
Faute de citoyens formés aux gestes de premiers secours sur nos routes, des victimes d’accidents de la circulation, gravement blessées, souffrent en silence avant l’intervention des sapeurs-pompiers. Pire, sur les lieux de l’accident, certains s’empressent d’immortaliser le drame par des photos ou autres actes inciviques. Zoom sur cette réalité préoccupante qui perdure dans les villes de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso.
Agée de 59 ans, Aminata Nacanabo, résidant au quartier Rimkieta de Ouagadougou vient de « finir » ses courses sur un pont à quelques mètres du château d’eau de l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA) de Balkuy. Alors qu’elle se rendait à Koubri, une commune rurale, pour des raisons familiales, elle a heurté violemment les barrières latérales du pont visiblement colées à la piste cyclable. Tombée seule, sans casque, son accident brutal bloque la circulation sur la piste cyclable. Au sol, elle perd connaissance sur le coup. La tête reste intacte. La moto, à côté d’elle commence à s’éteindre peu à peu. Sur son pied droit, le constat est alarmant. Une fracture ouverte laisse jaillir du sang sur le bitume. A vu d’œil, le tissu de son pagne s’imbibe au fur et à mesure. Les passants commencent à s’attrouper.
En l’absence de cônes de signalisation, certains vont devoir trouver des solutions pour stopper la circulation. Ils arrachent des feuilles d’arbustes fraîches situés à proximité du pont et improvisent un balisage. Malgré la gravité de l’état de dame Nacanabo, aucun des témoins ne sait comment stopper l’hémorragie ou l’immobiliser pour éviter qu’elle ne bouge la nuque. Ils se contentent plutôt de filmer et commentent la scène, certainement pour la « balancer » sur les réseaux sociaux. Au milieu d’eux, Boubacar Sawadogo, celui-là même, qui a eu le reflexe d’appeler les sapeurs-pompiers. « Je les ai appelés et leur ai expliqué avec précision la nature de l’accident et le lieu précis.
Ils m’ont assuré qu’ils arrivent mais m’ont demandé de rester toujours sur les lieux pour de plus amples informations », argue-t-il. Ici, la circulation reste toujours bloquée. Une dizaine de minutes plus tard, la sirène des sapeurs-pompiers de la 1re compagnie d’incendie et de secours basée à Ouaga 2000 résonne de loin. Avec la circulation dense sur certaines artères pour rejoindre le lieu de l’accident, le conducteur s’est vu obligé d’utiliser d’autres itinéraires pour gagner en temps, tout en assurant la sécurité des autres usagers. Enfin, le véhicule est sur le lieu du drame. L’équipe descend rapidement. Le chef d’agrès, le caporal Ghislain Zan, évalue la situation en un coup d’œil et donne les premières directives à ses hommes au nombre de trois. Les rôles sont immédiatement attribués.

L’un d’entre eux, se charge de la sécurité du lieu de l’accident avec des cônes de signalisation, en plus des feuilles déjà déposées par les populations. Les deux autres se précipitent auprès de la victime pour les premiers soins. La rapidité et la précision des gestes de secours sont les maîtres-mots pour minimiser les conséquences de l’accident et sauver la vie de l’accidentée. Munis des gants, ils parlent calmement à Aminata Nacanabo pour surveiller les signes vitaux. « Après vérification, nous nous sommes rendu compte qu’elle respire. Nous avons par la suite palpé le corps pour détecter d’éventuels cas de fractures en dehors de la fracture ouverte à la cheville. Etant donné qu’elle était couchée en mauvaise position, il a fallu la mettre en position latérale de sécurité. Ce sont des gestes à connaitre afin d’engager les moyens nécessaires pour la sauver immédiatement », explique le caporal Zan. A trois, dans un geste coordonné, les secouristes soulèvent délicatement Aminata Nacanabo et l’acheminent vers l’ambulance, stationnée au bord de la route avec les feux toujours clignotants.
« Que devons-nous faire ? »
Malgré sa crispation du fait de la douleur, la blessée présente un visage apaisé, grâce à la prise en charge professionnelle. Le témoin des faits, Boubacar Sawadogo, revient sur l’ignorance des gestes qui sauvent. « N’eût été l’intervention rapide des sapeurs-pompiers, la victime pouvait aisément passer de vie à trépas. Il est vrai que la non-assistance à personne en danger est punie par la loi, mais que devons-nous faire si nous n’avons pas les réflexes qu’il faut, en attendant l’intervention des secouristes ? », s’interroge-t-il.
Loin d’être un cas isolé, cette méconnaissance des gestes de premiers secours est malheureusement une réalité prégnante que les sapeurs-pompiers vivent au quotidien sur le terrain, déplore le commandant du premier groupement d’incendie et de secours, le lieutenant-colonel Sidnoma Francis Abdoul Rachid Ouédraogo. Dans la majorité des cas, regrette-t-il, aucun acte n’est posé avant l’arrivée des professionnels de secours.
C’est le cas, cet après-midi du lundi 28 juillet 2025 sur l’avenue Saponé dans le quartier Patte d’Oie de la ville de Ouagadougou, à la suite de l’accident de
Mohamed Doumbia, élève en classe de 3e à moto et Irène Tieno en véhicule.

Les autres usagers de la route retiennent leur souffle. Au constat, la main droite de l’élève, ayant violemment heurté le pare-chocs du véhicule, a commencé à saigner abondamment. Il réussit à se relever et se traîne lentement puis s’assoit sur une brique au pied d’un immeuble en construction à quelques mètres du lieu de l’accident. L’hémorragie est inquiétante. Autour de lui, les passants se rassemblent mais ne savent pas comment stopper le saignement car ne possédant pas les bases des premiers secours.
Quelques minutes après l’alerte de la dame Tieno, les sapeurs-pompiers arrivent sur les lieux. A peine descendus, ils constatent l’état de Mohamed Doumbia. Sans perdre de temps, ils appliquent une compresse stérile directement sur la plaie pour mettre fin au saignement. « Dieu merci que l’écoulement du sang ait été stoppé. Aucun d’entre nous n’avait une solution pour sauver la vie de mon fils. Facilement, il pouvait s’évanouir », fait savoir le géniteur de la victime, Ibrahim Doumbia, arrivé aussi sur les lieux.
Une formation s’impose
Encore sous le choc de ce qui est arrivé à son fils, il invite les populations à se former aux gestes de secours. La connaissance des gestes de premiers secours devrait être encouragée pour transformer la bonne volonté en action efficace, soutient le lieutenant-colonel Ouédraogo. « Une formation en premiers secours civiques s’impose. Elle contient les savoirs et les savoir-faire élémentaires et nécessaires pour venir en aide à une personne en détresse notamment en cas d’accident, de blessures ou d’autres incidents que nous rencontrons dans la vie de chaque jour.
Il est alors plus facile pour les personnes ayant eu au moins ce type de formation de porter secours de façon efficace aux autres lorsque le besoin se fait sentir », souligne-t-il. Le commandant poursuit que le premier témoin doit prendre toutes les dispositions pour se protéger, protéger la victime et sécuriser le lieu de l’accident afin d’empêcher toute infiltration extérieure susceptible d’aggraver l’état de la victime.

Après la Patte d’Oie, au quartier Goudrin dans l’arrondissement 10 de la capitale, aux environs de 17heures en cette soirée du lundi 28 juillet 2025, à quelques mètres du grand rond-point situé à proximité du château d’eau, un vacarme vient d’attirer l’attention des usagers et des commerçants installés aux abords de la grande voie. Ismaël Compaoré et Salimata Zina, sans casque, ont eu une collision. La scène est choquante. Enseignante venue de Banfora pour passer ses vacances dans la capitale, dame Zina ne parvient plus à se relever. La main agrippant sa hanche, elle se tord de douleurs. A quelques mètres d’elle, Ismaël, élève, saigne au front. Il a les orteils écorchés et ensanglantés.
Au regard de ces faits choquants, les passants s’organisent en plaçant des pneus usés sur le sens de la voie où sont couchées les victimes. Une foule compacte se forme. Les témoins par curiosité continuent d’affluer. En se pressant autour des victimes, ils bloquent l’air, voire étouffent les accidentés déjà en détresse. Plus grave encore, des personnes sans formation en secourisme essaient de redresser la tête du jeune Ismaël, ignorant qu’un tel geste peut aggraver une lésion cervicale. Le hic, l’attroupement empêche le caporal Boureima Ouédraogo et ses hommes de la 17e compagnie d’incendie et de secours, arrivés sur les lieux, d’intervenir efficacement. Ils mènent un double combat : sauver les blessés et repousser la foule de badauds curieux. Visiblement agacé par l’agitation autour des victimes, le caporal Ouédraogo demande de leur faire de l’espace afin de pouvoir travailler sereinement.
Avoir le sens des bons reflexes
Face à ce type de situation, les bons réflexes peuvent sauver des vies. Hervé Ouattara, chirurgien orthopédiste et traumatologue au Centre hospitalier universitaire (CHU) Souro-Sanou conseille d’éviter l’effet de foule et de ne pas déplacer inutilement les victimes. Il préconise aussi de maintenir un espace de ventilation pour éviter que la bonne volonté ne se transforme en facteur de risques supplémentaires ou d’aggravation de la situation des victimes. « Il faut vous écarter puis laisser un peu d’espace. Il se pourrait même qu’un membre de la famille de la victime soit de passage mais l’attroupement fait qu’il ne saura pas qu’il s’agit d’un de ses proches. Si les victimes sont étouffées, quels résultats voulez-vous atteindre ?», lance-t-il, l’air remonté.

Pendant que les deux accidentés souffraient sur la route, un véhicule d’auto-école, de passage à ce moment-là, klaxonne pour se frayer un chemin. Dans le véhicule bien identifiable par l’inscription « Attention, véhicule auto-école », ces apprentis en conduite et leur formateur n’ont manifesté aucune volonté d’intervenir. Ce comportement soulève une interrogation essentielle. Les auto-écoles intègrent-elles des notions de civisme et de premiers secours dans leurs programmes ?
Pour le traumatologue Hervé Ouattara, si apprendre à conduire est indispensable, il est aussi bon de se faire former en secourisme. « Un conducteur averti doit savoir comment réagir en cas d’accident. Il doit savoir alerter les secours, sécuriser la zone, éviter des gestes qui pourraient aggraver l’état des victimes. Mais dans nos écoles de conduite, le constat est désolant. Nombreuses sont celles qui n’initient pas leurs apprenants aux gestes de secours », déplore-t-il.
Appeler et demander les conduites à tenir aux pompiers
A l’image de Ouagadougou, dans la ville de Bobo-Dioulasso, la méconnaissance des signes d’alerte et de sécurisation des lieux d’accident est une réalité. En face de l’église Temple Bethel au secteur 21, sous une pluie battante en ce mois de juillet 2025, Aubin Bako et Alimatou Ouattara, tous deux des employés de commerce, se sont violemment heurtés. Des informations recueillies sur place avec un témoin, Mme Ouattara roulait à moto sans casque, avec son enfant au dos, lorsqu’elle a été percutée à l’arrière par le jeune commerçant Bako, lui aussi sans casque sur une moto.
Le choc les a projetés elle et son fils, Amid Rabo, au sol. Dans une position assise, elle saigne du bras et des orteils. Le bambin a lui aussi le visage ensanglanté. Lorsque nous sommes arrivés sur les lieux, aucun balisage n’avait été fait. Le danger est alors double. La

pluie continue de tomber et la voie reste ouverte à la circulation. « J’étais de passage et l’attroupement des autres usagers m’a interpellé. Je me suis arrêté pour être un témoin oculaire de ce qui se passe. Ce qui m’a poussé à appeler les sapeurs-pompiers. Mais, aucun d’entre nous n’a songé au balisage », explique Sayouba Cissé, un usager. Avec leur arrivée, les sapeurs-pompiers ont désormais sécurisé la zone.
Alimatou Ouattara et son fils sont rapidement pris en charge et transférés au CHU Souro-Sanou pour des soins appropriés pendant que Aubin Bako ne présente aucune blessure.
Cette scène, explique Blaise Waongo, commandant de l’Ecole nationale de sapeurs-pompiers à Bobo-Dioulasso, met encore en lumière le manque de préparation de nombreux citoyens face aux accidents de la route. Par ignorance des réflexes de premiers secours, dit-il, chaque minute perdue pourrait coûter la vie aux victimes. « En cas d’accident, très rapidement les témoins doivent alerter les secours, sans rompre le contact visuel avec les blessés et demander la conduite à tenir. En fonction de la gravité de l’état de l’accidenté, les pompiers, avant même d’arriver sur le lieu, peuvent donner des directives, des conseils pour maintenir une victime en bon état », recommande-t-il.
Des soins de base à connaitre
Pourtant en général, les citoyens connaissent peu les règles de sécurité et les systèmes d’alerte, ce qui rend le travail des pompiers plus compliqué. C’est justement ce qui s’est produit dans la zone industrielle de Bobo-Dioulasso jouxtant la Société d’industrie alimentaire « SIA SARL », sur la voie non bitumée, où camions, motos et charrettes se croisent pêle-mêle. Ibrahim Sawadogo, un employé de commerce transportant son cousin, Kassoum Ouédraogo, élève en classe de 5e, tous les deux sans casque, a percuté violemment l’arrière d’une remorque, en manœuvre.
La moto, projetée au sol, laisse les deux frères en détresse. Ibrahim Sawadogo s’en sort avec des égratignures. Mais, Kassoum Ouédraogo, touché au tibia se tord de douleur et saigne abondamment. Des témoins, bien intentionnés, essaient maladroitement de stopper l’hémorragie. Le problème, les multiples appels sans précision exacte ont conduit les sapeurs-pompiers dans l’enceinte du chantier de l’entreprise « Agroserv industrie » sur la route de Bama. Lorsque l’équipe de Sidwaya est arrivée sur les lieux, des usagers autour de l’élève le consolent en vain et pestent contre le retard d’intervention de la brigade de secours. Dans ces moments critiques, chaque geste compte pour sauver Kassoum en attendant l’arrivée des sapeurs-pompiers.

Selon le chirurgien orthopédiste Hervé Ouattara, le bon geste dans une telle situation consiste à protéger la plaie avec un simple mouchoir propre en attendant les secours. « Il ne faut bien sûr pas utiliser un mouchoir déjà souillé. Un mouchoir propre, disponible en boutique, peut être posé sur la blessure », précise-t-il. Ensuite, il explique que l’habit du blessé pourrait être utilisé pour maintenir la protection en place, en le roulant légèrement autour de la plaie. « Même si le dispositif n’est pas stérile, il permet de limiter les risques d’infection en attendant l’arrivée des secours.
Les sapeurs-pompiers, une fois sur place, pourront remplacer ce pansement de fortune par du matériel plus approprié », fait-il savoir. Dans de nombreux cas, souligne-t-il, des blessés sont transportés à l’hôpital par leurs proches sans assistance qualifiée. Ce qui entraîne des
erreurs de manipulation, parfois lourdes de conséquences. Aussi, le traumatologue relève qu’environ 40 % des patients reçus dans ces conditions présentent des signes de mal secouru. La manière de déplacer un blessé, insiste-t-il, n’est pas la même que celle d’une personne consciente et non accidentée. Déplacer un accidenté sans stabiliser ses membres ou sa tête, ou le faire asseoir dans une mauvaise position peut aggraver la situation. Il déplore le fait que des gestes simples, comme maintenir la tête immobile ou éviter les secousses, sont souvent négligés.
Enseigner le secourisme
Pour y remédier, il lance un appel à intégrer l’enseignement du secourisme dans les curricula d’enseignement afin de permettre aux élèves de changer le cours d’une vie en cas d’accident de circulation. Les chiffres de l’Office national de la sécurité routière (ONASER) témoignent de la gravité des accidents mortels. Rien qu’au mois d’août 2025, 80 personnes ont trouvé la mort, sur l’ensemble du territoire, dont plus de la moitié ont moins de 30 ans. La région du Kadiogo est la plus touchée avec 20 décès, suivie par celle de Nando, 12 décès, du Guiriko avec 11 décès et 7 décès pour les Koulsé.
Pour minimiser ces risques mortels ou les blessures graves sur les routes, au-delà de la

prévention, l’ONASER, souligne la cheffe de son service de la promotion de la sécurité routière par intérim, Ingrid Raïssa Kpoda, intervient dans la sécurité routière tertiaire qui est un ensemble d’actions d’alerte, de protection et de secours aux victimes. A ce titre, a-t-elle fait savoir, sa structure porte assistance aux victimes d’accidents de la circulation dans les hôpitaux à travers des dons en équipements médicaux et des consommables.
Dans la même veine, la Croix-Rouge burkinabè a opté d’initier des sessions de formations et des séances de sensibilisation au secourisme au profit des associations, des élèves et d’autres structures. Là aussi, le responsable chargé du secourisme à la Croix-Rouge burkinabè, Daouda Sawadogo, évoque l’insuffisance des moyens financiers et logistiques notamment les mannequins, les valises de simulation…, pour étendre la formation à tous. Tout compte fait, il invite les usagers à la prudence, d’où la nécessité de renforcer les contrôles routiers et les actions de sensibilisation.
Oumarou RABO
Ingrid Raïssa Poda, cheffe du service de la promotion de la sécurité routière par intérim à l’ONASER
« La vie ne tient parfois qu’à un petit geste »
« J’invite chaque usager à se former pour sauver des vies, que ce soit en communauté ou sur la route. A tout moment, nous pouvons être dans le besoin de secours car les accidents de la route sont imprévisibles. Nous sommes souvent impuissants face à des situations d’urgence. Tout simplement, parce que nous n’avons aucune idée du geste qu’il faut en attendant l’arrivée des secours. Le secourisme ne concerne pas seulement la circulation. Même à la maison, on peut avoir affaire à des gestes de premiers secours, au profit d’un parent ou d’un voisin parce que la vie ne tient parfois qu’à un petit geste ».
O.R






















