Soudan : le retour des vieux démons

Après le massacre, du lundi 3 juin à Khartoum (Soudan), qui a fait au moins 35 morts et 650 blessés, les propos du chef du Conseil militaire de transition (CMT), Abdel Fatah al-Burhan, sont des plus cyniques. Il a dit regretter que le nettoyage de Nile Street, l’endroit où trois fusillades ont éclaté la semaine dernière, ait excédé les limites de ce qui était prévu. Comme si, donc, attaquer les manifestants pendant le sit-in n’était pas l’objectif de départ, alors que tous les témoignages concourent à prouver le contraire. Hier mardi 4 juin, le Conseil militaire de transition a annoncé l’annulation de tous les accords signés avec les manifestants civils. Le chef du CMT a également annoncé des élections nationales et régionales dans neuf mois. C’est dire que désormais, les règles du jeu ont changé et les putschistes sont les seuls maîtres du navire soudanais. En effet, le chef de la junte soudanaise a unilatéralement prononcé l’arrêt des négociations avec les civils, estimant que la seule façon de rétablir l’ordre était de tenir des élections.

A cela, s’ajoute la formation d’un gouvernement dont les ministres auront la triple mission d’arrêter tous les membres de l’ancien régime d’Omar el-Béchir impliqués dans la corruption et les crimes, d’apporter la paix dans les régions en conflit et de préparer un environnement propice à des élections transparentes.

Même si Abdel Fatah al-Burhan s’est engagé à céder le pouvoir à « ceux qui seront choisis par le peuple » et a annoncé l’ouverture d’une enquête par le procureur sur le massacre, il est évident que les dérives autocratiques refont surface après la chute du président Omar el-Béchir. A cette allure, les craintes de la communauté internationale de voir s’instaurer une situation similaire à celle de l’Egypte avec le général Abdel Fattah al-Sissi, vont progressivement se confirmer. Et pour cause, l’armée est certes indispensable dans la bonne conduite de la transition soudanaise jusqu’aux prochaines élections, mais affirmer une telle présence musclée et un accaparement total du pouvoir, il est évident que cela cache des intentions afin d’avoir une main mise sur l’organisation des élections et au-delà, la gestion ultérieure du pouvoir.

Il sied donc, qu’à coup de pression, l’Union africaine (UA) et la communauté internationale (ONU) ramènent l’armée à la table de discussion avec les partis politiques, la société civile et l’ensemble des composantes de société soudanaise pour un transfert rapide de la gestion de la Transition aux civils.

Ce qui permettra de déboucher sur l’organisation d’élections transparentes et impartiales. Sinon, avec les contestations et répressions, il faut craindre le retour des vieux démons de la violence militaire de l’ère el-Béchir. Si le peuple soudanais a lutté au prix de sa vie pour « chasser » l’homme fort de Khartoum du pouvoir, ce n’est évidemment pas pour renouer avec un autre régime sanguinaire. Il faut par conséquent sauver les Soudanais des griffes de la junte militaire qui n’a pourtant rien fait pour aider à chasser du pouvoir Omar el-Béchir.

La communauté internationale doit donc taper du poing sur la table afin de contraindre l’armée à renouer au plus vite, le fil des négociations en vue
de la formation d’un gouvernement consensuel de la transition. C’est à ce seul prix que la situation pourra se normaliser au risque de voir s’instaurer un cycle infernal de violences qui plongera davantage le pays dans ses ères sombres.

Jean-Marie TOE

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