A la suite de l’éviction du lieutenant- colonel Paul- Henri Sandaogo Damiba du pouvoir, Laurent Kibora, expert en sécurité et lutte contre le terrorisme, a accordé une interview à Sidwaya, le lundi 03 octobre à Ouagadougou. Dans cet entretien, il donne sa lecture sur la prise de pouvoir par le capitaine Ibrahim Traoré et son impact sur la lutte contre le terrorisme.
Sidwaya(S) : Quel commentaire faites-vous de l’éviction du lieutenant-colonel Paul- Henri Sandaogo Damiba du pouvoir ?
Laurent Kibora (L.K.) : Comme beaucoup l’ont souligné, il fallait s’y attendre. Beaucoup ont vu cela venir. Je tiens à vous préciser une chose. Actuellement, tous ceux qui vont prendre le pouvoir, il faut évaluer leur longévité ou leur pérennité sur deux variables, sur deux indicateurs. C’est la lutte contre l’insécurité et l’approbation ou le soutien du peuple. Le premier facteur, c’est la détérioration de la situation sécuritaire et le deuxième facteur, c’est la grogne de la population.
C’est pour dire que présentement, quels que soient ceux qui vont gouverner le pays, si vous n’avez pas ces deux facteurs à votre avantage, attendez-vous à ce que vous soyez remplacé par une autre personne. C’est dire que si vous voulez maintenir votre position, si vous voulez terminer votre mandat, il faudrait faire de telle sorte à faire reculer l’insécurité et aussi travailler à avoir la population avec vous. C’est-à-dire éviter de priver les gens de leur liberté de penser, de leur liberté de parole. Ce qui est arrivé est parti d’une grogne qui, rapidement, s’est transformée en coup d’Etat, mais cela a des explications.
S : Quel peut être l’impact de l’avènement de cette nouvelle équipe du MPSR dans la lutte contre le terrorisme ?
L.K. : L’impact dans la lutte contre l’insécurité, pour le moment, nous ne pouvons que faire des suppositions, des vœux pieux, puisqu’on dit que c’est au pied du mur qu’on évalue l’efficacité de l’ouvrier. Personnellement, je suis optimiste quant à l’amélioration de la situation. Mais si nous conduisons toujours les vieilles méthodes, nous allons obtenir les mêmes résultats. La chance que les autorités qui vont venir ont, est de savoir tirer des leçons des erreurs de tout ce qui est passé, et ce sera un atout. En plus de cela, il faut avoir le soutien de la population.
Un soutien qu’il faut savoir transformer en sursaut patriotique. On a vu tout le peuple se lever comme un seul homme pour dire non à quelque chose et pour dire oui à une autre chose. Si ce même regain, ce même sursaut patriotique peut se traduire dans la lutte contre l’insécurité, cela va sans dire que le Burkina Faso va sortir gagnant
S : Peut-on s’attendre à une continuité ou à une rupture de l’élan de gouvernance qui était implémenté par le gouvernement de Damiba ?
L.K. : Forcément, il y aura une rupture, parce que ceux qui ont pris le pouvoir actuellement ont relevé des ratés. Ces ratés, on peut les énumérer sous plusieurs angles en commençant par le non-respect de la parole donnée. Quand Damiba prenait le pouvoir, c’était d’œuvrer à la lutte contre l’insécurité et amener la sérénité, la quiétude et la paix dans le pays. Cela n’a pas été le cas. Premièrement, dans la gouvernance, on a remarqué qu’il y a eu un gonflement des salaires des membres du gouvernement. La population a vu cela d’un mauvais œil.
Deuxièmement, dans la gouvernance publique, chaque mercredi, c’était des nominations. C’est-à-dire qu’on n’a pas cherché à évaluer les gens en fonction de leurs résultats pour les changer, mais c’était comme des règlements de comptes. En plus de cela, le président avait plus de tendance sur l’aspect politique que sur celui sécuritaire. C’est l’une des raisons que le capitaine Ibrahim Traoré a relevées en disant qu’ils ont eu l’impression que le président Damiba a dévié de sa trajectoire.
S : Que diriez-vous au capitaine Ibrahim Traoré pour éviter les erreurs de son prédécesseur ?
L.K. : Je dirai au capitaine Traoré que la valeur n’attend point le nombre d’années. Je lui dirai, éloigne-toi du milieu politique. Il a la chance de ne pas être issu d’un régime politique. Damiba, il faut le comprendre. Il est issu d’un système auquel il a appartenu. Et, ce système, c’est l’ancien régime parce qu’il a fait partie du RSP (Régiment de sécurité présidentielle). Et, faire partie du RSP veut dire qu’il a des liens avec le milieu politique auquel il ne pouvait pas s’affranchir du jour au lendemain.
Cela a été le talon d’Achille du président Damiba qui a entrainé tout ce que nous connaissons actuellement. Le nouveau président, le capitaine Ibrahim Traoré, a la chance de n’ appartenir à aucun régime politique. Il a la chance qu’on l’ait choisi et il ne s’est pas imposé lui-même. Il y a eu donc un consensus. On reconnait en lui des qualités humaines, on reconnait en lui des qualités de chef, on reconnait en lui un combattant. Ce qu’il doit faire, c’est de respecter sa parole en s’attelant à la lutte contre l’insécurité et en prenant ses distances de la chose politique et des organisations de la société civile.
S : Comment la communauté internationale, la CEDEAO notamment, va-t-elle se comporter vis-à-vis de cette nouvelle donne de la situation du pays ?
L.K. : La CEDEAO a pour vocation d’accompagner les pays membres. Elle est bien consciente des difficultés et des problèmes que traverse le Burkina. Donc, cela va sans dire une position de rigueur, mais une rigueur qui ne va pas aller à l’encontre des intérêts du Burkina. Sachant l’impact de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, l’augmentation des prix des produits de première nécessité qui fait que le Burkina est agonisant, il a besoin plus de soutien que de sanction.
Et, je pense que la CEDEAO ne perd pas de vue cette réalité. Ce que je dois dire est que les grandes épreuves forgent les nations. Le Burkina Faso traverse de durs moments. Mais, je suis certain que le Burkina sortira grandi à l’issue de cette épreuve. Donc, c’est le moment pour tout Burkinabè d’avoir un esprit de vainqueur, d’espoir et d’éviter de se morfondre en disant que tout est perdu et qu’on ne peut plus rien. On a vu cela avec la révolution américaine, française et avec beaucoup de pays. C’est dire que j’ai foi que nous nous en sortirons.
Entretien réalisé par Soumaïla BONKOUNGOU
& Gustave KONATE (Stagiaire)