Depuis 2019, des Personnes déplacées internes (PDI), ayant quitté différentes localités du Burkina Faso, ont trouvé refuge dans le quartier non loti de Pazani au secteur 38 dans l’arrondissement 9 de Ouagadougou, la capitale. Durant tout ce temps, elles vivent dans cette zone sans embrouilles grâce à la cohésion sociale et la cohabitation pacifique entretenues par ces dernières et les populations hôtes. Reportage avec ces personnes qui ont certes tout perdu dans leur fuite, mais qui vivent en paix dans leur zone d’accueil.
Habibou Sawadogo est une femme déplacée interne dans la zone non lotie de Pazani, un quartier au secteur 38 de l’arrondissement 9 de Ouagadougou, la capitale. La trentaine révolue et mère de quatre enfants en provenance de Djibo (région du Sahel), elle vit dans une cour qui lui a été offerte gracieusement par un autochtone de la localité, El hadj Moumouni Sawadogo. Ce lundi 12 mai 2025, en l’absence de son mari, parti au travail, nous la trouvons en compagnie d’autres femmes déplacées internes, avec leurs métiers à tisser, sous un hangar à proximité de sa maison d’habitation.
C’est une construction en matériaux définitifs et bien clôturée mais sans portail, dans laquelle les ustensiles et autres objets sont déposés çà et là. « A notre arrivée en 2019, dans des conditions difficiles, nous avons d’abord été hébergés dans une école primaire, non loin de là. A la rentrée des classes, le fondateur de l’établissement nous a demandé de libérer les lieux. Que fallait-il faire ? C’est en ce moment qu’une bonne volonté autochtone nous a proposé sa maison et nous y sommes allés », raconte-t-elle, presqu’en larmes.

Comme Habibou Sawadogo qui a trouvé refuge chez El hadj Moumouni Sawadogo, elles sont nombreuses les familles déplacées internes qui ont été chaleureusement accueillies par des populations hôtes dans cette zone abritant 1 500 PDI réparties dans 275 familles de mossis, de peuls, de foulsés et de touaregs, selon le représentant des PDI de Pazani, Ali Tapsoba. Il explique que malgré ce mélange ethnique et les dures conditions de vie dans la capitale (problèmes de logement et d’emploi), la cohésion sociale et la paix règnent dans la zone depuis 2019.
« Un miracle »
« C’est vraiment un miracle pour nous, même si nous recevons des conseils pratiques de la part de structures sur la cohésion sociale et la paix. Les Personnes déplacées internes, il faut le dire, sont bien intégrées socialement à Pazani », déclare Ali Tapsoba. Il soutient que ces dernières participent aux évènements heureux (mariages, baptêmes …) et malheureux (décès) ainsi qu’aux instants de cultes avec les autochtones.
« Entre nous et les autochtones, il n’y a aucun problème. Nous nous entraidons. Car, nous nous sommes dit que la pluie nous a déjà battus et il ne faudra pas qu’en retour, nous nous battions nous-mêmes. Donc, c’est l’esprit de paix, de cohésion et d’amour du prochain qui nous anime », fait comprendre M. Tapsoba. L’imam Issiaka Sawadogo, un septuagénaire du quartier, que l’on retrouve en compagnie d’autres personnes âgées de Pazani, témoigne que les instants de prières se passent bien avec les PDI qui, souvent, dirigent ces instants. « Nous sommes ensemble ici pour louer Dieu dans la joie.
Pour nous, il n’y a pas de différence et de discrimination entre hôtes et PDI », lance-t-il dans un large sourire. Ces propos sont soutenus par dame Sawadogo qui relate que depuis

son arrivée en 2019, il n’y a pas encore eu un seul cas de conflit entre les hommes, les femmes et les enfants déplacés internes et les populations hôtes ainsi qu’entre elles-mêmes PDI.
« C’est vrai que les gens vont dire que nous sommes tenus de vivre en paix avec les autochtones en tant que PDI, mais, je vous avoue que nous sommes une même famille à Pazani et nous en sommes fiers », ajoute-t-elle.
Rakièta Tapsoba, une PDI, la trentaine également révolue et mère de six enfants, confie que lorsque les populations hôtes ont des cérémonies, elles informent les PDI pour leur participation et vice versa. « Je ne vis plus chez moi au village, il y a six ans mais, c’est le prolongement de cette vie d’antan avec les miens que je retrouve à Pazani, à des kilomètres de mon Sirgadji natal », clame-t-elle.
Quant à Habibou Sawadogo bien accueillie dans la cour de son hôte, elle fait savoir que son métier à tisser lui a été octroyé par un autochtone. Elle ajoute que la vie menée à Pazani avec les hôtes est merveilleuse parce que, dit-elle, même si un de leurs enfants n’est pas bien portant, il est vite amené au centre de santé sans aucune considération. Et pour El hadji Moumouni Sawadogo, bon samaritain et hôte pour bon nombre de PDI de Pazani, c’est une fierté d’avoir facilité l’hébergement de plusieurs d’entre elles dans des cours qu’il a construites pour la circonstance. « Certaines y sont en location et d’autres y habitent sans débourser des frais compte tenu de leur situation financière difficile », se réjouit-il d’avoir sauvé des âmes des intempéries naturelles et du clair de lune.
Le sport, un élément fédérateur
Le responsable des PDI de Pazani se réjouit du fait que les réseaux sociaux facilitent les pratiques de la cohésion sociale entre les PDI elles-mêmes et les autochtones.
« Nous avons un grand groupe WhatsApp des PDI de Pazani et des sous-groupes WhatsApp qui nous permettent d’être plus proches les uns des autres afin de diffuser et de se partager des messages de cohésion sociale », informe Ali Tapsoba.
Il brandit également le tournoi maracana appelé « Tournoi de la fraternité » qui met au prise chaque année, les jeunes déplacés internes et autochtones de Pazani. « Le nombre d’équipes pour cette compétition varie entre 24 et 32. Mais, cette année, nous comptons encore organiser ce tournoi qui, d’habitude, récompense toutes les équipes inscrites afin de magnifier la paix et la collaboration entre les enfants déplacés internes et autochtones », indique le responsable des PDI de Pazani.

« mon association conseille les PDI sur la cohésion sociale et le vivre-ensemble ».
La Présidente de la délégation spéciale (PDS) de l’arrondissement 9 de Ouagadougou, l’administrateur civil, Joceline Traoré, affirme que de façon globale, ces PDI vivent en harmonie et en symbiose avec les populations hôtes qui les accueillent. « Cette cohabitation se fait de façon pacifique et par solidarité agissante de ces populations hôtes. Cette solidarité a toujours été voulue et incarne le Burkinabè lui-même », se réjouit-elle.
La délégation spéciale de l’arrondissement 9 de Ouagadougou enregistre plusieurs actions qui sont menées en collaboration avec ses partenaires, notamment des ONG et des associations humanitaires à l’image de l’Association initiatives communautaires pour le développement de Pazani (AIDCP). « A cet effet, nous avons organisé une journée communautaire entre les populations hôtes et les personnes déplacées internes courant 2021, par un partage de repas.
Ce sont tous des Burkinabè qui ont quitté chez eux et qui sont revenus chez eux également. Il y a eu aussi des activités sportives ayant opposé en 2022, les populations hôtes et les personnes déplacées internes. Quand on parle d’activités sportives, l’on voit déjà les aspects de cohésion sociale, de renforcement du vivre-ensemble et d’équipe », laisse entendre la PDS.
Les populations hôtes formées au métier
Mme Traoré soutient qu’à travers ces initiatives, il s’agit de célébrer la résilience, la cohabitation pacifique et le bon vivre-ensemble entre ces communautés. « Il y a aussi l’organisation d’arbres de Noël pour permettre aux enfants des personnes déplacées internes de pouvoir vivre la joie de la Noël avec tous les autres enfants et de se sentir chez eux.
Nous organisons également beaucoup d’activités de formation, de renforcement des capacités au profit de ces personnes déplacées internes », ajoute Joceline Traoré. Pour renforcer davantage les valeurs de paix et de cohésion sociale, des formations à la teinture, à la saponification, etc. sont aussi initiées par l’arrondissement au profit des populations hôtes. « Vivement que la crise sécuritaire et humanitaire prenne fin.
A l’endroit de ces personnes déplacées internes, je lance le message de réussir à garder toujours la bonne ambiance avec les populations hôtes et à préserver la solidarité qui caractérise le Burkinabè ainsi que le vivre-ensemble voulu par le chef de l’Etat »,
lance la PDS de l’arrondissement 9 de Ouagadougou. La cohésion sociale et la cohabitation

« la délégation spéciale œuvre beaucoup à la cohésion sociale entre les PDI et les populations hôtes de Pazani ».
pacifique, des valeurs fondamentales prônées depuis six ans entre PDI et populations hôtes sont renforcées par l’implication de structures associatives.
C’est le cas de l’AICDP créée depuis 2020 et qui comprend une douzaine de membres dans son bureau exécutif. Son président, Boureima Diallo, un natif du quartier, explique que l’Association a débuté ses activités officiellement en 2023. Rencontré dans son fief de Pazani, ce leader associatif indique que l’AICDP a été portée sur les fonts baptismaux pour répondre aux besoins, entre autres, de paix et de vivre-ensemble entre les PDI et les populations hôtes dont il est issu.
« Nous travaillons à renforcer la cohésion sociale dans la localité à travers des conseils et des concertations diverses en promouvant les valeurs qui guident cette cohabitation pacifique à savoir le respect mutuel et la considération », assure Boureima Diallo. Les PDI et leurs hôtes ne souhaitent qu’une seule chose : la fin de la crise pour perpétuer le vivre-ensemble et la cohésion sociale.
Boukary BONKOUNGOU
Des chiffres qui parlent d’eux-mêmes
Le Burkina Faso traverse un contexte sécuritaire et humanitaire depuis 2014. Ce contexte a occasionné notamment le déplacement de personnes de leurs localités d’origine vers d’autres localités un peu plus apaisées. C’est le cas de l’arrondissement 9 de la commune de Ouagadougou qui a enregistré en 2023 environ 10 000 PDI pour environ 1 400 ménages. Il y a aussi plusieurs actions humanitaires qui sont organisées au profit de ces PDI au niveau de l’arrondissement, notamment la distribution des vivres et des non-vivres, en attestent les distributions depuis 2021 jusqu’en 2025. Il s’agirait, pour les autorités communales de travailler au retour de ces PDI dans leurs localités respectives ou de les insérer dans le tissu économique et social national pour le développement.
B.B.
Silminaba Sigri, chef de Pazani : « Je suis vraiment comblé par leurs comportements »
« A leur arrivée à Ouagadougou, les PDI sont venues d’abord dans le quartier Pazani. Dès les premiers moments, ce sont trois vieux d’entre ces PDI qui m’ont approché pour demander l’hospitalité. Sans connaître leur nombre, je leur ai fait comprendre qu’un Naaba ne refuse jamais les gens qui veulent venir se joindre à lui sur son territoire. Sur ce, nous n’allons pas les refuser. Nous avons donc convenu qu’ils viennent s’installer. Après ces échanges, un camion de 10 tonnes est venu avec plusieurs personnes et des bagages. J’ai cherché à comprendre davantage, tellement le nombre était impressionnant. Mais, l’on m’a fait savoir que ce sont leurs représentants que j’avais auparavant reçus. J’ai dit que nous allons mettre cette situation dans les mains de Dieu car ce n’est pas facile. J’ai pris contact avec les autorités municipales qui ont pris connaissance de la situation. Ensuite, des aides sont venues de toutes parts au profit des PDI. Ce que j’ai apprécié au fil du temps, c’est qu’elles ont pris conscience de l’ampleur du problème qu’elles vivent pour magnifier la cohésion et la cohabitation. Depuis 2019, jusqu’à nos jours, ce sont des exemples en matière de vivre-ensemble dans la localité. En tant que chef, je suis vraiment comblé par leurs comportements. Vivement que cet élan perdure et soit le quotidien des PDI et populations hôtes pour le bonheur de tous ».
B.B.