La Cour des comptes est la juridiction supérieure de contrôle des finances publiques du Burkina Faso, créée en 2000. Dans cette interview accordée à Sidwaya, son Premier président, magistrat de grade exceptionnel, Latin Poda revient sur ses missions, ses actions et son ambition pour que son institution soit encore plus performante en matière de bonne gestion des ressources.
Sidwaya (S.) : Quel est le contexte de création de la Cour des comptes ?
Latin Poda L.P. : Dans les années 1960-1963, la chambre de compte avait été créée au niveau de la Cour suprême. Cela a évolué selon les désidératas des autorités politiques d’alors où tantôt, cette chambre était supprimée, tantôt remise en place jusqu’à l’année 2000. Dans le cadre des réformes au niveau de la justice, il a été décidé d’éclater la cour suprême en trois juridictions que sont la Cour de cassation, le Conseil d’Etat et la Cour des comptes. C’est la chambre des comptes qui est devenue la Cour des comptes et cela a été consacré par l’article 126 de la Constitution du 2 juin 1991 et l’article 127 fait d’elle, la juridiction supérieure de contrôle des finances publiques.
S. : Quelles sont les attributions et les missions de la Cour des comptes ?
L.P. : La Cour des comptes a plusieurs attributions. D’abord, en matière juridictionnelle, il y a le contrôle juridictionnel qui consiste à juger les comptes de gestion des comptables publics chaque année. Il s’agit de l’agent comptable central du Trésor, le receveur général et le payeur général. A cela, il faut ajouter le jugement des comptes de gestion des comptables des 160 établissements publics de l’Etat sans oublier les comptables publics des collectivités territoriales (les communes rurales, urbaines et les conseils régionaux). Ensuite, nous avons le contrôle non juridictionnel qui consiste à s’assurer de la bonne gestion budgétaire des collectivités, de l’Etat, des entreprises publiques et des organismes qui bénéficient des subventions de l’Etat (la presse privée, les partis politiques).
Enfin, nous avons une mission d’information et d’assistance à l’exécutif et au parlement en ce sens que l’exécutif peut nous demander des avis, nous
demander d’effectuer un contrôle dans un secteur donné. Au niveau de l’Assemblée, nous jouons particulièrement un rôle de conseiller. La Constitution impose qu’à la fin de l’exécution du budget, la Cour puisse faire un rapport à l’Assemblée nationale et c’est sur la base de ce rapport que la loi de règlement est votée. Aussi, nous avons la loi numéro 073/ 2015/CNT du 06 novembre 2015, relative à la loi de finances qui impose de nouvelles missions à la Cour des comptes à savoir l’évaluation des politiques publiques, la certification des comptes de l’Etat, l’émission d’avis sur le dispositif de contrôle interne et de contrôle de gestion sur la qualité des procédures comptables et des comptes, ainsi que sur les rapports annuels de performance.
Dans le cadre du budget programme, chaque institution, chaque ministère élabore chaque année le programme annuel de performance et à la fin de l’année, des rapports annuels de performances doivent être rédigés et transmis pour que la cour puisse analyser et faire éventuellement des observations. Pour terminer, nous avons la loi N° 008- 2013 AN du 23 avril 2013, portant code de transparence dans des gestions de finances publiques au Burkina, en son article 18 qui dispose que dans les trois mois suivant chaque alternance politique, la situation globale des finances publiques en particulier la situation globale du budget de l’Etat et de son endettement fait l’objet d’un rapport qui est préparé par le gouvernement, audité et publié par la Cour des comptes.
Cela signifie qu’à chaque changement de régime politique, logiquement ce rapport doit être transmis à la Cour pour que nous puissions auditer et le publier mais malheureusement, cette norme n’est pas respectée. Normalement, on devrait, chaque année, pouvoir contrôler chaque ministère. Si la Cour avait la possibilité d’assumer toutes ses attributions, il va de soi que l’environnement de la gestion des finances publiques allait être assaini à travers les observations, les recommandations qu’on allait émettre.
S. : Avez-vous la capacité de contrôler tous les ministères et institutions ?
L.P. : Nous en avons le pouvoir car la loi nous le donne mais nous n’avons pas aujourd’hui la capacité, c’est-à-dire les ressources humaines, financières et matérielles. En termes de ressources humaines, nous avons un nombre de magistrats, de conseillers très limités. Cela fait qu’on ne peut pas faire plusieurs choses à la fois. Pour ce qui concerne les ressources financières, notre budget est arbitré par le ministère de l’Economie et des Finances. C’est environ 500 000 000 F CFA par an. Depuis 2023, nous avons en plus, le fonds d’intervention qui est d’environ 200 000 000 F CFA. C’est pour nous permettre de fonctionner, mais ce n’est pas assez au regard de l’ampleur des attributions qui nous sont confiées. L’idéal serait d’avoir suffisamment de personnel, de réorganiser la Cour des comptes en créant des chambres régionales dans les 13 régions. Ainsi, chaque année, on devrait pouvoir réussir à faire le maximum de contrôles et d’audits.
S. : Malgré toutes ces limites, arrivez-vous à faire des contrôles ?
L.P. : Je félicite tous les travailleurs de la Cour des comptes pour les efforts qui sont fournis. Malgré ces difficultés, nous réussissons à faire des contrôles, des audits et à juger des comptes. Les comptes de gestion des comptables publics ont été jugés jusqu’à l’exercice 2020. Il nous reste à juger les comptes de l’exercice 2021 et 2022 car pour 2023, les rapports viennent d’être déposés cette année. Je viens de donner des instructions aux deux chambres qui sont principalement chargées de juger ces comptes afin que d’ici la fin de ce trimestre, on ait des jugements de ces comptes publics. Chaque année, nous nous efforçons de faire des contrôles des comptes de quelques communes, des EPE sans compter les audits plus ou moins obligatoires des projets et programmes qui nous reviennent dans le cadre des conventions signées entre le gouvernement et les partenaires techniques et financiers.
S. : Concrètement, comment se passe les audits ?
L.P. : Cela se passe bien et c’est à l’adresse des entités contrôlées, auditées jusqu’à présent, car nous n’avons pas eu un cas de résistance. Les gens acceptent de se soumettre aux contrôles, aux audits. C’est un point positif à souligner. Ce qui veut dire que les gens comprennent l’importance de la Cour des comptes. Mieux, il y a des localités qui nous réclament. La preuve, l’année passée, une équipe a été à Gaoua et à Gomblora dans la région du Sud-Ouest pour des contrôles. Au regard de nos ressources limitées, on ne peut pas couvrir tout le territoire. Rien qu’en termes de matériel roulant, nous avons des véhicules vétustes. Certes, nous avons reçu de l’Assemblée, il y a deux ans de cela, 40 000 000 F CFA pour l’achat d’un véhicule.
Mais actuellement, le Premier président n’a pas de véhicule de fonction et c’est un véhicule du parc qui est utilisé comme véhicule de fonction. Pour améliorer cette situation, nous pensons qu’il faut d’abord commencer par la révision de la loi organique. Elle va nous permettre de résoudre pas mal de difficultés. Dans cette loi, il est prévu par exemple le jugement des fautes de gestion mais, il n’est pas prévu de chambre pour ce jugement. Il a fallu que par ordonnance du Premier président, on crée cette chambre ad hoc et un Secrétaire général pour notre fonctionnement, ce que la loi n’avait pas non plus prévu.
C’est le Président de la Chambre de discipline budgétaire qui joue en même temps le rôle de Secrétaire général ad hoc. L’autre problème assez sérieux est le mandat des conseillers financiers qui nous viennent du ministère de l’Economie et des Finances. Selon la loi actuelle, ces conseillers ont un mandat de cinq ans et renouvelable une fois. Donc, ils font au maximum dix ans à la Cour des comptes. C’est au moment où le conseiller commence à être expérimenté, à comprendre le travail que son mandat prend fin.
Nous ne capitalisons pas ces expériences acquises et tout le temps, il faut recruter de nouvelles personnes qu’il faut encore former. Pourtant, le travail qui se fait ici, nécessite du temps pour apprendre mais nous n’arrivons pas à maîtriser notre effectif, car, il varie en fonction des arrivées et des départs. En plus, nous avons la question de l’autonomie financière et de gestion afin de pouvoir recruter notre personnel selon nos besoins. C’est le ministère de la fonction publique et le Conseil supérieur de la magistrature qui mettent à notre disposition du personnel. L’autonomie de gestion permettra d’avoir un budget qui ne sera plus arbitré par le ministère de l’Economie et des Finances mais directement voté par l’Assemblée nationale parce que le ministère des Finances, normalement, est un de nos justiciables qu’on devrait pouvoir contrôler chaque année.
Il y a aussi le problème de la gestion des carrières des magistrats de la Cour des comptes par le Conseil supérieur de la magistrature. Actuellement, dans le cadre
de l’UEMOA, un statut-type des magistrats financiers des Cours des comptes de l’espace
a été élaboré et transmis au Conseil des ministres au mois de juillet 2024. S’il est adopté et appliqué, nous aurons un Conseil supérieur autonome différent du Conseil supérieur de la magistrature parce que nous n’avons pas les mêmes règles de fonctionnement.
S. : Où en êtes-vous avec la révision de la loi organique ?
L.P. : On avait repris le processus de révision de la loi et on s’était accordé sur un avant-projet de loi que nous avons transmis au gouvernement via le ministère en charge de la justice pour suite à donner. Avec le changement à la tête du ministère, les choses sont restées en l’état.
S. : Quelles sont les fautes de gestion couramment rencontrées ?
L.P. : L’article 79 de notre loi organique et l’article 104 de la loi 073/2015/CNT du 6 novembre 2015 donnent la liste des faits susceptibles d’être constitutifs de fautes de gestion. Il s’agit de la violation des règles relative à l’exécution des recettes et des dépenses de l’Etat et des autres organismes publics, la violation des règles relative à la gestion des biens qui appartiennent à l’Etat ou aux autres organismes publics. Ce sont essentiellement ces deux cas que nous rencontrons fréquemment, sinon, il y a tout un tas d’autres faits qui peuvent être qualifiés de faute de gestion.
Les sanctions sont prévues aux articles 80, 81 et 82 de la loi organique. L’amende est au minimum de 20 000 FCFA et le maximum peut atteindre le double du montant du salaire brut annuel à la date de l’irrégularité ou de l’infraction Après analyse, cette sanction est tellement infime par rapport au dommage qui peut être causé à l’Etat. L’article 82 dit que les auteurs des faits qui sont visés à l’article 80 ne sont passibles d’aucune sanction s’ils peuvent produire un ordre écrit préalablement donné à la suite d’un rapport particulier à
chaque affaire par le supérieur hiérarchique ou par la personne légalement habilitée à donner un tel ordre dont la responsabilité se substituera dans ces cas.
C’est-à-dire que si l’agent a agi sur ordre écrit de son supérieur hiérarchique bien sûr, il est disculpé et c’est son supérieur hiérarchique qui devient responsable. Les sanctions, prévues, sont assez faibles et dans le cas de la révision de notre loi organique, nous avons demandé que ces sanctions soient revues à la hausse de sorte à dissuader les gens et permettre à la Cour de condamner les auteurs de faute de gestion pour plus ou moins à réparer les préjudices causés à l’Etat.
S. : Quelle est la différence entre la Cour des comptes et l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption (ASCE-LC) ?
L.P. : La Cour des comptes est une juridiction supérieure de contrôle des finances publiques. C’est un organe de contrôle externe indépendant de l’administration et a la compétence pour juger les cas de faute de gestion que nous découvrons dans nos contrôles. Quant à l’ASCE-LC, elle est un organe de contrôle interne de l’administration. Elle est plus ou moins un officier de police judiciaire qui enquête, rassemble les preuves et transmet à la Cour des comptes ou aux juridictions compétentes pour juger.
S. : Quelle lecture faites-vous sur la gestion globale des finances publiques au Burkina ?
L.P. : Tout commence à aller parce que les gens ont pris conscience que les choses ont changé. Ce qui se passait avant ne peut plus se faire aujourd’hui. Les gens se méfient de plus en plus quand ils manipulent les biens de l’Etat. Ils savent désormais que la Cour des comptes ou l’ASCE-LC est là pour contrôler en plus des dénonciations faites par les populations. Si cet élan est maintenu et si les moyens sont donnés aux organes de contrôle pour faire réellement leur travail, d’ici quelques années, nous allons récolter les bénéfices de ces actions et nous pourrons avoir une gestion des finances publiques assez assainie.
Interview réalisée par Fleur BIRBA
fleurbirba@gmail.com