Secteur agricole au Burkina : la « Houe Manga », un outil « miracle »

 

Le père Régis Chaix : « Nous avons utilisé tous les moyens de diffusion à notre disposition pour divulguer la Houe manga ».

En cette saison hivernale, Alassane Bouda, âgé de 58 ans et natif de Manga, chef-lieu de la province du Zoundwéogo (région du Centre-Sud), est occupé par les travaux champêtres. L’homme s’y active avec ardeur afin de ne pas rater les premières pluies bienfaisantes, annonciatrices de ce début de saison hivernale. Chaque matin, aux premiers chants des coqs, la famille Bouda est ainsi déjà sur pieds. Pendant que les femmes préparent le petit déjeuner, M. Bouda, ses fils et petits-fils prennent le chemin des champs. Une fois arrivés, chacun s’attelle à une tâche précise. Le quinquagénaire, lui, joue le rôle de superviseur. Passionné de l’agriculture dès sa tendre enfance, le vieux Bouda, la barbe blanche soigneusement coiffée et vêtu d’un long boubou blanc en cette journée de vendredi se souvient encore des années 1970 qui l’ont vu utiliser, avec abnégation, une simple daba pour tirer sa pitance quotidienne. « C’était le beau temps et la nature était généreuse. Avec un lopin de terre, il était possible de nourrir une famille d’au moins dix personnes » se remémore-t-il. Ce temps est révolu aujourd’hui, affirme le chef de famille.

Car, explique-t-il, ceux qui cultivent « à l’ancienne » ne gagnent pratiquement plus rien. Pour garantir une autosuffisance alimentaire à ses 4 épouses et ses 16 enfants, le polygame a dû se rendre à l’évidence. C’est-à-dire, abandonner les moyens rudimentaires telles la daba et la pioche et se tourner vers une agriculture mécanisée. Intégrer la charrue à traction animale et particulièrement la Houe Manga s’est donc avéré une nécessité pour le vieil homme. Son amour pour cet outil de production remonte en 1984. Cette année 2021, la famille Bouda exploite environ 50 hectares (ha) pour la culture de l’arachide, 5 ha pour le coton, 3 ha de sorgho rouge, 2 ha de maïs, 1 ha de riz et du sésame. « Ce serait difficile voire utopique pour nous d’exploiter toutes ces superficies à la main. Imaginez-vous le nombre d’employés et le coût que je devrais mobiliser pour labourer tous ces champs?» se demande le chef de ménage tout en soulignant que les charrues constituent une véritable bouffée d’oxygène physique, mais surtout économique. « Les produits de rente peuvent atteindre trois millions F CFA par an grâce à la charrue », confie-t-il avec fierté.

Un soulagement pour les agriculteurs

Comme la famille Bouda, la houe qui porte le nom de la localité « Manga », a été adoptée par plusieurs acteurs du monde rural de la province du Zoundwoégo. Selon le conseiller d’agriculture à la retraite, Sana Pascal Ouédraogo, la Houe Manga est un matériel aratoire qui permet d’alléger la pénibilité du travail de la terre. Aujourd’hui, témoigne l’ancien directeur provincial en charge de l’agriculture, l’outil a fait ses preuves dans la localité. « Si vous sillonnez les champs, vous ne verrez que des buttes alignées.

L’enseignant à la retraite, Gérard Yerbanga : « Ceux qui utilisaient la Houe Manga étaient taxés de paresseux ».

C’est-à-dire que même les familles qui ne disposent pas de ce matériel, cultivent en ligne dans l’espoir de se faire assister par leur parent. Le moins nanti du village dispose forcément d’un animal comme l’âne et il peut solliciter le matériel du voisin pour labourer son champ. Tout le travail est donc semi-mécanisé dans notre région », atteste-t-il. Gérard Yerbanga, septuagénaire et enseignant à la retraite, s’est reconverti, depuis lors, dans les activités agro-sylvo- pastorales. A l’écouter, la Houe Manga a « fait son temps ». Elle a parcouru le Burkina Faso et a énormément aidé au développement du pays. « Lorsque je partais à la retraite, la direction régionale de l’enseignement m’a offert comme cadeau de souvenir une houe complète. Mes collègues étaient convaincus qu’elle me servira. C’est pour vous montrer à quel point l’outil s’est propagé », assure-t-il. Avec le changement climatique, il sera difficile, estime M. Yerbanga, de développer l’agriculture d’un pays. Pour ce faire, il encourage d’autres bonnes volontés à emboîter le pas du concepteur de la Houe Manga. A l’entendre, l’outil a été introduit dans la région par le Curé de la paroisse de Manga, le Révérend père Régis Chaix. L’homme de Dieu, se souvient de celui qui fréquentait l’église de Manga à l’époque, trouvant que la daba utilisée était très archaïque, a alors apporté un outil de France.

« Taxés de paresseux »

« L’instrument a été introduit avant les indépendances en 1960 avec les catéchistes. Au début, les gens en riaient. Car, c’était la femme qui tirait l’âne et le catéchiste tenait le manche de la houe. Ils étaient taxés de paresseux. Parce qu’ils ne veulent pas se courber pour se faire mal au dos », raconte-t-il, un brin souriant. L’appétit venant en mangeant, poursuit M. Yerbanga, les populations ont réalisé que les catéchistes produisaient plus à l’aide de la houe et se fatiguaient moins. Elles ont alors commencé à s’y intéresser. Au début, renchérit le chef de Timtinga, Joseph Zoungrana, un village situé à quelques trois Km de Manga, les agriculteurs étaient réticents, mais le père avait expliqué que si un espace était laissé entre les semences, la récolte serait bonne. « Ceux qui étaient les premiers à l’expérimenter ont réellement vu leurs récoltes s’améliorer. Au fil du temps tout le monde s’est attaché à la Houe Manga », témoigne le sage de Timtinga. A l’époque un organisme spécial (dont il a oublié le nom, ndlr) était chargé de la vulgarisation de l’outil, ajoute l’enseignant à la retraite. Des sommes d’argent, poursuit-il, étaient alors offertes aux paysans pour se procurer des ânes et des houes qui étaient presque subventionnées. « Nous étions au collège en 1960 et ceux qui n’ont pas eu les mêmes chances que nous, étaient réquisitionnés dans les villages comme animateurs pour apprendre aux cultivateurs comment travailler avec la Houe Manga. C’est ainsi que l’instrument a pris son envol au niveau de la région », explique l’agriculteur.

Le « projet 100 000 charrues »

Alassane Compaoré s’est spécialisé dans la fabrication de la Houe-Manga.

Selon le chef de Timtinga, les forgerons ont vite adopté le projet du père Chaix. Une famille de forgerons aidait son équipe dans la fabrication des outils de labour. Lassané Compaoré, âgé de 57 ans, a hérité, tout jeune, des travaux de la forge de ses parents. Entre 1990 et 1991, il a bénéficié d’une formation de perfectionnement à Ouagadougou avant de s’installer à Manga à son propre compte. Il propose aujourd’hui à sa clientèle plusieurs produits tels que les tables-bancs, la Houe Manga et d’autres types de houes tels que les CH6 et CH9. A son avis, la fabrication de ces instruments n’a plus de secret pour lui. « Cela fait plus de 40 ans que j’exerce ce métier.

Même si l’on me réveille, je suis en mesure de fabriquer la Houe Manga en un temps record », affirme-t-il, l’air jovial. Pour M. Compaoré, la fabrication de la Houe manga se fait en une journée et coûte plus de 80 000 FCFA. Le conseiller d’agriculture, Pascal Ouédraogo précise que l’outil subventionné est vendu par l’Etat à 7 500 FCFA aux femmes qui sont pour la plupart vulnérables financièrement et à 11 250 FCFA aux hommes. A ce propos, le forgeron Compaoré confie qu’une bonne partie de ses commandes provient de la Chambre des métiers à travers le « Projet 100 000 charrues ». Cette démarche est saluée par l’ancien directeur provincial en charge de l’agriculture. A l’écouter, l’enjeu majeur pour les agricultures familiales au cours des prochaines décennies est l’équipement des exploitations tels que les houes, les charrues et les tracteurs en vue de satisfaire les besoins croissants de production, de conservation et de transformation des produits agricoles nécessaires à la sécurité alimentaire d’une population en croissance, tout en assurant la préservation du milieu naturel. De ce fait, M. Ouédraogo encourage le ministère de l’Agriculture, des Aménagements hydro-agricoles et de la Mécanisation à poursuivre ses efforts de modernisation du secteur agricole.

Abdoulaye BALBONE

Laisser un commentaire