projets de ferme agricole », confie-t-il. Le système d’irrigation et d’alimentation énergique et l’élevage des espèces exotiques ont le plus émerveillé le chef coutumier. Partant de l’expérience et des conseils de Richard Moné, le notable de Tèma Bokin poursuit progressivement l’aménagement de sa ferme dans son village.
L’ancien secrétaire du ministère de l’agriculture et ex représentant résident de la FAO dans plusieurs pays africains, Dr Lamourdia Thiombiano, fait également partie de ceux qui sont admiratifs du promoteur du centre CRIA qu’il qualifie de persévérant, de modèle pour la jeunesse. Après avoir entendu parler du Centre à travers les réseaux sociaux, il a aussi fait le déplacement de Loumbila. « Il y a trois choses qui m’ont impressionné chez M. Moné. La première est sa passion pour ce qu’il. Dynamique, il a une capacité de présentations de ses activités, ses résultats qui inspirent et motivent. Sa présence constante sur le terrain constitue aussi la clé de succès. La deuxième chose, est qu’il est perpétuellement dans l’innovation, avec des techniques et des approches qui sortent des sentiers battus. Le troisième élément, c’est la diversité de ses activités, qui vont de la production végétale à l’élevage des chèvres rousses, des moutons, de la volaille, le tout à travers une approche intégrée pour optimiser sa production agricole », confie-t-il.
Mahamadi SEBOGO






