L’entrepreneuriat, aime-t-on à le dire, a un visage plus masculin au Burkina Faso. Mais de plus en plus, la gent féminine y réclame sa place. Zoom sur quelques entrepreneures « juniors » qui tirent leur épingle du jeu à Bobo-Dioulasso dans les Hauts-Bassins et à Banfora dans la région des Cascades.
Dans la ferme« Mogoya », au secteur 15 de la ville de Banfora, région des Cascades, entre les gloussements et les roucoulements, les poulets et les pigeons commencent
à donner de la voix en cette mi-journée du 1er novembre 2023. La fraicheur matinale est en train de céder progressivement sa place à la chaleur. Le soleil commence à prendre de la
hauteur dans le ciel. La basse-cour réclame son premier repas de la journée. C’est dans cet
environnement que Salimata Cissé, la promotrice de cette ferme avicole installée sur une parcelle d’habitation nous reçoit.
« Mogoya », explique-t-elle, est une jeune entreprise formalisée qui a vu le jour
en 2021. La ferme se compose de plusieurs infrastructures dont deux bâtiments, un couvoir, un magasin, un enclos et une cuisine réalisés entre 2020 et 2023. La ferme de Mme Cissé est spécialisée dans l’élevage de poulets locaux, de poulets locaux améliorés, de poulets de chair et par moments, de lapins et de moutons. Sa ferme de deux ans à peine peut contenir 1 500 à 2 000 têtes de volaille par bande.
Dans l’année, « Mogoya » produit 3 à 4 bandes. En plus de son conjoint, la chefe d’entreprise emploie en permanence deux personnes et accueille souvent des stagiaires. Dame Cissé forme aussi des personnes qui s’intéressent à l’élevage et offre ses services d’entretien à d’autres fermes. « J’ai fait une formation d’agent technique d’élevage. Cette année, je compte poursuivre ma formation comme technicienne supérieure d’élevage », ajoute la patronne de la ferme.
Aller de ses propres économies
Titulaire d’une licence en communication, la jeune cheffe d’entreprise de 27 ans a exercé dans quelques médias privés de la place avant de virer dans l’entrepreneuriat. Salimata Cissé est convaincue que la communication peut se mettre au service de l’entrepreneuriat. En ce qui concerne les concours de la Fonction publique, elle ne semble plus intéressée.
« Les concours, j’en ai fait par deux fois. La première, j’étais sur la liste d’attente », relate-t-elle. Comment cette jeune dame a pu poser les fondations de son entreprise ? Son récit laisse croire qu’elle y est allée de ses propres économies. En efet, dans le cadre du Programme national de volontariat burkinabè, elle bénéficie en 2019 d’un contrat pour séjourner dans quelques médias en France.
Elle y passe 16 mois avant de rentrer au pays en juillet 2020. Les avantages de ce séjour lui seront d’un appui important pour lancer son entreprise. « Je n’ai ni payé mon visa ni mon billet d’avion. Je ne payais pas le loyer non plus et je recevais un pécule », raconte-t-elle. En plus des économies qu’elle a faites à partir des allocations perçues, le programme lui a permis de défendre un projet de vie à hauteur de 3 millions F CFA.
Les fonds de création de la ferme, à l’en croire, sont sortis de ses économies. D’un chifre d’afaires annuel de 3,5 millions F CFA au départ, « Mogoya » peut prétendre à ce jour, à un chifre d’affaires de 12 à 13 millions F CFA, selon sa patronne. Se basant sur sa jeune expérience, Salimata Cissé estime que le secret pour réussir dans l’entrepreneuriat en général et dans l’élevage en particulier est d’aimer l’activité, s’investir et investir.
« En entrepreneuriat, le plus gros échec, c’est de n’avoir pas essayé. Il faut oser et croire en soit », encourage-t-elle. A l’écouter, l’élevage présente de nombreuses contraintes, surtout pour une nouvelle venue comme elle. Les risques, dit-elle, limitent même ses ambitions de contracter un prêt bancaire pour renforcer son activité. Les microfinances et les services d’assurances, révèle-t-elle, se méfient des fermes d’élevage.
« Les questions de garanties se posent dans l’élevage. Vous pouvez vous réveillez et trouver une basse-cour inerte », explique dame Cissé. Elle en veut pour preuve, plus de 1 700 poulets qu’elle a perdus à cause d’une peste aviaire. « Nous n’avions que nos yeux pour pleurer », serappelle-t-elle.
Etre financièrement indépendante
Etudiante en Master 2 de « nutrition humaine et diététique», Fatoumata
Konaté est propriétaire d’une micro-entreprise du nom de « KF industries et services », (Ndlr : initiaux de son nom), à Banfora. Créée en 2018, « KF industries et services » a été formalisée en 2021 et évolue dans l’agroalimentaire, notamment dans la filière arachide.
On y transforme principalement l’arachide en pâte, en poudre, en huile, en tourteaux. L’entreprise, selon sa première responsable, est née de la volonté de transformer et valoriser les produits locaux, mais surtout de disponibiliser ces produits
en quantité sufsante et en qualité. « En tant que biologiste de formation, c’est
pour moi une occasion d’apporter ma touche dans l’épanouissement de la population », indiquet-elle.
Outre cela, elle fait savoir que son engagement dans l’entrepreneuriat s’est
fait dans le but d’être financièrement indépendante. Sans dévoiler son chifre d’afaires, Fatoumata Konaté se réjouit néanmoins de tirer son épingle du jeu. « Au début, j’ai commencé avec 10 boites de graines d’arachides (15 kg environ). Actuellement, je peux aller jusqu’à 100 kg de graines par production », confie-t-elle. L’étudiante de 25 ans a lancé son entreprise avec ses économies personnelles et a bénéficié d’une subvention d’une Organisation non gouvernementale (ONG) et d’un prêt du Fonds d’appui aux initiatives des jeunes (FAIJ).
Pour elle, l’entrepreneuriat est une question de volonté et d’engagement. Quand on
veut entreprendre, conseille-t-elle, il faut se donner tous les moyens de le faire, tout d’abord en faisant bien le choix du domaine et en se formant. « Je me suis formée en marketing, en développement personnel, en gestion financière, en management d’équipe », témoigne la jeune chefe d’entreprise. L’ambition de « KF industries et services », dit-elle, est d’être la première structure certifiée qualité dans la transformation agricole, notamment dans la filière arachide.
Que les gouvernants appuient les jeunes entreprises
A court terme, la fondatrice de « KF industries et services » souhaite moderniser son entreprise qui ne dispose que d’une unité semi-artisanale. D’où son souhait que les gouvernants appuient les jeunes entreprises. Pour elle, cet appui peut se manifester, non seulement à travers l’accroissement des structures de financement, mais également des montants octroyés. « Quand on présente par exemple, un projet de 10 millions F CFA et ce n’est que d’un million qu’on bénéficie, c’est insignifiant », regrette-t-elle.
Une autre difculté et non des moindres pour la jeune Konaté, c’est le problème de collaboration avec les alimentations de la place. « La plupart des alimentations ne nous accordent pas de la place pour nos produits, alors qu’il y a beaucoup de produits qui
viennent d’ailleurs et qui sont acceptés », se désolet-elle. Comme alternative,
Fatoumata Konaté pense que l’Etat peut aider les jeunes entreprises à faire la promotion de leurs produits. « Pourquoi, ne pas mettre en place des boutiques du terroir pour permettre aux jeunes entreprises qui ont des produits de qualité de les exposer ? », demande la jeune dame.
Elle appelle également les alimentations et supermarchés à encourager la
production et la consommation locales, en réservant, ne serait-ce qu’un rayon pour les produits des jeunes entreprises locales. « Les grandes marques aussi qui viennent de l’extérieur ont commencé comme nous », justifiet-elle.
La garantie, une contrainte
Communicatrice de formation, Kadidia Bélem évolue aussi dans l’agroalimentaire. Elle est promotrice de l’entreprise « Le Panier d’or » formalisé depuis 2020 et qui excelle
dans le conditionnement et la livraison de légumes et fruits frais et naturels. Son but, en créant cette entreprise, est de permettre aux femmes et aux restaurateurs des complexes hôteliers, de passer moins de temps en cuisine.
De 2018 jusqu’à ce jour, « Le Panier d’or » poursuit son petit bonhomme de
chemin. De la livraison de légumes frais, elle est passée à celle des légumes frais découpés prêts à l’emploi. On y trouve de la macédoine de légumes surgelés, des frites surgelées et bien d’autres.A cela, s’ajoute la flèche de service traiteur que l’entreprise a à son carquois.
Kadidia Bélem a également démarré son entreprise avec ses petites économies.
Aujourd’hui, c’est avec fierté qu’elle confie que son entreprise nourrit son homme. Elle a à sa charge quatre employés et son chifre d’afaires mensuel est compris entre 1 et 2 millions F CFA. Néanmoins, cette entreprise qui se réclame pionnière dans la préparation de la macédoine de légumes au Burkina Faso rencontre des difcultés non seulement dans la promotion des produits, mais aussi dans la disponibilité des matières premières.
« Nous avons approché quelques alimentations, mais elles ne disposent pas de place pour nos produits », regrette-t-elle. Elle souhaite par ailleurs que l’accès aux prêts soit facilité pour les jeunes entreprises. « En tant que jeune structure, nous voulons faire de grandes choses, mais nous ne pouvons pas bénéficier de prêts parce qu’on nous exige des garanties dont nous ne disposons pas », témoigne-t-elle.
Tégawendé Liliane Claire Zoma évolue dans le domaine de l’art. Elle a
commencé à se frotter à l’entrepreneuriat depuis 2019. Venue de Koudougou après l’obtention de son baccalauréat pour poursuivre ses études, l’étudiante en informatique (Ndlr : titulaire d’une licence en informatique, option réseau et système) sera mordue par le virus de l’art dès ses débuts à l’université. Elle créera la marque « Bobo-créa », une entreprise formelle en 2021. Son magasin qui lui sert également d’atelier et de siège est situé au secteur 21 de Bobo-Dioulasso.
Perles et cauris en main, elle est à la tâche dans la confection d’un bonnet perlé. « Bobo créa » est spécialisée dans la personnalisation et le design des accessoires et objets de mode en pagne. « Bobo-créa » confectionne et commercialise également des tenues vestimentaires à base de pagnes traditionnels tels que le « Koko dunda », le « Bogolan » et le « Faso Danfani ».
Le domaine de l’entrepreneuriat n’est pas facile, reconnait-elle. Elle se remémore de sa première sortie hors du pays pour prendre part à une exposition. N’ayant pas fait d’études de marché avant d’y aller, elle subira une « grosse » perte. Qu’à cela ne tienne, cette aventure lui a servi d’expérience. D’où son plaidoyer à l’endroit de l’Etat afin qu’il multiplie les foires et expositions artisanales au niveau national et qu’il allège les conditions d’accès aux marchés publics.
Plus mobilisées que les hommes
L’Etat, à travers les services centraux et décentralisés du ministère en charge de la jeunesse soutient la promotion de l’entrepreneuriat des jeunes. Dans les directions régionales en charge de la jeunesse des Cascades et des Hauts-Bassins, un service technique est chargé de leur entrepreneuriat et leur autonomisation. Pour la
région des Cascades, Abdoulaye Zouré est le responsable de ce service.
« Le service de l’entrepreneuriat des jeunes a pour vocation d’accompagner la
jeunesse dans ses décisions de création ou de gestion d’entreprises, du montage du projet jusqu’à la mise en place de l’entreprise en passant par la recherche de financement », explique-t-il. A en croire M. Zouré, en matière de promotion de l’entrepreneuriat, il n’y a pas de ségrégation de genre.
« Nous faisons l’effort pour qu’il n’y ait pas de discriminations qui puissent empêcher la femme departiciper », afrme-t-il. Et de rassurer que l’engouement des jeunes pour l’entrepreneuriat dans la région se constate plus chez les femmes que chez les hommes. « Que ce soit au niveau des formations, du suivi sur le terrain ou même des demandes de financement, les filles sont plus mobilisées », témoigne M. Zouré.
Plusieurs facteurs, poursuit-il, expliquent la mortalité des entreprises et le
non-aboutissement des projets des jeunes. Le problème, selon son constat, est
non seulement lié au manque de formation des jeunes avant leur engagement, mais aussi aux institutions de financementet d’accompagnement qui n’arrivent pas à octroyer la somme exacte demandée par les jeunes.
Il propose alors qu’il soit mis en place un dispositif pour s’assurer que ces jeunes sont bien formés et un autre pour éviter les déperditions des fonds alloués au projet. « Il faut baliser le terrain de telle sorte que les fonds servent à ceux à quoi ils ont été décaissés », propose-t-il. Un autre mal, fait-il remarquer, est que les jeunes ne vont pas vers les secteurs à fortes potentialités.
Dans les Hauts-Bassins, le même engouement des jeunes filles pour l’entrepreneuriat se constate, foi de Yaya Kafando, chef du service entrepreneuriat et autonomisation des jeunes à la direction régionale en charge de la jeunesse. « En 2023, nous avons dépassé l’objectif de la direction qui est de former 200 jeunes en entrepreneuriat et sensibiliser 350. La plupart sont des filles », témoigne-t-il. Seulement,mentionne M. Kafando, l’informelle prédomine.
D’où l’autre défi de la direction, amener les jeunes engagés dans l’entrepreneuriat à se formaliser en les orientant vers les structures comme le Centre de formalités des entreprises (CEFORE).
Alpha Sékou BARRY
alphasekoubarry@gmail.com
Le fonds « Faso Kuna Wili » pour plus d’efcacité
Le gouvernement burkinabè a décidé d’une profonde réforme dans le financement des
projets des jeunes et des femmes. C’est ainsi que le Conseil des ministres du 18 octobre
2023 a acté la création d’un fonds appelé « Faso Kuna Wili ». Ce fonds absorbe désormais
3 anciens fonds de financement du ministère en charge de la jeunesse, que sont le Fonds
d’appui au secteur informel (FASI), le Fonds d’appui aux initiatives des jeunes (FAIJ) et
le Fonds d’appui à la promotion de l’emploi (FAPE).
Il vise à ofrir plus d’opportunités de création d’emplois aux jeunes, aux femmes et aux acteurs de l’informel. L’ambition du gouvernement, selon le ministre en charge de la jeunesse, Boubakar Savadogo, est de pouvoir lever 25 milliards F CFA pendant les 5 prochaines années au profit des promoteurs d’entreprises. Egalement, le nouveau fonds est censé pallier les insufsances et failles des anciens pour plus d’efcacités. Ces insufsances, selon le ministre, ont occasionné actuellement un crédit de 22 milliards en soufrance à
recouvrer.
A.S.B