Lors de la 1re édition des “Boad development days”, organisée par la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), l’ancien Premier ministre burkinabè et Président du conseil d’administration de la Rwanda Atomic Energy Board, Lassina Zerbo, a livré une communication inaugurale sur le thème : « Financement de la transition énergétique et de l’agriculture durable : défis, opportunités et solutions », vendredi 13 juin, à Lomé, au Togo.
«L’accès à une énergie pilotable et fiable n’est plus un objectif de développement. C’est une condition nécessaire, une condition sine qua none de notre industrialisation et de notre souveraineté. « L’Afrique a besoin d’un socle énergétique fiable pour s’industrialiser et nourrir sa population ». C’est par ces certitudes que l’ancien Premier ministre burkinabè et Président du conseil d’administration (PCA) de la Rwanda Atomic Energy Board, Lassina Zerbo, a introduit sa communication inaugurale sur le thème : « Financement de la transition énergétique et de l’agriculture durable : défis, opportunités et solutions », vendredi 13 juin, à Lomé, au Togo, à l’occasion de la 1re édition des “Boad development days”, organisée par la Banque ouest-africaine de développement (BOAD).
Si ce constat du rôle central et transversal de l’énergie dans le développement de l’Afrique ne souffre d’aucune ambigüité, en même temps, le continent connait un déficit énergétique et peine à mobiliser les financements nécessaires pour y faire face de manière durable. En effet, tandis que sa demande en électricité va passer de 1 000 à 5 000 térawatts (TWh) d’ici à 2040, selon les données de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA), l’Afrique ne capte jusque-là que 2% des investissements mondiaux en énergie renouvelable, a déploré M. Zerbo.
Il s’agit d’une contrainte majeure qui ne permet pas au continent africain d’exploiter au mieux ses potentialités. « Le continent concentre 65% des terres arables non exploitées. Pendant ce temps, il importe chaque année 75 milliards de dollars de nourriture », a-t-il dit. Et comme l’a souligné le Premier ministre Zinsou, les pertes post-récoltes atteignent 37%, dues, notamment au manque d’énergie pour l’irrigation, la chaine du froid et la transformation. « Le changement climatique accentue la vulnérabilité des systèmes agricoles et énergétiques », a-t-il indiqué. Et si les énergies renouvelables font partie de la solution à cette
problématique, a-t-il poursuivi, elles demeurent insuffisantes compte tenu de leur intermittence.
Les facteurs limitants
Le continent a besoin de diversifier et de renforcer de manière conséquente ses capacités de production d’énergie pour y arriver. « Le coût du capital pour les projets énergétiques en Afrique est de 2 à 3 fois plus élevé qu’ailleurs, décourageant les investisseurs. Il faut mobiliser plus de 200 milliards de dollars par an jusqu’en 2030. Les réseaux électriques sont vieillissants, inadaptés, mal interconnectés et incapables d’alimenter de façon stable nos zones rurales », a-t-il énuméré.
L’énergie nucléaire constitue une alternative pour adresser au mieux l’important déficit énergétique du continent, mais son implémentation souffre de plusieurs facteurs limitants. Il s’agit notamment des insuffisances du cadre règlementaire qui manque souvent d’agilité
et de stabilité pour accueillir les innovations technologiques comme petits réacteurs modulaires, les microréacteurs.
Aux faiblesses institutionnelles, s’ajoutent les faibles capacités humaines, car il faut un capital humain pour piloter des projets technologiques avancés, a insisté M. Zerbo.
Le spécialiste en sciences nucléaires s’est réjoui de voir que la Banque mondiale a levé son interdiction de financer l’énergie nucléaire, d’autant plus que c’est un combat qu’il mène depuis des années sans jamais avoir eu forcément d’oreilles attentives sur le continent, à l’exception du président de la BOAD, Serge Ekué et du nouveau président de la BAD, Sidi Ould Tah, qui étaient des rares responsables de banques africaines de développement à être réceptifs à ce discours sur le nucléaire. Dans le domaine agricole, il y a également le programme Atom for Food de l’Agence internationale d’énergie atomique, qui offre une opportunité unique de lier le nucléaire à l’agriculture, a-t-il souligné.
Financer autrement le nucléaire
Pour ce qui est du soutien du secteur privé, il devrait s’adosser sur des instruments financiers tels que les garanties ou les fonds propres. L’alignement des politiques des bailleurs de fonds, de la Banque mondiale, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et les priorités africaines ouvrent un espace inédit pour intégrer le nucléaire dans les stratégies agricoles et énergétiques nationales, a-t-il relevé.
Ces technologies nucléaires en cours de déploiement dans plusieurs pays comme les Etats-Unis, le Canada, la Finlande, mais aussi le Rwanda et le Togo, qui vient de s’engager dans une dynamique pour installer des microréacteurs, sont particulièrement pertinentes pour l’Afrique et lui permettent d’assurer un socle énergétique fiable, sans dépendance au climat, tout en soutenant l’agriculture, l’immigration, la transformation et la chaîne de froid, la santé, l’industrialisation dans les zones reculées, a soutenu M. Zerbo. L’Afrique à travers des pays comme le Niger, la Namibie, l’Afrique du Sud, qui comptent parmi les principaux producteurs mondiaux d’uranium, peuvent jouer un rôle stratégique dans la chaîne de valeur du nucléaire, a-t-il fait savoir.
« Pour financer différemment, il faut s’appuyer sur des modèles éprouvés dans le monde, comme les Emirats, la Turquie, l’Argentine, qui ont fait des partenariats publics-privés, des green bonds et infrastructures funds, le soutien des banques multilatérales et les garanties de crédit export, qui ont été utilisées par la Chine et la Corée », a-t-il indiqué. Pour faciliter le financement des projets d’export du nucléaire, certains pays utilisent des mécanismes innovants, par exemple le modèle « regulated asset base », qui permet aux investisseurs de commencer à récupérer leur argent pendant même la construction. « Ces approches rassurent les investisseurs et rendent les projets plus attractifs, en particulier dans les pays émergents. Il faut aussi, comme solution, innover avec la tokenisation des ressources pour financer la transition énergétique qui est inspirée des Emirats Arabes Unis, qui ont lancé la tokenisation de l’or et du pétrole, via des plateformes blockchain, pour attirer de nouveaux capitaux. Et certains pays africains riches en ressources pourraient envisager la tokenisation de leurs actifs stratégiques », a suggéré l’expert burkinabè.
Lancer un fonds régional pour le nucléaire
Et un pays comme le Niger, pourrait développer un uranium token, qui sera adossé à des réserves physiques certifiées, afin d’attirer des investisseurs internationaux et lever des fonds pour financer des infrastructures nucléaires. Il y a lieu aussi de former des coalitions nationales de financement avec des secteurs publics, privés et universitaires, lancer un fonds régional pour le nucléaire destiné aux applications agricoles et industrielles, créer un cadre règlementaire spécifique pour les petits réacteurs modulaires et les microréacteurs en Afrique de l’Ouest, avec l’appui de l’AIEA, mais aussi de la Commission africaine de l’énergie nucléaire qu’il faut faire sortir de sa léthargie.
Le succès de l’ensemble de ces mesures passe par une action collective. « Il faut considérer le nucléaire civil comme un pilier de notre souveraineté énergétique, coupler petits réacteurs, microréacteurs et l’agriculture durable dans les zones durables pour transformer nos systèmes alimentaires. Mettre en œuvre des cadres de financement innovants, baisser les risques sur les projets et rassurer les investisseurs. Former une nouvelle génération de jeunes scientifiques africains capables de concevoir, exploiter et réguler les nouvelles technologies », a préconisé Lassina Zerbo. Comme sur le Rwanda, qui depuis six ans, forme environ 180 étudiants en sciences et technologies nucléaires par an.
Pour le géophysicien Zerbo, la transition énergétique ne peut pas uniquement reposer sur le renouvelable, le nucléaire, qui est aussi une énergie propre, devrait donc être un complément du solaire, de l’hydraulique, de l’éolien et rester indispensable pour bâtir une Afrique verte, industrielle et nourricière.
« Le nucléaire modulaire est une opportunité historique à saisir et il faut agir maintenant. L’Afrique doit s’approprier la chaîne de valeurs du nucléaire, être à la pointe de l’innovation, forger des partenariats gagnant-gagnant dans le domaine du nucléaire et dans bien d’autres. C’est le moment de l’Afrique. Il ne s’agit pas d’exploiter, mais de construire, de bâtir. Il faut montrer la voie ; et l’avenir de l’Afrique est vert, numérique, les Africains doivent simplement le choisir », a conclu le PCA de la Rwanda Atomic Energy Board.
Mahamadi SEBOGO
Windmad76@gmail.com
(De retour de Lomé, Togo)