Attaque du convoi sur l’axe Ouahigouya-Titao : « Les balles sifflaient à l’avant et à l’arrière du convoi », Almissi Ouédraogo, un rescapé

Almissi Ouédraogo exerce depuis près de 15 ans dans le commerce du carburant. Propriétaire de deux stations d’essence à Titao, il est l’un des rescapés de l’attaque du convoi de commerçants, le 23 décembre 2021 à You, village situé à 10 km du chef-lieu de la province du Loroum. Dans cette interview accordée à Sidwaya, il retrace le film du drame qui a causé la mort de 41 personnes dont celle du célèbre Soumaila Ganamé dit ‘’ Ladji Yoro ‘’ et fait plusieurs blessés.

Sidwaya (S) : Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?

Almissi Ouédraogo (A.O.) : Je rends grâce à Dieu. Je me sens beaucoup mieux aujourd’hui. Mes blessures sont en voie de cicatrisation. Il ne reste qu’une plaie. Mais je vais beaucoup mieux. Il faut dire que j’ai eu vraiment de la chance lors de cette attaque terroriste. Car je n’ai eu que quelques blessures légères. Je n’ai pas reçu de balles et je rends grâce à Dieu pour cela. C’est juste que pendant ma fuite, j’ai eu des blessures aux pieds notamment au niveau des plantes. J’avais du mal à marcher. Mais aujourd’hui, tout va beaucoup mieux.

S: N’aviez-vous pas peur d’exercer votre métier depuis que la zone était infestée de terroristes ?

A.O. : J’exerce ce commerce depuis près de 15 ans. Et étant propriétaire de deux stations, j’ai toujours emprunté l’axe Ouahigouya-Titao. Mais depuis que l’insécurité a commencé à gagner du terrain dans la province du Loroum, j’avais la peur au ventre chaque fois que j’étais en déplacement pour Ouagadougou. Mon souhait était, tout le temps, de retrouver les miens sains et saufs. Par contre, je ne craignais rien quand j’étais à Titao parce qu’on avait Yoro et ses collaborateurs pour veiller sur nous.

S : Pourquoi avoir décidé de faire un convoi de ravitaillement malgré la situation sécurité délétère ?

A.O. : Yoro et moi avions discuté auparavant de cette possibilité de faire un convoi de ravitaillement de la ville de Titao, si toutefois la situation d’insécurité persistait. Ce jour-là, Yoro m’a même conseillé de rester pour résister aux forces du mal. Car, il disait avoir l’impression que je tentais par tous les moyens de me réfugier à Ouagadougou. Il m’a dit que ce n’était pas le moment de baisser les bras, mais que l’heure était plutôt à la lutte. Il a insisté pour que je parte à Ouagadougou afin de ramener du carburant pour ravitailler les populations. A l’issue de cette discussion, je suis effectivement parti à Ouagadougou. C’est de là qu’il m’a encore appelé pour m’informer de l’effectivité du convoi et m’a invité à me joindre à eux avec du carburant. Il m’a rassuré que des militaires feront partie dudit convoi. C’est ainsi que je suis venu avec une citerne pleine d’essence de 20 000 litres. On a cheminé ensemble le 23 décembre 2021 aux environs de 13 heures. Les commerçants n’étaient pas nombreux. On avait juste six tricycles pleins de marchandises plus ma citerne. En outre, on avait plusieurs agents de la fonction publique qui désiraient rejoindre leurs postes. Quand ils ont appris l’arrivée du convoi, ils se sont joints à nous pour le retour. Il y avait également des petits commerçants et environ 50 VDP.

S : Racontez-nous comment l’attaque est survenue ?

A.O. : C’était une journée terrible ! Je la revis chaque jour. On se croirait dans un film d’action hollywoodien. On cheminait ensemble jusqu’à Ensolma, un village à quelques kilomètres du village de You, lorsque le convoi a marqué un arrêt. Yoro et ses hommes sont allés en éclaireurs afin de nous permettre de poursuivre paisiblement notre chemin. Ils nous ont rassurés que la voie était dégagée, rien à signaler. Nous avons alors continué jusqu’à You. Au moment où l’on pensait avoir échappé au danger, nous avons entendu des tirs. Les agresseurs ont commencé à tirer sur Yoro qui était à la tête du ‘’ peloton ‘’ avec quelques VDP. Les balles sifflaient aussi bien à l’avant qu’à l’arrière du convoi. Nous étions encerclés. Les balles continuaient de pleuvoir dans tous les sens. En plus, les assaillants avaient du gaz. Pendant que certains tiraient, d’autres lançaient des gaz lacrymogènes. On ne voyait plus rien. Ils étaient couchés. C’était le sauve-qui-peut. Pour sauver ma vie, j’ai abandonné ma moto récemment achetée à 975 000 FCFA. Sous la selle se trouvait la somme de 6 500 000 F CFA en plus du carburant de la citerne qui faisait 11 320 000FCFA. Mon chauffeur, lui, a malheureusement péri, dans l’attaque. J’ai tout perdu lors de cette attaque. J’ai pris mes jambes à mon cou. J’ai couru au moins 4 km avant de me rendre compte que j’avais des blessures à la plante des pieds. Mais je rends grâce à Dieu, car j’ai eu la vie sauve. Que dire des 41 personnes mortes ? Je n’avais que 4 000 FCFA dans ma poche. Ma fuite m’a conduit au village de Toguième où j’ai demandé l’aide d’un jeune pour me conduire à Rambo. Pour son carburant, je lui ai remis 2000F. De là, j’ai appelé un parent de mon village Taobouli. C’est lui qui m’a ramené à Titao et je lui ai donné 1000FCFA. Je suis donc rentré à la maison avec 1000 FCFA. Faute d’argent, je ne suis pas allé à l’hôpital, ce sont avec les moyens de bord que je me suis soigné.

S : Il semble que la citerne a été abandonnée, mais vide. L’avez-vous retrouvée ?

A.O. : Non, pas encore. Je suis jusqu’à présent sans nouvelle de ma citerne.

S : Avez-vous été un témoin direct de la mort de Yoro ?

A.O. : Non. C’était vraiment la confusion et chacun fuyait pour sauver sa tête. Yoro était à la tête du convoi. Les commerçants et les autres personnes étaient au milieu. Quand les tirs ont éclaté, accompagnés de gaz, nous ne voyions plus rien. Certes, l’attaque est intervenue aux environs de 15 heures moins, mais à cause de la fumée des gaz, nous étions dans une sorte de brouillard. C’est aux alentours de 18 heures que j’ai appris par téléphone le décès de Yoro.

S : Vous-vous rappelez de l’identité des assaillants ?

A.O. : Malheureusement non, car avec les gaz lancés, on ne voyait plus rien. Ce que je sais, ils étaient couchés à même le sol et tiraient.

S : Un hélicoptère a dégagé l’aller, mais ne l’a pas fait au retour. Confirmez-vous cette information ?

A.O. : Oui, le convoi a été accompagné par un hélicoptère à l’aller. Mais je ne sais pas pourquoi au retour, cela n’a pas été le cas. Certes, je n’étais pas là à l’aller, mais quand je suis arrivé au point de ralliement à Ouahigouya, j’ai vu l’appareil posé. Les autres commerçants peuvent le confirmer.

S : Etes- vous prêt à reprendre le même itinéraire accompagné de VDP et de FDS ?

A.O. : Jamais ou du moins pas dans l’immédiat. Car j’ai failli y perdre la vie et actuellement je suis fauché complètement. Je n’ai plus de fonds pour reprendre mon commerce. Je suis donc rentré à Ouagadougou. Je vais patienter jusqu’à la normalisation de la situation avant de me rendre à Titao. Je suis tellement ruiné que je vis chez un ami. J’ai abandonné mes deux femmes et mes huit enfants pour me réfugier ici. J’espère seulement qu’elles arrivent à s’en sortir avec les enfants. Mon souhait est que la paix revienne au Burkina Faso et que nous retrouvions notre vivre- ensemble d’antan.

S : Que pensez-vous de la mort de Yoro ?

A.O. : Franchement, la disparition de Yoro est une grande perte pour nous populations de la province du Loroum et partant, toute la région du Nord. Grâce à lui et aux FDS, nous avons pu tenir pendant un bon bout de temps avant que l’axe Ouahigouya-Titao ne soit coupé. Les VDP et lui ont engrangé de nombreuses victoires. Je le connaissais personnellement et je prie que Dieu l’accueille dans son royaume. Nous nous en remettons à Dieu pour la suite. Depuis l’attaque, nous constatons la présence massive des Forces de défense et de sécurité (FDS) dans la zone. Nous osons croire seulement que la sécurité va bientôt régner dans la cité du Phacochère.

Réalisée par Fleur BIRBA

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