Le ministre des Affaires étrangères à propos de la délocalisation de la délivrance des visas américains: « Le Burkina restera une terre de dignité, pas une terre de déportation »

Le ministre chargé des Affaires étrangères, Karamoko Jean Marie Traoré : «la décision du capitaine Ibrahim Traoré, qui a consisté à offrir l’hospitalité à tous les Africains, ne saurait être assimilée à une opportunité pour un pays tiers de se débarrasser de certaines populations que ce pays considère comme indésirables ».

Le ministre des Affaires étrangères, de la Coopération et des Burkinabè de l’extérieur, Karamoko Jean Marie Traoré, était au journal de 20 heures du jeudi 9 octobre 2025 de la télévision nationale pour donner des éclairages sur la suspension de la délivrance des visas par les Etats-Unis et sa délocalisation au Togo.

De certaines informations qui circulent sur les réseaux sociaux, on apprend que les citoyens burkinabè demandeurs de visa américain devront désormais se rendre à Lomé au Togo pour les formalités. Est-ce que vous confirmez ?

C’est avec surprise, effectivement, que nous avons reçu, ce soir même, une note verbale de l’ambassade des Etats-Unis à Ouagadougou, qui nous a confirmé, effectivement, cette rumeur, jusque-là, qui circulait sur les réseaux sociaux. Officiellement, la raison qui est consignée dans cette note verbale est que le Burkina Faso, au même titre que plusieurs autres pays africains, fait partie d’une liste d’Etats dont les ressortissants n’ont pas respecté les consignes en matière d’usage des visas. Il s’agit des visas touristes. Il s’agit des visas étudiants. Et donc, à ce titre, l’ambassade des Etats-Unis a été, on va le dire, diligentée pour prendre cette mesure de suspension temporaire de délivrance des visas touristes et visas étudiants à tous les Burkinabè qui seront désormais obligés de se rendre à leur ambassade, au Togo, pour se faire délivrer lesdits documents. La note verbale, dont copie est avec moi, précise également qu’il s’agira de reprendre, en fait, les procédures, non seulement d’inscription, mais de paiement pour se faire délivrer ces visas au niveau de l’ambassade des Etats-Unis, au Togo. Donc, ceci pour confirmer que ce qui était jusque-là considéré comme une rumeur a été confirmé par la représentation diplomatique des Etats-Unis ici, au Burkina Faso. J’ai invoqué ces raisons au titre de motifs officiels. Il se trouve que la note verbale que nous avons reçue comporte des suggestions et qui font référence à un accord que les Etats-Unis ont tenté de proposer à la partie burkinabè depuis que l’administration Trump a pris ses marques. Dès que cette administration a commencé, l’ambassade nous avait approchés pour nous faire cette proposition dans le cadre de la mise en œuvre de la politique migratoire des Américains.

Il s’agissait de quoi ?

Il s’agissait de proposer aux Etats africains qui le souhaitent, puisqu’ils sont dans une procédure d’identification et d’expulsion des ressortissants qui vivent aux Etats-Unis et qui ne sont pas à jour dans leur résidence, de les expulser. La proposition qui avait été faite, c’était de voir si le Burkina Faso, en dehors de nos propres ressortissants, était prêt à recevoir d’autres personnes qui seraient expulsées par les Etats-Unis. Naturellement, cette proposition que nous avions jugée en son temps indécente est totalement contraire à la valeur de dignité qui fait partie de l’essence même de la vision du capitaine Ibrahim Traoré. Nous avons dit que le Burkina Faso ne pouvait être cette destination.

Après cela, nous avons eu plusieurs rencontres, toujours dans le même sens, et on a compris qu’il tenait à ce que, cette mesure, nous puissions y accéder. A la faveur de l’adoption du décret portant gratuité des visas, ils sont encore revenus à la charge pour dire : « Nous voyons qu’il y a un esprit panafricain. Et puisque les visas sont gratuits, est-ce que vous êtes disposés à recevoir des ressortissants non Burkinabè, mais qui souhaiteraient se rendre au Burkina Faso ? ».

Notre réponse était assez claire. Tout ressortissant africain désirant se rendre au Burkina Faso en toute liberté, qui paye son billet est la bienvenue ici, au Faso. Il décide de lui-même. Il achète son billet. On lui donne le visa gratuit. Il peut venir au Burkina Faso. Des ressortissants qui sont sous les injonctions de choisir une destination parce que nous sommes un pays à visa gratuite, nous ne saurons être une destination de déportation. Cette vision était assez claire. Le Burkina Faso est une destination. Le Burkina Faso n’est pas une terre de déportation.

Et, nous avons précisé cela en disant que la décision du capitaine Ibrahim Traoré, qui a consisté à offrir l’hospitalité à tous les Africains, ne saurait être assimilée à une opportunité pour un pays tiers de se débarrasser de certaines populations que ce pays considère comme indésirables. Nous restons une terre d’accueil, une terre ouverte à tous les Africains tant qu’ils le souhaitent. Ils prennent la décision de venir en toute liberté. Rien qu’hier (ndrl : 8 octobre 2025), j’ai eu une audience avec l’ambassade des Etats-Unis, audience au cours de laquelle nous sommes encore revenus sur cette question.

Cela faisait la énième fois qu’on en discutait parce que lorsque j’étais à l’Assemblée générale des Nations unies à New York, j’ai eu à échanger avec le sous-secrétaire d’Etat chargé de cette question, et qui est encore revenu sur l’opportunité de la gratuité des visas qu’il pouvait utiliser pour nous faire cette offre. Nous avons répété la même chose. Alors, il est curieux que ce soit à la confirmation, pour la énième fois de notre refus de recevoir des ressortissants indésirables, le fait de considérer notre pays comme une terre de déportation, ce qui est indigne et indécent, que ce soit seulement juste après que cette décision soit prise.

Donc, vous comprendrez avec moi que le lien est vite établi. S’agit-il d’une mesure de pression ? S’agit-il d’un chantage ? En tous les cas, il est important de préciser que dans la vision de la Révolution progressiste populaire, le Burkina Faso est une terre de dignité, et le Burkina Faso restera une terre de dignité, une destination, et non pas une terre de déportation.

Justement, nous avons appris la visite prochaine, en fin octobre, d’Afro descendants au Burkina. Est-ce que cette visite a un lien avec cette décision qui vient d’être prise par les autorités américaines ?

Je dirais clairement non. Et comme vous pouvez le savoir, nous avons été surpris de cette mesure qui est venue subitement après notre refus catégorique de recevoir des personnes qui sont jugées indésirables. Ce n’est pas pour les qualifier comme des personnes indésirables. C’est lié au fait que la politique actuelle du gouvernement en place, malheureusement, voit en chaque ressortissant étranger, un danger. Ce qui est très grave.

Et c’est ce que nous avons répété à la représentation américaine, que parmi ces gens, il y a beaucoup d’Africains, de Latinos américains, de non Américains qui résident là-bas, qui ont sacrifié leur vie et qui ont participé à la construction de la paix et à l’économie des Etats-Unis. Ils ont fait tout ce qu’il y a comme boulot. Ils ont vidé les égouts. Ils ont balayé les rues. Ils se sont occupés des personnes âgées dans les maisons de retraite. Ils ont travaillé dans tous les services pour offrir aux Américains une vie décente.

Ces gens sont aujourd’hui identifiés comme indésirables du fait qu’ils sont rentrés illégalement sur le territoire. C’est une mesure souveraine, certes. Mais, cette mesure ne peut être le motif principal pour juste identifier des destinations quelconques en Afrique et aller les déposer. Les Afro descendants qui souhaitent venir au Burkina Faso sont des frères et sœurs qui souhaitent renouer avec leur propre histoire, partir à leur propre rencontre. Ils ont vu au Burkina Faso une terre à laquelle, ils s’identifient. Ils viennent ici par amour et beaucoup d’entre eux souhaitent s’établir au Burkina.

Je dois préciser que beaucoup s’attendent à acquérir la nationalité burkinabè. Et, nous sommes en train de travailler à préparer ce séjour. Donc, ces gens viennent librement. Il ne s’agit pas de gens qui sont sous la contrainte de choisir une destination. A ne pas confondre. Et toute personne qui prendra la décision de venir librement, qui n’est pas obligée de rester dans un périmètre défini par un Etat tiers, de dire « vous êtes obligés de quitter. Maintenant, voilà une liste de pays parmi lesquels vous devez choisir votre destination ». Ces gens peuvent venir tranquillement ici.

Donc, c’est deux choses différentes. Et nous travaillerons toujours à rester une terre d’accueil pour toutes ces personnes. Nous ne sommes pas une terre de déportation. C’est assez clair. Et je rassure nos frères et sœurs Afro descendants qui planifient effectuer un séjour au Burkina Faso, qu’ils seront toujours chez eux ici et que nous prendrons les mesures pour qu’ils se sentent effectivement en Afrique, qu’ils se sentent sur une terre de dignité.

Au regard de cette décision des autorités américaines, comment vous entrevoyez la suite de la coopération entre le Burkina et les Etats-Unis ?

Le Burkina Faso a toujours été ouvert au dialogue. La donne nouvelle à travers la Révolution progressiste populaire aujourd’hui, c’est de mettre l’accent sur la dimension respect mutuel. Nous resterons en bonne relation avec tous les Etats qui nous respectent en tant qu’humains, avec tous les Etats qui respectent notre dignité. Naturellement, la mesure qui a été prise ne saurait nous laisser indifférents. En diplomatie, on parle de réciprocité.

Nous prendrons les mesures qu’il faut à la limite des mesures qui ont été prises par les autorités américaines sans pour autant compromettre l’amitié, la solidarité, la fraternité entre les peuples du Burkina Faso et les peuples américains. Parce qu’il ne faut pas faire d’amalgame. Il y a une sympathie entre des communautés, entre des populations qui veulent travailler ensemble, mais qui se trouvent souvent dans des espaces où l’autorité crée des limites ou des murs qui les séparent. C’est pour rassurer l’opinion publique que nous restions toujours une terre ouverte. Nous restons toujours un pays de dialogue, un pays qui souhaite établir et nourrir les relations avec tous les pays qui nous respectent.

Propos retranscris par la Rédaction

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