Notre école ne fait plus école

Quand nous étions élèves, l’école était une institution avec des règles de conduite. Et la première règle d’une école digne de ce nom était la discipline. On ne badinait pas avec la discipline, parce que la discipline ne se marchandait pas. Nul ne pouvait s’en départir et la repartie de l’insolence était le fouet, les piloris et le supplice des « genoux sur cailloux ».

Parfois l’institutrice inspirée tirait les oreilles du cancre bleu, avant de les percer avec ses ongles de tigresse. Quand nous étions élèves, l’école n’était pas un enclos de troupeaux bigarrés aux comportements égarés. Il n’y avait pas de « syndrome de Nagaré ». Bien sûr, les nullards et les tocards étaient renvoyés sans brassard. Les impolis et autres colis encombrants étaient traités comme des déchets toxiques.

Ils étaient vite éjectés du système comme on éjecte le pue de la gangrène ; comme on éjecte le vers du fruit. Quand j’étais élève, le maître était craint, parce qu’il avait du cran et de l’autorité. On ne regardait pas un maître dans les yeux. On ne ripostait pas au coup du maître, aussi cruel fût-il. Parce que l’apprentissage passait par la douleur et la douleur ne faisait pas mal aux Droits de l’homme. Elle était la sanction de l’échec.

Quand nous étions élèves, nous lavions à tour de rôle les toilettes nauséabondes ; nous balayions la cour de l’école à tour de rôle ; nous plantions et arrosions les arbres. Nous montions le drapeau à tour de rôle et chacun était pressé de se mettre au pied du grand mât pour entonner l’hymne national. Ah, le drapeau, symbole de la patrie était plus qu’un morceau de tissu multicolore.

Il était la raison d’être de tous et de chacun. Parce qu’on pouvait laisser sa peau pour ce drapeau. On pouvait faire la peau à l’ennemi pour ce drapeau. Le drapeau pouvait immobiliser un passant, aussi pressé fût-il. Même les morts intimaient à leur cortège de faire allégeance au drapeau, avant de poursuivre leur ultime voyage. C’était un héritage, c’était une tradition, c’était une contrainte acceptée et partagée.

Aujourd’hui, nos enfants vont à l’école comme des bœufs à l’abattoir. Ils vont à l’école pour réussir dans la vie et échouer dans la société. Un élève peut apprendre l’histoire du Burkina Faso et sortir descendre le drapeau national et le déchirer en lambeaux, comme un torchon. Et il n’y a rien ! Un élève peut insulter, menacer son enseignant et le pourchasser comme un rat, jusqu’à son dernier retranchement. Et il n’y a rien !

Il peut même dire son amertume à la télévision nationale avec des termes qui défient l’autorité et le bon sens. Pour un oui ou pour un non, un groupuscule d’élèves peut tenir tête à leurs enseignants et à l’administration et faire fermer toute une école pendant des mois. Et il n’y a rien ! Pendant ce temps, les institutions en charge de l’éducation de la République fonctionnent bien. L’orthodoxie tant clamée dans les politiques sonne faux.

La rigueur des premiers acteurs ne vaut même pas la raideur d’un flexible. Dans les discours, on joue à l’autruche, on maquille la plaie. Pourtant, ça pue. L’école publique est devenue un marché de bétail. On n’y forme plus les hommes de demain. On y cultive les pourritures du futur. Le droit des enfants n’est pas un droit plaisantin, mais certains passages sont un peu trop taquins et enfantins.

Ce baratin qui déifie nos diablotins sur l’autel de la bêtise est devenu la hantise du « monde civilisé ». Et le monde civilisé, c’est celui dans lequel l’enfant peut tutoyer son père avant de lui claquer la porte au nom de sa puberté. Le monde civilisé, c’est celui dans lequel l’enfant peut menacer sa mère en citant l’alinéa de la liberté, au nom de ses dix-huit ans. Aujourd’hui, l’école est devenue un bazar de tares.

Notre retard est en fermentation à l’école. Les prémices de nos échecs futurs sont à l’école. Nos élèves sont devenus des enfants de cœur de paroisses politiques. Un élève peut donner un ultimatum à son enseignant et marcher sur les pieds du conseil de discipline. A qui la faute ? La faute nous incombe tous. La faute est à la démocratie et à tous ces concepts qui font de l’enfant un bien privé doté de droits maladroits.

La faute est à l’enseignant qui donne le cours en faisant la cour à la coquine morveuse de la première table. La faute est au professeur qui trinque à la table de la lanterne rouge de la classe et est prêt à sacrifier cinq points pour labourer le bas-fond de la pucelle en dentelle. La faute est aux parents insouciants qui n’ont aucun plan pour leurs enfants. La faute est aux dirigeants qui manquent de fermeté pour valider leur autorité.

Notre école est une vaste cour de récréation. Il faut un carillonneur pour sonner la fin de la pagaille. Sinon demain, nous serons dirigés par d’impénitents voyous diplômés sans aucune fibre patriotique. Parce qu’ils n’ont jamais été programmés pour être des responsables. La problématique de notre école pose une réelle colle. Malgré le pactole des années folles, nous sommes toujours dans la camisole. On rafistole, on copie et on colle mal. On décolle comme on bricole. Sans user de bémol, notre école ne fait plus école.

Clément ZONGO

clmentzongo@yahoo.fr

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