Dans la région du Nord, les accoucheuses villageoises sont de plus en plus sollicitées pour assister les femmes lors de l’accouchement. En l’absence d’agents de santé du fait de la fermeture des centres de santé ou des difficultés d’accès à certaines formations sanitaires, ces bénévoles offrent la garantie aux femmes d’avoir un accouchement hygiénique à domicile. Zoom sur ces braves dames de la santé.
Dans la nuit du 16 au 17 novembre 2023, à Titao, province du Loroum, région du Nord, Mariam Ganamé est à terme et va bientôt donner la vie à un petit garçon. A 22 heures, alors que ses contractions sont de plus en plus rapprochées annonçant un accouchement imminent, le couvre-feu, en vigueur depuis 2019, empêche tout déplacement dans la ville après 21 heures.
Face à cette situation, Mariam n’a qu’une seule option : appeler « Yaaba », qui, traduit littéralement en langue mooré, signifie « grand-mère ». Risnata Kirakoya de son vrai nom, est une accoucheuse villageoise, devenue indispensable dans ces moments critiques. Une fois au domicile de Mme Ganamé, elle l’examine avec un savoir-faire dont elle seule a le secret. « L’accouchement est imminent. Ça sera dans quelques heures », informe la sage-femme de circonstance. Après 5 heures de travail et d’attente anxieuse pour les autres membres de la famille, un petit garçon pousse enfin son premier cri. « Je suis si heureuse de tenir mon enfant dans mes bras », confie Mariam toute contente. Cette joie, elle la doit surtout à « Yaaba ».
Sans rémunération, Risnata Kirakoya sauve ainsi des vies. « C’est un plaisir pour moi d’aider une femme à accoucher. Savoir que la mère et le bébé sont bien portants, c’est ma récompense. C’est ce qui me rend le plus fière », confie-t-elle, avec un air de satisfaction. Agée de 58 ans, « Yaaba » Kirakoya a fait ses premières armes de « matrone », il y a 13 ans dans son village natal Toulfé, une localité située à 25 km de Titao. Mais à cause de l’insécurité, elle a trouvé refuge au quartier Watinoma de Titao depuis 2021.
Malgré son statut de Personne déplacée interne (PDI), elle n’hésite pas à mettre son talent au service de la population du secteur. « Dès qu’on me fait appel, je viens examiner
la patiente. Automatiquement, je sais à quel moment, elle pourrait accoucher. Si l’accouchement est imminent, je la garde. Mais, si je constate que le cas est critique, j’informe les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP). A leur tour, ils informent les Forces de défense et de sécurité (FDS). Ils nous accompagnent au service de la maternité du Centre médical avec antenne chirurgicale (CMA) », explique-t-elle.
Un service gratuit
Comme Risnata Kirakoya, Lizèta Bologo donne, elle aussi, la joie de vivre aux familles du village de Kapesgo, une localité située à environ 5 km de Gourcy, province de Zondoma. Agée de 69 ans, elle est la seule accoucheuse villageoise au service de Kapesgo et d’autres villages environnants.
Elle a embrassé le métier depuis son jeune âge dans un campement de la ville de Duékoué en territoire ivoirien. « Je venais d’avoir mon premier enfant. J’étais obligée d’assister une femme en plein travail dans les années 1980. Sans le savoir, j’ai été piquée par ce virus. Depuis lors, c’est devenu mon métier », soutient-elle.
Cela fait plus de quatre décennies qu’elle est accoucheuse villageoise. En 2002, elle rentre au bercail. Depuis lors, elle aide à sauver la vie de celles qui veulent donner la vie. « Il fut un temps où on avait déconseillé aux femmes enceintes d’avoir recours à nos services. Mais aujourd’hui avec l’insécurité, nous sommes beaucoup plus sollicitées surtout en période d’hivernage. Même si je suis au champ, on peut venir m’appeler pour un accouchement. Je laisse alors mon travail pour y aller.
Il arrive parfois que j’assiste à la naissance de deux à trois bébés au cours d’une seule nuit. C’est ma joie de vivre », précise-t-elle. Dans la plupart des cas, le service fourni par Lizèta Bologo avec ses moyens de bord est gratuit. « Il arrive que le père de l’enfant me donne quelques boules de savon. C’est une manière pour lui de me remercier. Mais le fait déjà de voir une famille heureuse, me comble entièrement », confie la sexagénaire.
Formées pour des accouchements hygiéniques …
Pour l’ancien Médecin chef du district sanitaire (MCD) de Titao, par ailleurs actuel MCD de Ouahigouya, Lozé Issa Traoré, tout est parti du constat qu’en raison de la situation sécuritaire rendant parfois difficile l’accès aux soins de santé, de nombreuses femmes accouchent à domicile seules ou avec l’aide de certaines femmes âgées.
C’est ainsi qu’est venu l’appel à contribution de ces vieilles communément appelées accoucheuses villageoises dans la province du Loroum à partir de 2019 et par la suite, le Yatenga et le Zondoma. Selon M. Traoré, elles ont été mises à contribution afin d’assister les femmes enceintes dans les localités où les Centres de santé et de promotion
sociale (CSPS) fonctionnent dans la journée et sont fermés la nuit.
« Grâce à des organisations non gouvernementales comme International Rescue Committee (IRC), elles ont été formées en technique d’accouchement hygiénique et outillées en matériel de travail », précise le MCD. Leur apport a donc consisté à un renforcement de compétences pour leur permettre de réaliser des accouchements hygiéniques lorsque les formations sanitaires ne sont pas accessibles.
« Elles peuvent désormais prévenir les hémorragies du post partum par l’administration du misoprostol dans les situations où les formations sanitaires sont inaccessibles. L’hémorragie après l’accouchement est l’une des causes de décès maternel. La prévenir permet donc de réduire significativement le nombre de décès », précise le manager santé de IRC, Abdoulaye Barry.
Au total, 166 accoucheuses villageoises ont été formées et équipées en kits d’accouchement composés de gangs, de bistouris, de lames, de couches, de bandes et de savon, foi de M. Barry. Dans la répartition géographique, détaille-t-il, « nous avons recensé 40 accoucheuses » dans le district sanitaire de Titao (reparties dans les CSPS de You, Salla, Rambo et Dougouri ), 90 dans celui de Ouahigouya (CSPS de Oufré, de Tougzaguet, Sissamba, Bissighin et Séguénéga) et 36 dans le district sanitaire de Gourcy (CSPS urbain de Kera-Douré, Tanglongbaonghin TLB, Kasseba-Samo, Kontiguè, Moundian et Masboré).
Avec l’appui financier de IRC, les 166 accoucheuses villageoises ont reçu une motivation de 20 200 F CFA par mois durant quatre mois. « Cela est loin d’être une rémunération au regard du travail abattu. Et, nous constatons vraiment une amélioration de l’utilisation des services de la maternité », indique M. Barry.
Pour les accoucheuses villageoises, les formations et les dotations reçues sont d’un apport considérable.
« Je faisais les accouchements sans gangs, ni aucun autre matériel. Cela m’exposait à des risques de contraction d’éventuelles maladies. Après l’expulsion du bébé, je coupais le cordon avec juste un objet tranchant. Ce qui pouvait aussi être une source d’infection pour le nouveau-né. Mais aujourd’hui, tout cela a changé. J’ai de quoi faire un accouchement hygiénique », confesse la vieille Lizèta Bologo. Et Nopoko Sawadogo, une autre accoucheuse de Téra-Douré de renchérir que grâce aux différents appuis, son métier est devenu plus aisé et respectueux des règles d’hygiène et de santé. « On souhaite que désormais, dans le kit, en plus du savon, il y ait de l’eau de javel afin de pouvoir stériliser le matériel après chaque accouchement », plaide la matrone Bologo.
Une appréciation positive
Les accoucheuses villageoises sont suivies à travers des sorties de supervision initiées régulièrement par les Infirmiers chefs de poste (ICP) des formations sanitaires de leur localité. Cet accompagnement permet de combler certaines lacunes et de maintenir un regard sur la pratique. La collaboration avec les agents de santé va même au-delà. Après chaque accouchement, la parturiente et le bébé sont transférés au CSPS suivant les conseils des accoucheuses. « Je trouve que leur contribution est très importante, car sans elles, plusieurs femmes pourraient perdre la vie en voulant accoucher », affirme le MCD de Ouahigouya.
Selon le maïeuticien du CSPS de Téra-Douré, Souleymane Ouédraogo, une commune rurale située à 35 km de Gourcy, les accoucheuses villageoises sont d’un grand apport. « Notre formation sanitaire est voisine à la commune de Seguénéga. Nous recevons fréquemment des nouvelles mères, assistées par les accoucheuses villageoises. Quand elles viennent, c’est juste des soins complémentaires qu’on leur administre et on les libère », souligne-t-il. Mieux, M. Ouédraogo affirme que les accoucheuses lui donnent un coup de main quand il est débordé à la maternité parce que son service est en sous-effectif.
« Elles surveillent, encouragent et motivent les femmes à tenir bon jusqu’à l’accouchement. Elles jouent également le rôle d’accompagnante, car les époux estiment que leurs femmes sont entre de bonnes mains avec elles au centre de santé », témoigne, Souleymane Ouédraogo. « Elles nous aident à sauver des vies dans ce contexte d’insécurité. Quand le district sanitaire de Gourcy avait été attaqué en 2022, les CSPS fonctionnaient à minima, certains étaient même fermés. Ce sont elles qui assistaient les femmes lors de leur accouchement, de jour comme de nuit. Elles arrivent vraiment à prendre soin des femmes avant de nous les envoyer. En cas de saignements, elles transfèrent immédiatement la patiente au CSPS pour une prise en charge rapide.
Des « sages-femmes » de circonstance
S’il le faut avec l’accompagnement des VDP. Heureusement, on n’a jusque-là pas enregistré de cas de décès. Nous apprécions vraiment leurs contributions », assure Martine
Sawadogo, sage-femme du CSPS de Taongloghin-Baoghin, village situé à 7 km de Gourcy.
A l’écouter, son CSPS compte trois accoucheuses villageoises dont une à Kapesgo, l’autre à Kouba et la 3e les assiste au CSPS.
Le directeur régional de la santé du Nord, Toguyeni Hounteni, pour sa part, explique qu’actuellement avec l’insécurité dans certaines zones, les accoucheuses villageoises qui assurent aussi le minimum, en attendant le retour normal de la situation. « Elles se battent jour et nuit pour sauver des vies. C’est un acte à saluer à sa juste valeur », relève-t-il. Les femmes, elles aussi, ne manquent pas de noter l’effet bénéfique de l’assistance des accoucheuses. « Je suis à mon 4e accouchement. J’ai toujours été assistée par une accoucheuse villageoise. Elle a toujours les mots pour m’encourager dans cette épreuve », confie Absèta Ouédraogo, qui vient d’être mère au CSPS de Téra-Douré, le 20 septembre 2024, aux environs de 3h du matin. Elle a été accompagnée par l’accoucheuse, Nopoko Sawadogo.
En attendant le retour à la paix et le fonctionnement à plein régime de l’ensemble des formations sanitaires de la région du Nord, Absèta Ouédraogo, comme bien d’autres femmes, peuvent compter sur l’engagement des accoucheuses villageoises. Des « sages-femmes » de circonstance qui assurent au mieux leur rôle, avec passion et responsabilité en dépit de leurs moyens rudimentaires et sans rémunération.
Fleur BIRBA
fleurbirba@gmail.com
Motiver les « Yaba VDP»
« A travers les soins qu’elles procurent aux femmes lors de l’accouchement, les accoucheuses villageoises contribuent à ce que plus de femmes donnent la vie sans perdre la vie. Le ministère en charge de la santé pourrait davantage donner de motivation à ces « VDP » de la santé et de la procréation à l’image des Agents de santé à base
communautaire (ASBC) ».
FB