Instruments de musique traditionnelle à l’Eglise : les péripéties d’une christianisation du profane

La musique occupe une place importante dans le culte chrétien. Elle est souvent exécutée par une chorale à travers la voix, le balafon, le bendré, les castagnettes, le djembé, le kasènu, le lounga ou le tambour d’aisselle, le gangaali ou tam-tam, etc. L’usage de ces instruments de musique traditionnelle par les chorales chrétiennes de nos jours paraît « naturel » aux yeux de certains. Cependant, dès les premières heures de la chrétienté au Burkina, au début du 20e siècle, ils n’étaient pas acceptés par l’Eglise. Mais, à partir de 1956, l’année charnière de « l’inculturation de la liturgie », une mutation musico-liturgique allait se réaliser en faveur de l’acceptation de l’art africain par l’Eglise.

Mgr Anselme Titianma Sanon : « à ma messe d’installation en 1975, j’ai dit que nous devrions arriver à des communautés africaines vivantes ».

« Bien chanter, c’est prier deux fois », dit la célèbre phrase devenue proverbiale de Saint Augustin. Ce qui traduit le caractère essentiel de la musique dans la religion chrétienne. Introduite au début du 20e siècle, notamment le 22 janvier 1900, au Burkina (ex Haute-Volta), à Binatenga dans la commune de Koupèla, la religion chrétienne considérait comme de « sacrées horreurs », les instruments de musique traditionnelle. Par conséquent, le balafon, le bendré, les castagnettes, le djembé, le kasènu, le lounga ou le tambour d’aisselle et les gangaali ou tam-tams par exemple n’étaient pas autorisés à l’église. Ce qui fait dire, à l’octogénaire, homme d’Eglise et de culture, Mgr Anselme Titianma Sanon que les premiers chrétiens rentraient perclus dans l’église, car, en plus de la méconnaissance de la langue, ils étaient étrangers aux instruments et au registre musical qui soutenaient la liturgie. Mais, le 8 juillet 1956, à l’occasion de l’ordination du premier évêque résidentiel, de la Conférence des évêques du Bénin, de la Côte d’Ivoire, du Niger, du Sénégal, du Togo et du Burkina, Mgr Dieudonné Yougbaré, une nouvelle ère s’annonça.

« Les fidèles présents au petit séminaire de Pabré entendront résonner pour la première fois, une sonorité africaine rendue par le Bendré et autres instruments de musique traditionnelle et burkinabè, savamment orchestrée par l’Abbé Robert Ouédraogo, grand homme de la musique et de la gestuelle », révèle Mgr Anselme Titianma Sanon. Cette messe, aussi appelée la messe des savanes, fut la première messe africaine, affirme-t-il. « Nous étions tous ébahis ce jour-là. Car, la liturgie a eu un rythme voltaïque à tel point que les témoins comme moi annoncions aux artistes-musiciens qui jusque-là jouaient en dehors de l’église que leurs instruments de musique étaient devenus chrétiens », témoigne Mgr Sanon. Un état de fait que l’homme de culture et d’Eglise qualifie d’inculturation de la liturgie. « C’est-à dire une liturgie de l’église catholique enracinée dans nos traditions africaines, ou bien nos traditions africaines purifiées, décantées et trouvant un enracinement dans l’évangile », explique-t-il. Monseigneur a aussi révélé que cela a été un point de débats et de conflits spirituels entre les religieux et les traditionalistes. Un constat partagé par le pasteur Paul Kouda, de l’Eglise protestante.

Ce dernier précise que cette tension était évidente et plus manifeste de la part des convertis que des coutumiers. En effet, « les convertis ne souhaitaient plus retrouver dans l’église, le tam-tam utilisé pour les funérailles, car selon eux ce sont des instruments du monde », confie-t-il. Pour ce dernier, cela est dû à une mauvaise compréhension des uns et relève d’une interprétation assez simpliste des autres. A l’entendre, tous les instruments de musique appartiennent au monde. Il en veut pour exemple l’argent ! « Il n’y a pas l’argent de Dieu et celui du monde. Tout dépend de l’utilisation que l’on en fait. Utiliser son argent pour la gloire de Dieu et il deviendra l’argent de Dieu. Jésus même l’a dit dans Mathieu 22 verset 21, il faut rendre à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». Ainsi, dès 1956, les débats et conflits spirituels autour de l’inculturation a amené des prêtres noirs à s’interroger sur le devenir de l’Eglise en Afrique, sa mission et l’action des missionnaires.

Du « Dô au Credo »

Même si les réponses viendront plus tard en avril-mai 1994, au cours du Synode des évêques sur l’église en Afrique, d’après Mgr Sanon, des signes précurseurs ont contribué à l’inculturation de la liturgie, à savoir, la convocation du concile Vatican II par le Pape Jean XXIII, en 1958-1959. Ce dernier répondait ainsi aux pourfendeurs de cette réforme, selon le curé de la paroisse Notre Dame des Grâce de Koupèla, Abbé François de Sales Kaboré. Aussi, la première session dudit concile eut lieu en 1962 et Jean XXIII décéda plus tard. Mais il aurait pu installer dès 1958, des archevêques africains dans différentes capitales africaines. Le Pape Paul VI, son successeur, continua l’œuvre et elle prit fin en 1965. A l’issue de ce concile, une innovation fondamentale a été prescrite, notamment l’expression de la parole de Dieu dans les langues vernaculaires, considérées auparavant comme « non sacrées ». En outre, d’importants actes sont aussi à mettre au compte de Paul VI, confie Mgr Anselme Sanon. Entre autres, la canonisation des martyrs de l’Ouganda en 1964, considérés comme les premiers martyrs de l’Eglise africaine moderne. A cette occasion, toute l’Afrique a été accueillie à Rome.

Pour le Béen Naaba Djiguemdé de Gounghin (bonnet rouge), la musique traditionnelle, de par ses instruments et ses genres, devrait être une potentialité pour la chorale chrétienne.

« Et, les Ougandais ont fait résonner leur tam-tam, dans la basilique Saint Pierre de Rome tout en chantant dans leur langue nationale », soutient-il. Un des faits marquants fut aussi, l’arrivée du Pape Paul VI à Kampala en 1969. La première fois qu’un Pape foule le sol africain. Trois éléments, selon Mgr Anselme Sanon, ont marqué cette visite initiale. Le premier fut l’épiscopat de toute l’Afrique. L’Afrique a présenté à cet effet, son symbole d’existence et d’unité à travers le symposium des Conférences épiscopales de l’Afrique et de Madagascar, conçu par le cardinal Paul Zoungrana. Le deuxième est le discours du cardinal Zoungrana où il déclare solennellement : « Notre être propre ne nous doit pas être imposé du dehors ». Selon lui, le cardinal demande à ce qu’on affirme fièrement notre africanité tout en assumant notre responsabilité de chrétien africain et d’une église africaine. Enfin, Paul VI déclare le pluralisme théologique. Un acte qui a soutenu l’interrogation des prêtres noirs, entamée un peu plutôt en 1956 et qui certifie que la théologie n’a pas de couleur et qu’il n’y a qu’une théologie. « A cet instant Paul VI nous ouvrait la voie », indique l’homme d’Eglise. D’après lui, cela a été reçu comme un ouf de soulagement et a permis d’abattre le mur entre les petites et les grandes messes. Car, toutes les messes vivantes s’équivalent. A partir de ce moment, à l’entendre, l’Afrique a eu le champ libre pour des créations d’inspiration africaine. Aussi, l’architecture des édifices religieuses embrassa l’art africain à l’image de l’église de la paroisse Notre Dame des apôtres de Fada N’Gourma et de la paroisse Notre Dame de Fatima de la commune de Boni. Cette dernière, construite entre 1977 et 1978, s’est inspirée de la thèse de Mgr Anselme Titianma Sanon, du « Dô au Credo » et elle la rend si bien à travers son architecture qui présente à sa façade principale le symbole du grand masque planche surmontée au sommet de la Sainte croix du Christ. Selon l’homme d’église, cette structure traduit l’esprit d’association de l’architecture de l’église à celle de l’esthétique du milieu pour faire « un » avec son environnement culturel et cultuel. En Côte d’Ivoire ce fut un foisonnement.

Au Mali par exemple, il y a eu un missionnaire qui a pris la psalmodie et a permis au catéchiste d’avoir tous les psaumes selon un rythme soudano-malien. Ce courant a permis l’importation de la culture africaine dans la liturgie, dont la base est la parole de Dieu dite dorénavant dans les langues africaines. « Cela résumait tout le processus de la réforme liturgique. Ce qui a suscité un vaste mouvement de traductions des langues grégoriennes (latin) aux langues bretonnes (français) et enfin dans les langues nationales dites vernaculaires », relate le curé de la paroisse Notre Dame des Grâce de Koupèla. D’après lui, la traduction a concerné autant la bible que les prières et la liturgie. Cette réforme a naturellement gagné la musique religieuse. Ainsi, les chansons religieuses ont commencé à être composées en langues locales suivant l’air des chants latins dans un premier temps. « Les premiers chants liturgiques comme le kyrié par exemple a été chanté dans nos langues traditionnelles, mais suivant d’abord l’air des chants grégoriens (chants en latin ou plein chant). Par la suite, ils ont pris des airs de chants bretons ou de chants en français et pour finir dans notre propre registre », souligne Abbé François de Sales Kaboré.

La valorisation du potentiel culturel

L’introduction des langues et des registres musicaux traditionnels a suscité implicitement, d’après le curé, l’introduction des instruments de musique traditionnelle dont l’entame a eu lieu, le 8 juillet 1956, à Pabré sous l’impulsion de l’Abbé Robert Ouédraogo. Neveu de la famille des « Bènda », il est compté par les pionniers qui ont œuvré pour une liturgie aux sonorités africaines. Lui et l’Abbé Johanny Sanon ont apporté une précieuse contribution dans l’utilisation de la langue, des airs et des instruments de musique traditionnelle avec respectivement la chorale mooréphone, « Naaba Saneem » à Ouagadougou et la chorale djoulaphone, « Lamog ya téban » à Bobo-Dioulasso. En outre, le premier curé africain de la cathédrale de Ouagadougou, l’Abbé Emmanuel Douamba et l’Abbé Jean Paul Nabi de Koudougou ont produit d’importantes compositions musicales en langues. Au diocèse de Koupèla, par contre, « l’introduction des instruments de musique traditionnelle s’est faite d’abord au niveau du Centre de formation des catéchistes (CFC), de Dialgaye autour des années 60 », rappelle Johanny Kaboré un des premiers catéchistes du diocèse et cofondateur de la chorale Sainte Cécile de Pouytenga en 1970 avec l’Abbé Barthélémy Ouédraogo, l’aumônier diocésain. Johanny Kaboré reconnait avoir rencontré des difficultés à l’entame de la chorale.

« Issu d’une famille princière, j’ai dès le début subi l’opposition de ma famille, car je ne devais pas jouer de la musique. Ensuite, le second combat a été d’intégrer des choristes féminins, car, pour bien de chefs de famille, la chorale était considérée comme une activité de paresse», soutient M. Kaboré. Malgré la réticence manifeste de religieux et de traditionalistes, le Bendré a été l’un des premiers instruments à avoir été copté, selon l’Abbé François De Sales. A la suite du Bendré, poursuit-il, ce fut le tour du gangaogo ou tambour utilisé essentiellement pour la percussion. « Ensuite, le tambour d’aisselle ou le lounga pour la parole et plus tard le tchéma ou les castagnettes se sont vus autorisés dans la chorale », précise l’Abbé. C’est bien tout le sens de l’inculturation de la liturgie, selon lui. « L’élan africaniste, le bol d’air frais du concile Vatican II, ont permis l’introduction à l’église non seulement des instruments de musique traditionnelle, mais aussi le génie musical de chaque peuple à la liturgie », souligne-t-il. A l’image des autres églises, « le n’cuincui, le wuan, le baasé et le n’salou, tous des genres musicaux du terroir bwamu sont utilisés par la chorale Sainte Cécile de la paroisse Notre Dame de Fatima de Boni », confie le curé de ladite paroisse, l’Abbé Henri Zongo. Le pasteur Paul Kouda reconnait que l’Eglise protestante a mis du temps avant d’accepter les instruments de musique traditionnelle, par rapport à l’Eglise catholique.

« A nos débuts, nous n’avions que deux instruments, la voix et les battements de mains », révèle le pasteur Paul. Il a poursuivi en disant que par la suite, les instruments de musique traditionnelle sont intervenus dont le plus populaire est le « Goumbé ». Au terme des débats sur l’utilisation des instruments de musique traditionnelle, les discussions ont porté au fil du temps sur l’usage des différents registres musicaux traditionnels à l’Eglise. En effet, l’usage des genres traditionnels de la circoncision, des funérailles, des réjouissances féminines et même de l’excision par les choristes allait occasionner un second round de polémique d’après Paul Kouda. « Ce qui traduit malheureusement la non valorisation de notre potentiel culturel, pourtant si riche avec sa soixantaine d’ethnies au détriment des registres importés », déplore-t-il. Selon M. Kouda, les genres zouk, reggae ou les sonorités urbaines qui ne sont pas issus exclusivement de la tradition africaine abondent cependant à l’église. « Pourtant nos genres peuvent judicieusement être utilisés à l’église encore que la Bible ne le condamne pas et, quels que soient nos efforts, l’Eternel sait que nous ne pouvons pas chanter comme des anges. Mais si c’est à la seule gloire de son nom par miséricorde il peut nous écouter », estime le pasteur. Ce dernier explique que la chorale fait partie intégrante du culte. Elle l’accompagne avec une certaine profondeur, si tant qu’elle est exécutée avec ce que nous avons de propre à nous : nos voix, nos instruments, nos sonorités et nos genres. « Et pour y arriver, nous devrions baptiser ou christianiser les instruments du sacré africain afin de pouvoir les utiliser dans l’église.

Car, si le peuple de Dieu se réunit, il faut que l’on sente la vie, et la ferveur. Nous devrions arriver à des communautés vivantes », soutient Mgr Anselme Sanon. Ancien choriste, Béen Naaba Djiguemdé de Gounghin, affirme que la tradition renferme de la poésie, de la gestuelle et des sonorités qui peuvent soutenir la liturgie. « Je suis d’avis que le Koliba, une sonorité jouée lors des funérailles traditionnelles puisse être jouée à l’occasion de la solennité du vendredi Saint », affirme Bénd Naaba. Cependant, il précise que le Bendré joué à l’église ou utilisé par les artistes- musiciens est bien différent de celui joué au palais royal. « Le bendré du palais, de par sa fabrication répond à une série de rituels sacrés qui l’accordent à terme une âme. Par conséquent, il ne saurait être joué nulle part et ailleurs si ce n’est auprès des chefs coutumiers », insiste Béen Naaba. Aussi, les hommes d’Eglise appellent à la démystification des instruments de musique pour un apport optimum de l’héritage culturel, tout en évitant la mixtion des deux croyances qui conduit au syncrétisme tandis que l’option d’être strict, lui, conduit au fanatisme religieux.

Rémi ZOERINGRE

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