Mariage d’enfants dans la Sissili : à 15 ans, elle était destinée 3e épouse

Le Burkina Faso, à l’image de la plupart des pays de l’Afrique de l’Ouest est confronté au phénomène du mariage d’enfants. Une pratique qui a des conséquences néfastes sur les victimes et sur l’ensemble de la société. La situation est alarmante, comme l’a constatée la caravane mobile de l’Unicef qui a sillonné les coins et recoins de la ville de Léo, du 5 au 8 juillet 2019, dans le cadre de la campagne : «Ne m’appelez pas madame».

Salimata Nébié est une jeune fille de 15 ans native de la commune urbaine de Sapouy, localité située à une soixantaine de kilomètres de Léo, chef-lieu de la province de la Sissili. Innocente et pleine de vie, la petite Sali, n’ayant pas fait les bancs, rêvait un jour de devenir une grande commerçante. Mais son rêve s’est brisé le jour où, de retour des champs, son père, Moussa Nébié, lui annonce ses noces prochaines avec un vieux du village déjà marié à deux femmes. Impuissante face à cette situation qui rendait ses nuits blanches, elle décide de faire appel à ses tantes pour convaincre son père de renoncer à son projet. Mais ses espoirs vont vite s’envoler, lorsque ces dernières, au lieu de la soutenir, lui sortent le refrain suivant: «Ta mère a été mariée à ton père alors qu’elle n’avait que 13 ans. Tu peux donc t’estimer heureuse d’avoir atteint 15 ans dans le domicile familial». Déboussolée et désemparée, Sali ne trouve d’autres solutions que de fuir.

N’ayant nul part où aller, et profitant d’un jour de marché, elle s’«échappe» à Ipelcé, village situé à une quarantaine de kilomètres de Ouagadougou, avec Boubacar Zongo, un jeune qui la courtisait depuis quelques mois. Informé de son départ, son géniteur, tout furieux, multiplie les actions afin de la retrouver. Après une «enquête» minutieusement menée, il trouve la cachette de sa fille et tente de la ramener de force chez son «vieux prétendant». Face à son refus catégorique et à l’opposition de Boubacar, papa Nébié décide de porter plainte au commissariat central de police de Léo pour enlèvement. Une enquête est immédiatement ouverte et l’affaire portée devant le Tribunal de grande instance (TGI) de Léo. Après investigation, le tribunal décide de confier la jeune fille à une famille d’accueil à Léo. C’est ainsi que Sali atterrit chez Rosalie Bakouan, une catéchiste qui a accepté, de façon bénévole, la prendre en charge. «Depuis maintenant huit mois, je vis dans cette famille où je suis bien intégrée.

Je mange bien, je dors bien et on m’a même inscrite à une école de couture pour me permettre d’apprendre un métier et je me sens épanouie», raconte-t-elle, tout sourire. Des statistiques «alarmantes» Le cas de Salimata Nébié n’est pas isolé au Burkina Faso. En effet, selon un rapport du Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF), 52% des filles au pays des Hommes intègres sont mariées avant l’âge de 18 ans et 10% avant 15 ans. La province de la Sissili n’échappe pas à cette situation avec toutefois des taux en-dessous de la moyenne nationale. Selon les statistiques de la direction provinciale de l’Action sociale, 28 cas de mariages précoces ont été enregistrés dans la localité en 2015, 27 en 2016, 21 en 2017 et 26 en 2018. Face à ces chiffres, les services sociaux multiplient les actions afin de mettre fin à cette pratique aux conséquences néfastes pour les victimes.

«Nous organisons des séances de sensibilisation dans les villages et les secteurs de la ville de Léo afin de faire comprendre aux parents l’importance de laisser leurs filles aller à l’école et ne pas les marier avant l’âge légal», a indiqué Erick Somda, directeur provincial de l’Action sociale. En plus de ces actions, il a noté que sa structure intervient en aval à travers la prise en charge des victimes. «La plupart du temps, les victimes se présentent à nous sans rien, parce qu’ayant fui le domicile familial. Dans ces conditions, et en tant que structure sociale, nous sommes obligés de leur trouver une famille d’accueil pour faciliter leur réinsertion sociale», a-t-il souligné. Les efforts de la direction provinciale sont soutenus par les responsables coutumiers de la localité qui, après avoir été sensibilisés à la cause, sont devenus des porte-voix de la lutte. Organisés au sein de leur association, ils procèdent également à des sensibilisations dans leurs localités respectives.

«La femme est la mère de l’humanité, et si on n’y prend point garde, ça sera la catastrophe. Les gens pensent que c’est en donnant la petite fille en mariage très jeune qu’ils vont générer des revenus, mais il faut que l’on mette fin à cela; parce que cela a des conséquences négatives sur la santé des victimes et sur le développement de notre pays», a estimé Lopio, chef coutumier à Léo. Renforcer la sensibilisation Les élus locaux ne sont pas en marge de la lutte contre le mariage d’enfants dans la Sissili. «A leur niveau, ils mènent également le combat pour l’élimination de la pratique dans la cité des ignames», nous a appris le maire de la commune Abdoul Manane Nébié. «Nous nous investissons dans l’éducation des jeunes filles elles-mêmes; car le combat contre le phénomène ne peut être gagné sans le concours des principales concernées. Nous les encourageons à porter plainte à la police si toutefois on essayait de les marier de force», a fait savoir le bourgmestre. Et parlant de dénonciation, le commissaire central de police de la ville de Léo, Boureima Ouédraogo, dit avoir déjà enregistré neuf cas pour le compte de l’année 2019.

Ce qui, à son avis, est insignifiant par rapport au nombre réel de cas vécus dans la localité. «Les victimes ont peur de venir porter plainte à la police surtout que la plupart du temps, les principaux mis en cause sont les parents. Pourtant, sans ce premier pas de leur part, il est très difficile pour nous de les aider puisque nous ne sommes pas informés», a soutenu le commissaire. Pour lui, comme pour l’ensemble des acteurs de la lutte, l’accent doit être davantage mis sur la formation et la sensibilisation afin d’inculquer à la population la culture de la dénonciation. C’est dans ce sens qu’ils ont apprécié positivement l’initiative de la campagne «Ne m’appelez pas madame» porté par le Fonds des Nations unies pour l’enfance qui vise à intensifier les actions pour une élimination totale du phénomène au Burkina Faso. «Nous, acteurs locaux, nous faisons notre possible pour venir à bout du phénomène mais nous sommes limités par le manque de moyens. Nous félicitons donc les organismes internationaux notamment l’UNICEF qui nous appuie dans ce combat. Nous sommes convaincus qu’ensemble, main dans la main, nous allons construire un Burkina Faso sans mariage d’enfants», a affirmé le maire.

Nadège YAMEOGO

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