Insécurité routière à Ouagadougou : Ces véhicules poids lourds qui « écrasent » des vies  aux heures de pointe

Le véhicule du conducteur, J. K, en état amorti, est au commissariat de l’arrondissement de Nongr-Massom en entendant le verdict final.

Affligées, nombreuses sont les familles à Ouagadougou qui ont encore du mal à digérer la mort brutale de leurs proches dans les accidents de circulation impliquant les véhicules dits « poids lourds », aux heures de pointe. Désormais, traumatisés par la disparition soudaine de l’être aimé, parents, veuves, orphelins, … se demandent à quand la fameuse réglementation relative à la circulation de ces monstres de la route dans la ville sera une réalité, afin de sauver des vies.

 

Jean Joël  Kaboré, employé de commerce d’équipements solaires au quartier Saint Léon (secteur 2 de Ouagadougou), profondément touché, éprouve toujours des difficultés à comprendre, deux années après, le décès de son cousin, Jean Paul Kaboré, occasionné par un camion semi-remorque. En ce mois d’octobre 2023, il décrit la scène, assimilable au synopsis d’un film dramatique. Dans la soirée du mardi 28 septembre 2021, à 20 heures 10 minutes, une forte concentration de véhicules motorisés circulaient difficilement sur l’Avenue de la liberté en suivant le même sens vers le rond-point situé à proximité du Secrétariat permanent du Conseil national de lutte contre le SIDA et les IST (SP/CNLS-IST). Les couloirs de circulation, matérialisés par des marquages blancs au sol ont disparu par endroits. Les engins à deux et quatre roues, les remorques, les camions-bennes … se côtoient. La voie, ainsi engorgée, gêne la progression de certains usagers qui éprouvent des difficultés pour rejoindre leur destination. « C’est dans ce cercle d’embouteillage, que mon cousin a tenté d’effectuer un dépassement du camion. Malheureusement, il a été renversé par les roues arrière-gauches dudit véhicule vers la station OTAM, non loin du rond-point. Sa moto a été endommagée. Je n’ai pas eu la chance de lui adresser un mot. Je ne peux pas décrire l’état du corps. Il baignait dans le sang. C’était horrible. Le thorax était complètement détruit », relate-t-il, les yeux baissés sur le constat de la Police nationale. Transporté urgemment au Centre hospitalier universitaire (CHU) Yalgado Ouédraogo, le natif de Tambela (localité situé à Koupèla dans le Centre-Est), succombe à ses blessures. Il repose définitivement au cimetière de Borgo sur la Route nationale 3 (RN3). Derrière lui, une femme, un enfant sont désormais à la charge d’une famille inconsolable. « Mon cousin a passé de vie à trépas à la fleur de l’âge. 30 ans ! Au moment des faits, il venait de signer un contrat à durée indéterminée à Orabank », explique difficilement Jean Joël Kaboré, tuteur du défunt. Quelques jours avant l’accident, se souvient-il, Jean Paul Kaboré avait promis de passer présenter sa dulcinée à la famille. Elle était enceinte de six mois. « C’est quelqu’un qui a souffert depuis son enfance. Son propre géniteur a dû se sacrifier pour les soins et en même temps la scolarité. Quand il a obtenu le boulot à la banque, le père se disait être soulagé. J’imagine sa douleur ! », narre-t-il avec regret.

Youbié Bakouan, 41 ans, chauffeur de profession, n’a pas eu la chance de célébrer la Pâques 2021 avec sa famille. Au moment où les fidèles chrétiens s’attelaient aux préparatifs de la fête, au marché de Paglayiri (secteur 25), le samedi 3 avril 2021, se remémore, Michel Bakouan, régisseur cinéma à Accacia production, son frère ainé a été mortellement heurté sur le Boulevard de la jeunesse par un camion semi-remorque, à 17heures 10 minutes. « Ce jour là, je venais de Ouaga 2000. J’ai aperçu du monde sur les lieux de l’accident, mais je n’ai jamais pensé au décès d’un proche. Les usagers circulaient à vive allure. Un certain Issoufou Diao était au volant du camion. Le pire est arrivé à hauteur de la station Shell du rond-point Naaba Koom. Le véhicule a trainé le frère sur 17 mètres environ, aux dires des riverains », détaille-t-il. Il ajoute qu’après le service, son frère devait se rendre au domicile familial à Tampouy (secteur 16). « Malheureusement, nous n’avons pas eu de ses nouvelles, la veille de la Pâques, le jour-j et même deux jours après. Il était injoignable. La famille a commencé à s’inquiéter », ressasse-t-il. Michel Bakouan fait alors le tour des commissariats de police et des centres de santé. Du CHU de Tengandogo en passant par celui de Bogodogo, le régisseur du cinéma retrouve le corps de son frère dans une housse mortuaire conservé dans les chambres de la morgue du CHU Yalgado Ouédraogo. « Broyé, seule la tête qui a été quelque peu épargnée permettait de l’identifier », se souvient-il. Le défunt qui vivait en concubinage avec une femme et un enfant repose à jamais au cimetière municipal, route de Kamboincé, secteur 38 dans l’arrondissement 9.

 

Des heures de circulation violées

 

Pourtant, fait savoir Jean Joël Kaboré, la municipalité a désigné des rues et identifié des axes de circulation de ces catégories de véhicules pendant les heures de pointe. Dans la pratique, constate-t-il, certains camionneurs, à des heures de grande affluence, foulent allègrement aux pieds la règlementation pour se retrouver au centre urbain. Des horaires, explique Aimé Bado, chef de service des unités mobiles d’intervention de la Police municipale sont même clairement définies. En effet, éclaire-t-il, l’arrêté n°-2019-088-CO/M portant réglementation de la circulation et du stationnement des véhicules poids lourds dans la commune de Ouagadougou en son article 4, stipule que « la circulation des véhicules poids lourds y compris les véhicules de travaux publics et des engins de manutention, dont le Poids total autorisé en charge (PTAC)  est  supérieur  ou  égal  à  10  tonnes  est  interdite ». Ils sont autorisés à circuler, précise M. Bado, de 10 h à 12 h (journée) et de 21 h à 5 h 30 mn (soirée). « Cet arrêté a été adopté dans le souci de fluidifier le trafic routier et de diminuer les accidents de la circulation routière, par la définition des heures de circulation, des axes à emprunter et des lieux de stationnement par les véhicules poids lourds dans la commune », fait savoir le directeur du suivi des opérations et de l’évaluation, de l’Office nationale de sécurité routière (ONASER), Gedéon Nikiema. Malgré tout, des véhicules poids lourds continuent de faire des victimes aux heures de pointe,  regrette-t-il. Il pointe ainsi du doigt la méconnaissance des dispositions de l’arrêté par les conducteurs. En sus, martèle l’agent de l’ONASER, un nombre important de véhicules poids lourds présentent un état technique défectueux avec la transformation des essieux, la défectuosité du dispositif de freinage, du dispositif d’éclairage, des pneumatiques, de la direction … Un autre fait majeur provoquant les accidents, renchérit le directeur du suivi des opérations et de l’évaluation de l’ONASER, c’est l’étroitesse des voies. Car, pour lui, le boom démographique suscite une croissance de la demande des déplacements dans la ville rendant de plus en plus dense la circulation. Pour limiter les dégâts, il propose de délocaliser certains entrepôts de stockage des zones d’habitation et du centre-ville vers des zones propices et les périphéries. Gédéon Nikiema préconise aussi de sensibiliser les usagers à la prudence, la tolérance, la courtoisie et au respect de la limitation de vitesse imposée en ville, sans oublier, l’interdiction de la circulation des véhicules « anarchiquement »  transformés.

 

Des morts de trop !

 

Après avoir écrasé un usager au feu tricolore, le chauffeur du camion-benne a pris la fuite selon les riverains.

Dans la soirée du mardi 7 novembre 2023, aux environs de 18 h, commerçants, élèves et fonctionnaires de retour de leurs lieux de travail respectifs se bousculent sur l’avenue Bogodogo. Au rond-point situé à proximité de « 2 boutiques » au quartier Katr-Yaar (secteur 46), les usagers, avec un brin d’incivisme, « brûlent » le feu rouge malgré la longue file des véhicules. Les poids lourds circulent allègrement sous le regard impuissant des agents des forces de l’ordre à cette heure strictement interdite. Sur cette place circulaire où convergent les quatre voies de circulation, les résidents des quartiers Dayongo, Karpala, Tabtenga … suivent le long chemin. Du fait d’un problème de freinage, un conducteur de camion-benne percute mortellement un homme sur une bicyclette au feu rouge à quelques mètres de la pharmacie Kawsar et la station OTAM. Arrivés sur les lieux, les sapeurs-pompiers constatent le décès. Le corps sans vie est couvert en attendant l’enlèvement par les services des pompes funèbres BURKISEP et le constat de la police.

Les morts sur les routes sont de trop et représentent une véritable entrave au développement du pays. Des bras valides, acteurs du développement socio-économique décèdent, mettant dans l’inconfort et l’insécurité sociale leurs familles, ainsi que de nombreux conjoints et enfants dans le dénuement. A ce jour, l’ONASER, selon M. Nikiema ne dispose pas de données d’accidents spécifiques aux poids lourds, enregistrées dans la ville de Ouagadougou. Mais, la section des accidents du commissariat central de police de Ouagadougou s’est prêtée à la tâche. A l’exception des données des commissariats d’arrondissement 10 et 12, le département dénombre 1 545 cas d’accidents liés aux poids lourds de janvier à novembre 2023 dont 38 décès. Pour éviter ces dégâts répétitifs, le commissaire Dramane Damiba, chef de la section des accidents, invite les usagers à respecter  scrupuleusement le code de la route.

 

« Du laxisme ou de la corruption »

 

Au regard des données du commissariat central de police, Mahamadou Ouedraogo, substitut du procureur du Faso, près le Tribunal de grande instance Ouaga I, chargé des enquêtes en matière d’infractions liées à la circulation routière dans la ville de Ouagadougou, rejette en partie la faute sur l’autorité. Les forces de défense, stationnées sur les voies publiques, soutient le substitut du procureur, sont censées réglementer la circulation et intensifier le contrôle des documents. Dans certains cas, la pratique est autre. « C’est soit du laxisme ou de la corruption qu’il ne faut pas cacher. Le contrevenant peut certainement essayer de soudoyer l’agent censé l’emmener au respect de la loi afin de pouvoir continuer son chemin », déplore-t-il. Pour sa part, le chef de service des unités mobiles d’intervention de la police municipale, Aimé Bado, remet en cause le pouvoir de l’autorité sur les transporteurs. « Un arrêté a été pris le 17 mai 2019 pour recadrer la circulation des véhicules poids lourds. Il a été décrié par les transporteurs. Deux semaines après, c’est-à-dire, le 24 mai 2019, il a été modifié par le même conseil de la collectivité de la ville de Ouagadougou pour toucher l’assentiment des transporteurs », s’insurge-t-il.

 

Relativement aux actes de corruption, le commissaire Dramane Damiba invite les populations à éviter de telles pratiques et surtout à dénoncer les agents fautifs.

 

 Absence d’aires de stationnement

 

En plein centre urbain, vers le rond-point du 2-Octobre, la violation des heures de circulation est une réalité.

Un constat amer ce vendredi 3 novembre 2023, au rond-point du 2 Octobre à 12 h 30 mn. Des poids lourds transportant du bétail ou chargés de noix de karité circulent en prenant la direction du marché de Sankar yaaré. Dans ce cercle de gros porteurs, des fidèles musulmans se hâtent pour la prière à la grande mosquée, située à proximité du grand marché, Rood Woko. Les usagers côtoient la mort entre ces monstres de la circulation. Interrogé sur la question des dégâts humains aux heures de pointe, le Secrétaire permanent de l’Union des chauffeurs routiers du Burkina (SP/UCRB), Dramane Yamindi Doussa relativise. Il est vrai que des axes sont identifiés pour la circulation des gros porteurs, dit-il, mais du moment où le pays est enclavé, ce n’est pas aisé. Partant de ce constat, poursuit-il, si l’autorité concède des axes de circulation pour ces véhicules et en même temps aux autres usagers, « forcement ils vont se côtoyer ». « Je trouve que les responsabilités sont partagées. Quelle est cette route à Ouagadougou, spécifiquement dédiée aux gros porteurs sur laquelle les autres usagers ne circulent pas ? », demande-t-il. Autres difficultés expliquant les faits de violation des heures de pointe, il s’agit, selon lui, de l’absence d’aires de stationnement. « Même en construisant la voie de contournement, aucune aire n’a été prévue pour les gros porteurs », se lamente-t-il. Sur ce point, des projets, soutient le conseiller technique du Président de la délégation spéciale (PDS) de la commune de Ouagadougou, Sylvestre N’do, sont en cours. En attendant la relecture du décret comme souhaite le secrétaire permanent de l’union des chauffeurs routiers du Burkina, M. N’do appelle les usagers au civisme sur les routes.

 

Entre culpabilité et désarroi

 

Entre culpabilité et désarroi, J.K, conducteur du camion semi-remorque, auteur du décès de l’agent de banque, dit vivre une situation pénible que lui-même n’avait sans doute jamais imaginée. Pire, le véhicule ne disposait même pas d’assurance ni de visite technique. Il a, en effet été condamné pour homicide involontaire et dégradation de bien privé. « Le jugement a été fait. La justice l’a sommé de payer une amande d’un million FCFA. La famille, elle-même, réclame 20 millions F CFA. Le conducteur a fait appel. Le dossier suit son cours normalement », relate le tuteur du défunt, Jean Joël Kaboré. Non affilié à une compagnie d’assurances, difficile pour J. K d’honorer ces amendes.

 

Le secrétaire exécutif de l’APSAB, Patrick Paré, conseille aux usagers de souscrire à un contrat d’assurance.

Patrick Paré, secrétaire exécutif de l’Association professionnelle des sociétés d’assurances du Burkina (APSAB), explique le bien-fondé de l’assurance. En réalité, dit-il, tout véhicule, circulant sur le territoire burkinabè a l’obligation de souscrire à une police d’assurances. En plus de l’obligation d’assurance territoriale, les véhicules qui font le transport intracommunautaire doivent être munis d’une assurance carte brune, pour qu’en cas de sinistre hors du territoire burkinabè, l’assureur puisse prendre en charge les dégâts causés. Au Burkina Faso, dit-il, les compagnies d’assurances la délivrent gratuitement. Malheureusement, regrette M. Paré, une étude réalisée indique que 40% des véhicules à moteur circulaient dans la ville de Ouagadougou sans assurance. « A ce jour, le nombre de véhicules non assurés est élevé. Il y a lieu d’intensifier les contrôles routiers. Ce contrôle permet de vérifier si le véhicule est en état de circuler avec les documents afférents comme l’attestation de contrôle du CCVA, l’attestation d’assurance et le permis de conduire », souhaite-t-il.

 

Du rôle de l’assurance 

 

 

Faisant face aux difficultés socio-économiques, du fait du stationnement de son véhicule au commissariat de police de l’arrondissement de  Nongr-Massom, J. K regrette son refus d’assurer son camion. Ruiné dans l’âme, il reconnait les faits et s’incline sur la mémoire du regretté. En de pareilles circonstances, soutient M. Paré, l’assurance a un rôle immensément social. « Lorsqu’un conducteur commet un accident, les conséquences sont souvent dramatiques comme des blessés dans une situation d’incapacité totale ou temporaire, des décès qui laissent souvent des femmes, des orphelins et des parents affligés. Si le véhicule avait souscrit à une police d’assurances, que l’incapacité soit temporaire ou permanente, les soins sont pris en charge par l’assureur et en cas de décès, l’ensemble des préjudices sont reversés aux ayants droit », détaille-t-il. En plus de la protection du conducteur, poursuit-il, l’assurance aurait dû protéger la personne, à qui, il a causé dommage. Ainsi, une année après la mort de Youbié Bakouan, les documents (assurance et visite technique) du véhicule, à jour, ont facilité le processus de dédommagement. Suite aux réclamations matérielles de l’accident, le représentant des ayants droit, Michel Bakouan, dit avoir reçu une offre d’indemnité transactionnelle d’un montant de 150 000 F CFA du service indemnisations matérielles automobiles de l’assureur. Aussi, après la constitution des différentes pièces y relatives, les ayants droit, soutient-il, ont reçu plus de 3 millions FCFA, représentant les honoraires d’assistance. « Lorsque nous avons bénéficié des indemnisations de l’assurance, la famille a acheté un terrain de plus d’un hectare au compte de l’orphelin. Une partie de la somme a servi pour les rituels au village. La femme en a également bénéficié pour se lancer dans le commerce », confie-t-il. A ce titre, le secrétaire exécutif de l’APSAB rappelle aux conducteurs la place de l’assurance responsabilité civile des Véhicules terrestres à moteur (VTM). Elle est une assurance obligatoire inscrite en lettre d’or dans le code « CIMA » en son article 200, insiste-t-il. Patrick Paré invite donc les conducteurs à ne pas se fier aux préjugés sur les compagnies d’assurances. « Le sinistre est aléatoire. Personne ne le prévoit. Et mieux, en payant le contrat d’assurance, la personne contribue à réparer les dommages causés par un autre assuré », défend M. Paré.

Oumarou RABO

Légendes (Ph : Issa COMPAORE)

 

Encadré : Instaurer un fonds de garantie automobile

Etant garant de la protection des vies des populations, l’Etat doit mettre en place un fonds de garantie automobile à l’instar d’autres pays. En effet, ce fonds va permettre de prendre en charge les sinistres occasionnés par les véhicules non assurés ou les véhicules ayant commis des sinistres, dont le conducteur a pris les jambes à son cou. Ce fonds est une recommandation de la Conférence inter marché des assurances (CIMA). La victime ne sachant pas quoi faire, elle se retrouve dans une situation difficile. C’est de la responsabilité de l’Etat de protéger les citoyens.

O.R.

 

 VOIR PH PIP POIDS LOURDS……………….MAC ZANGO

 

Sidwaya.info

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