A Kaya, des nourrissons-orphelins de mère, à la suite des attaques terroristes, éprouvent d’énormes difficultés pour survivre. Sans assistance, certaines mères adoptives sont contraintes de s’adonner à la mendicité, afin de leur offrir un minimum de dignité. Nous sommes allés à leur rencontre, le mercredi 12 août 2020. Constat !
Z. B. est un nourrisson, orphelin de mère. Agée de deux mois, au moment des faits, elle a survécu, miraculeusement, à une attaque terroriste, dans la nuit du 26 au 27 mars 2020, à Dablo. Ce jour fatidique, son village est pris pour cible par des hommes armés. Les rafales fusent de partout. C’est la débandade. Sans défense, Z.B commence à subir l’horreur dans laquelle est plongée sa patrie, depuis cinq ans. Dans la fusillade, elle reçoit trois balles aux pieds et au bras gauche. Elle baigne dans le sang. Une autre balle perfore le ventre de sa mère. Elle succombe sur place. Sa sœur aînée, âgée de 14 ans, est aussi touchée mortellement au niveau de la poitrine. L’infortunée est entre la vie et la mort. Evacuée au Centre médical avec antenne chirurgicale (CMA) de Barsalogho, son état de santé dégringole. Elle ne cesse de sangloter. Sa voix se « brise ». Le lendemain, l’orpheline est transférée au Centre hospitalier régional (CHR) de Kaya. Z.B perd énormément de sang. Elle s’épuise davantage. Néanmoins, elle a pu braver la mort grâce aux premiers soins reçus au CMA de Barsalogho. « J’avais perdu totalement espoir parce qu’elle a fait deux jours sans lait ni eau. Les agents de santé ont vraiment fait preuve de professionnalisme. Tous les soins ont été gratuits. J’en suis reconnaissante », témoigne sa nourrice, Somwogma Bamogo. Après cette tragédie, la famille de Z. B, forte de 18 membres, a trouvé refuge dans une bicoque, au secteur 7 de Kaya, depuis sept mois. Dépouillée par des terroristes, qui ont emporté le bétail et incendié vivres et maisons, sa famille peine à joindre les deux bouts.
« Nous sommes arrivés ici les mains vides. Car, les forces du mal ont vandalisé tous nos biens. J’ai perdu 22 ovins et 6 ânes », se lamente la multipare. Comme sa
« nouvelle mère », le nourrisson doit braver la faim pour survivre. Les moyens limités, Z.B est nourri avec du lait en sachet vendu dans des boutiques. Ce qui lui provoque des maux de ventre, de la diarrhée, etc. Maladive, elle est orientée vers le Centre d’accueil des enfants en détresse (CAED), par la Direction provinciale de la femme, de la solidarité nationale, de la famille et de l’action humanitaire du Sanmatenga (DPFSNFAH/S). Ce centre assiste des enfants en danger de mort de 0 à 3 ans. L’orpheline est accueillie au service de Secours aux orphelins dans leurs familles (SOF) et du Centre de récupération et d’éducation nutritionnelle (CREN). Durant une semaine, Somwogma Bamogo y est hébergée pour une formation.
243 nourrissons en détresse
Selon la coresponsable du SOF/CREN, Maïmounata Sawadogo, cette formation est axée sur, entre autres, la préparation du lait et de la bouillie enrichie, les règles d’hygiène corporelle et vestimentaire, les techniques d’allaitement artificiel et surtout comment adopter un enfant. Elle poursuit que la durée d’apprentissage d’une nourrice varie de 7 à 14 jours et dépend de l’état de santé du nourrisson et de la capacité d’assimilation de la mère adoptive. A l’issue d’une formation, explique Mme Sawadogo, chaque nourrice bénéfice d’une dotation en lait et/ou en farine de bouillie enrichie et en vitamine. « Chaque enfant, en fonction de son âge, reçoit 5 boîtes de lait de 450g, 2 sachets de farine de bouillie enrichie de 450g et 2 flacons de vitamine de 500ml », souligne la deuxième coresponsable du SOF/CREN, Aimée Moyenga. Elle a indiqué que les dotations se font du lundi au vendredi, avant d’ajouter qu’en fonction de la date d’enregistrement, chaque nourrice est rappelée, chaque 28 jours, pour une nouvelle dotation et un contrôle de poids de son bébé. Aux dires de Mme Moyenga, à la date du 12 août 2020, 243 nourrissons en détresse dont 109 orphelins de mère sont pris en charge par le SOF/CREN. Alors que le chef de service de la famille et de l’enfant de la DPFSNFAH/S, Ali Sawadogo, annonce que de fin 2019 au début 2020, 196 enfants orphelins dont 87 filles des Personnes déplacées internes (PDI) ont été enregistrés dans son service. « Depuis le début des attaques terroristes, notre centre reçoit beaucoup d’orphelins de mère victimes du terrorisme. Ils représentent près de 50% de nos enfants pris en charge. Cela fait mal au cœur de voir des personnes s’entretuer laissant derrière eux des victimes innocentes », soupire Aimée Moyenga. Les responsables du SOF/CREN affirment qu’à chaque dotation, une contribution de 1000 F CFA par boîte de lait et 600 F par sachet de farine de bouillie enrichie est sollicitée aux familles des nourrices. Un engagement que la plupart des nourrices peinent à honorer. « Je ne suis pas à mesure de décaisser, chaque 28 jours, 6200 francs pour l’achat du lait et de la farine, parce que je n’exerce aucune activité », déplore la quinquagénaire Bamogo. Ce qui la contraint à déambuler dans les rues de Kaya pour quémander. « Chaque jour, je fais le tour de la ville pour tendre la main. Je peux passer toute la journée sans rien avoir… », larmoie-t-elle, sous une forte émotion. L’histoire de J. S. est aussi pathétique. Le dimanche 7 juillet 2019, des terroristes font irruption dans leur village (Kogebaraogo), commune de Namisguima, province du Sanmatenga. La grossesse de J. S. est presqu’à terme. C’est le sauve qui peut !
Passer de vie à trépas
La frayeur atteint son paroxysme. L’adrénaline monte. Le travail commence. Le col de son utérus est ouvert. Son liquide amniotique coule. La ‘’pauvre dame’’ baigne dans le sang. Dans des conditions atroces, elle donne naissance à des jumeaux. Sans assistance médicale, le garçonnet passe de vie à trépas sur-le- champ. La douleur atroce surplombe les forces de la femme en couche. Elle aussi succombe dix jours plus tard. « Nous avions utilisé en vain des tisanes pour la soigner…», pleure la nourrice, Odette Ouédraogo. La famille est dans le désarroi. Mais, ‘’l’infortunée’’ survit pendant une dizaine de jours. « Nous avons trait le lait d’une brebis pour l’allaiter. Chose qu’elle refusait catégoriquement. Elle rejetait aussi les seins d’une autre mère allaitante », relate la quadragénaire. Elle poursuit : « C’était vraiment un calvaire. Nous nous sommes dit qu’il fallait attendre son dernier souffle, parce que nous n’avions plus d’autres solutions. Personne ne croyait en sa survie ». Pour la nourrice Ouédraogo, J. S. est un cas exceptionnel.
« Nous pouvons la recroqueviller dans son gîte toute la journée et le soir nous nous rendons compte qu’elle respire toujours. A un certain moment, elle ne ressemblait plus à un être humain… », narre-t-elle. « Fanée » et «filiforme», l’orpheline est amenée aussi au CAED par une « bonne samaritaine », étrangère venue de Kaya.
« A son arrivée, elle pesait moins de 2kg. Après consultation, nous avons décidé de la transférer dans un centre de santé public pour faire chuter la fièvre et lever la déshydratation. C’était vraiment compliqué parce que les agents de santé des services publics étaient en mouvement d’humeur. Mais, elle a bénéficié de soins », raconte le médecin du CAED, Arsène Dakouré. Après deux jours d’hospitalisation, l’orpheline et sa mère adoptive sont hébergées au SOF/CREN, pendant 14 jours, pour un suivi sanitaire du bébé. A l’instar des autres nourrices, Odette Ouédraogo, en plus de la dotation en aliments, a reçu des gîtes et des couvertures. Depuis plus d’une année,
J. S. et sa famille vivent dans une maisonnette de dix tôles, dans la zone non lotie du secteur 7 de Kaya. Chevelure touffue et « maquillée » de boucles d’oreilles et de bracelets en plastiques, à la date du 12 août 2020, la ‘’victime du terrorisme’’ entre dans sa deuxième année. Le regard méfiant, elle ne cesse de «bondir» sur les seins de sa mère adoptive. « La dotation en lait et farine ne lui suffit plus. Je suis obligée de combler sa ration alimentaire avec d’autres nourritures. Or, je n’exerce aucune Activité génératrice de revenus (AGR) », dit la déplacée interne. Manger à sa faim constitue donc un casse-tête pour l’infortunée.
Décéder dans une charrette
« Au départ, je prenais dix boîtes de lait, à dix mille francs CFA par mois. A un certain moment, je ne pouvais plus excéder cinq boîtes. Depuis cinq mois, c’est ma femme qui mendie ou lave des linges sales pour payer son lait », raconte le père de J. S., Pascal Sawadogo. Il soutient que son salaire mensuel de 12 000 francs CFA ne peut pas nourrir 22 personnes, payer le loyer à 3000 F et acheter du lait pour son nourrisson. De ce fait, Pascal Sawadogo plaide pour une AGR. « Je vendais des produits agricoles et de la volaille. Je peux toujours vendre ici, afin de subvenir aux besoins de ma famille », rassure le vieillard en demandant de l’aide. Pour le directeur du CAED, Théodore Sawadogo, son centre est soutenu, financièrement, par le Fonds national de solidarité (FNS), dans le cadre de la prise en charge des enfants en difficulté. Cependant, il déplore le montant insignifiant alloué annuellement aux enfants placés par la DPFSNFAH/S. « Pour l’année 2019, nous avons reçu 300 000 F CFA du FNS. Une somme qui ne peut même pas prendre en charge deux enfants dans l’année. Pour cette année, même si le dossier a été transmis au FNS, cette subvention se fait toujours attendre (vérifiez si c’est toujours le cas) », a-t-il regretté. Pour le Directeur régional de la femme, de la solidarité nationale, de la famille et de l’action humanitaire du Centre-Nord (DRFSNFAH/CN), Yacouba Ouédraogo, la DPFSNFAH/S place, mensuellement, 3 à 4 enfants dans ce centre. A. S. fait partie des rescapés des attaques terroristes. Sa grand-mère et lui déambulent aussi dans les rues de Kaya à la recherche de leur pitance quotidienne. Né il y’a seulement un mois, il a, désespérément, assisté au décès brutal de sa mère, dans une charrette, sur l’axe Lilgomdé-Foubé, aux environs de 23 heures, par manque de soins postnataux. Dans des conditions « inhumaines », elle fut enterrée à Foubé, le lendemain. « Elle n’a même pas pu bénéficier de toilette mortuaire encore moins de linceul avant son enterrement… », se remémore la nourrice, Halimatou Sebgo. C’est le début de son calvaire. « Je trayais le lait d’une chèvre, qui venait de mettre bas, pour l’allaiter pendant plus d’un mois dans l’attente d’un véhicule pour Kaya », poursuit-elle. Désespérée, sa famille bat le pavé, durant trois jours, à la merci de la faim et de la soif pour atteindre Kaya. Même si elle a pu sauver la peau de son neveu, le nourrir constitue un autre défi à relever. « Au début, j’achetais des boîtes de lait dans les boutiques au prix de 3000, 3500 et 4000 francs CFA. J’ai dépensé au moins 50 000 F CFA. A un certain moment, je ne pouvais plus supporter, parce que j’ai vendu tous mes biens pour sa survie. Aussi, je me suis lancée dans la mendicité. A Kaya, il est difficile de trouver un emploi », regrette la grand-mère.
Exactions des terroristes
En plus des difficultés alimentaires, le nourrisson est maladif. « Je ne peux pas faire une semaine sans aller à l’hôpital… », témoigne Mme Sebgo. La plupart des nourrissons de nos interlocutrices souffrent d’infections respiratoires. Pour le médecin généraliste, Arsène Dakouré, ces infections s’expliquent par le fait que ces orphelins arrivent dans des situations très difficiles. « Ils n’ont pas pu bénéficier de soins adéquats dès les premiers instants de leur naissance à cause de la fermeture des centres de santé de leurs localités d’origine », geint-il. Depuis sept mois à Kaya, dame Sebgo affirme n’avoir pas encore reçu de vivres et non vivres destinés aux PDI. « Nous sommes allés à la DPFSNFAH/S à maintes reprises. Mais, nous n’avions pas pu être recensés. Le papa de A.S. est allé dans les sites d’orpaillage et est revenu les mains vides », explique-t-elle. De ce fait, Halimatou Sebgo plaide pour la gratuité de la dotation en lait et en farine de bouillie enrichie pour les PDI au niveau du CAED. Sur cette doléance, Théodore Sawadogo se défend que cette contribution vise, non seulement, à harmoniser les conditions d’accueil dans les CAED de l’Alliance missionnaire internationale (AMI), mais aussi à responsabiliser les familles dans la prise en charge de leurs enfants. « C’est une manière pour dire à la famille que c’est son devoir de prendre en charge son enfant et nous l’accompagnons », a indiqué M. Sawadogo. Qu’à cela ne tienne, il affirme qu’en un demi-siècle d’existence de son centre, aucun enfant n’a été refoulé par manque de cette contribution, malgré la rareté des ressources. Sans prise en charge psychologique, certaines PDI, victimes des exactions des terroristes, succombent. C’est le cas de la génitrice de Z.S. Cinq jours après avoir trouvé refuge au secteur 6 de Kaya, elle décède d’une crise cardiaque. « Elle a commencé à tousser. Par la suite, elle m’a dit qu’elle a des maux de tête. Sur la voie, elle a aperçu des cadavres en état de putréfaction et, certains, « fraîchement » exécutés. Elle n’a pas pu supporter ce traumatisme psychologique », déplore Hawa Sawadogo, la voix tremblotante. Désemparée, la mère d’un enfant de 3 ans passe ses seins à l’orpheline d’un mois. Sans lait, elle pleurniche davantage. La quadragénaire ne sait plus à quel saint se vouer. 48 heures plus tard, par l’intermédiaire d’un missionnaire, le nourrisson est enregistré au SOF/CREN. « Ce centre a vraiment essuyé mes larmes. Sinon, j’allais devenir folle, parce que je n’avais aucun franc pour lui acheter du lait », fait-elle savoir. Cependant, les frais de dotation en lait constituent un autre obstacle à l’épanouissement de son nourrisson. « Au dernier rendez-vous, je n’avais que 2000 F au lieu de 5000 F. Mais, avec la bonne volonté du directeur du Centre,
il m’a offert les 5 boîtes de lait », lance la nourrice Sawadogo.
Déficience mentale
Actuellement, âgée de 9 mois et « bavarde », Z. S. ne cesse de prononcer le mot :
« maman ». A l’instar des autres nourrices, la trentenaire «jongle» entre la mendicité et la culture des champs d’autrui (500 F/jour) pour nourrir son neveu.
« Nous avions été recensés par des agents de l’Action sociale. Mais, avec la COVID-19, ils nous avaient dit de patienter. Après la reprise des activités, je suis repartie. Mais, ils m’ont exigé une fiche d’inscription ou de retrouver l’agent qui m’avait recensée », se plaint Hawa Sawadogo. Sans une meilleure prise en charge nutritionnelle, les orphelins de mère des PDI courent de nombreux risques. Selon Arsène Dakouré, ces enfants s’exposent à un retard de croissance tant staturopondéral que psychomoteur.
« Dans ces conditions de vie, une malnutrition et une déficience mentale et physique deviennent inévitables », alerte-t-il. « Si nous ne prêtons pas une oreille attentive à ces orphelins, ils risqueront de rejoindre leurs défuntes mères, tôt ou tard », s’inquiète Aimée Moyenga. Puis Théodore Sawadogod’ajouter: « L’enfant se construit durant toute sa vie. Si ses cinq premières années de prise en charge nutritionnelle et sanitaire échouent, cela peut avoir des séquelles psycho-traumatiques ». Pour une meilleure prise en charge médicale, le médecin généraliste suggère l’élargissement de la gratuité de soins aux enfants de moins de cinq ans aux structures sanitaires privées. « Il s’agit d’un partenariat entre les centres privés de santé et l’Etat que le gouvernement avait mis en place pour élargir cette gratuité de soins. L’opérationnalisation de ce préfinancement permettra d’améliorer l’offre de soins, afin de prendre en charge un plus grand nombre d’enfants, notamment ceux défavorisés », espère-t-il. Toutefois, les nourrices plaident pour une gratuité des aliments au profit des nourrices-orphelins de mère, la création d’AGR pour les PDI, l’érection de CAED publics dans les zones touchées par l’insécurité…« Les AGR nous permettront de ne plus tendre la main, chaque jour », affirme Somwogma Bamogo. Le directeur du CAED appelle à la solidarité envers les plus « faibles ».
« Il ne suffit pas seulement d’offrir de la nourriture au nourrisson. Il faut aller au-delà, car un enfant a aussi besoin d’affection, de sécurité, etc., que le lait », a-t-il confié. Pour cette raison, Théodore Sawadogo invite le gouvernement à prendre ses responsabilités vis-à-vis de la sauvegarde de l’enfance. Pour leur part, les mères bénévoles rassurent léguer une bonne éducation à leurs « adoptés ». « Sans une meilleure éducation, ces orphelins risquent d’être à la merci du grand banditisme, voire le terrorisme. Nous mettrons tout en œuvre, afin qu’ils soient utiles à la société », confirme Halimatou Sebgo.
Emil SEGDA
Segda9emil@gmail.com
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Yacouba Ouédraogo, DR de l’Action humanitaire du Centre-Nord
« L’enfant se sent plus dans une famille»
Dans cet entretien, Yacouba Ouédraogo, directeur régional de l’Action humanitaire du Centre-Nord, se prononce sur la prise en charge des nourrissons orphelins de mère, engendrés par les attaques terroristes.
Sidwaya (S) : Pourquoi orientez-vous les nourrissons-orphelins de mère vers le CAED ?
Yacouba Ouédraogo (Y.O.) : La Direction provinciale de la femme, de la solidarité nationale, de la famille et de l’action humanitaire du Sanmatenga (DPFSNFAH/S) entretient des relations professionnelles et sociales avec ce Centre. Car, il est sous l’encadrement de nos services techniques, en ce sens qu’aucun geste ne peut être posé par ce Centre sans l’accompagnement et l’autorisation de la DPFSNFAH/S.
S : Quels types de soutiens la DPFSNFAH/S apporte au CAED pour la prise en charge des enfants en difficulté ?
Y.O. : Le CAED est dans une dynamique de mission de service public. De ce fait, le ministère en charge de l’action humanitaire, annuellement, l’accompagne financièrement, par l’entremise du Fonds national de solidarité (FNS). Ce financement se fait en fonction du nombre d’enfants recueillis par an. Toutefois, nous reconnaissons que cette aide est insignifiante par rapport aux besoins sollicités par ces enfants en détresse. Pour l’année 2020, son dossier de soutien est toujours en examen au niveau du FNS.
S : Pourquoi la plupart de ces nourrissons vivent dans des familles d’accueil que dans ce Centre ?
Y.O. : Naturellement, l’enfant se sent plus dans une famille que dans un centre d’accueil. Parce que le syndrome d’hospitalisme, l’état dépressif, se manifestent chez certains enfants séparés précocement de tout lien affectif. Ce qui fait que ces enfants se laissent parfois mourir dans des centres par manque d’affection ou de «carence» maternelle, paternelle ou familiale. C’est pourquoi, le ministère en charge de la famille fait de plus en plus la promotion des Familles d’accueil des enfants en détresse (FAED), qui remplissent pratiquement les mêmes missions que les CAED. Nous accompagnons ces familles à travers un soutien financier. Nous organisons également des séances d’éducation parentale au profit des mères adoptives, dans le but de renforcer leurs capacités.
S : Comment se fait-il que ces nourrices se retrouvent dans les rues pour mendier, afin de s’occuper de ces nourrissons ?
Y.O. : Je suis tout à fait d’accord avec vous. Effectivement, il y a de la mendicité qui est constatée au sein de ces nourrices. Mais, cette mendicité est passée dans la conscience populaire et au-delà même de la prise en charge de ces enfants. Cependant, nous avons des stratégies que nous développons pour que ces nourrices, qui visiblement accompagnent la communauté dans la prise en charge des enfants à besoin spécifique, puissent avoir des Activités génératrices de revenus (AGR). Ce qui leur permettra de cultiver une certaine résilience, afin de diminuer un peu leur pensée vers la mendicité.
S. : Ne craignez-vous pas que ces enfants se retournent contre la société si leur intégration sociale échoue ?
Y.O. : Oui ! C’est pourquoi, nous prenons des dispositions en amont. Nous interpellons plus d’un pour qu’on puisse être dans la prévention. Toutes les dérives sociales que nous constatons aujourd’hui, sont aussi liées à l’échec de l’éducation dès l’enfance. Nous sommes plus ou moins dans la dynamique de ‘’sapeurs-pompiers de la société’’ pour prévenir. Parce que, l’investissement dans la prime enfance permettra d’économiser énormément dans la jeunesse, dans l’âge adulte et dans l’âge responsable.
S. : Avez-vous un programme de prise en charge de ces orphelins ?
Y.O. : Oui ! Chaque enfant a un schéma directif de prise en charge. La porte d’entrée d’un enfant orphelin est l’enregistrement. Une fois enregistrée, il est classé comme type d’enfant à besoin spécifique. Cette orientation dépend du nombre de services que l’on doit lui offrir. Parce qu’il y a certains enfants qui franchissent la porte d’entrée avec un besoin de prise en charge nutritionnelle. Par contre, d’autres arrivent avec un besoin sanitaire ou de protection. En fonction de ce schéma, il y a des enfants qui transitent dans des centres avant d’être placés dans une famille d’accueil. Mais au détour de ce placement, il y a des enfants qui ont besoin d’être adoptés. Par contre, pour ceux qui ont des parents, nous procédons à leur retour en famille. En tous cas, la durée de séjour des enfants dans des centres d’accueil doit être la plus courte possible, afin de leur permettre de s’intégrer socialement. C’est pourquoi, il est envisagé le renforcement de la formation des professionnels de la prime enfance (0 à 3 ans), de la période d’âge préscolaire (3 à 6 ans) et de la transition scolaire (6 à 8 ans).
S. : Quelles sont les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de ce programme ?
Y.O. : Les difficultés sont surtout liées à la capacité d’accueil du CAED, parce que mensuellement, nous pouvons placer 3 à 4 enfants au niveau de ce Centre. Il y a aussi le manque de répertoire unique pour ces enfants au profit des partenaires au développement. Mais, nous avons été instruits il y a à peine deux semaines, de faire une mise à jour des listes des enfants et orphelins vulnérables au niveau de toutes les directions provinciales en charge de l’action humanitaire. Ce qui permettra à ces partenaires de travailler en synergie d’actions, afin, non seulement d’optimiser leurs résultats, mais aussi de rectifier le tir.
S : Que faire pour une meilleure prise en charge de ces enfants en détresse ?
Y.O. : D’abord, il est impératif de mettre en place des services publics d’accueil pour des enfants en détresse, surtout dans les régions à fort défi sécuritaire. Ensuite, il faut que nous retournions à la famille. Parce que dans la littérature, la famille est la cellule de base d’une société.
Malheureusement, de nos jours, cette famille est lézardée. Il faudrait donc que nous repensions ces vertus, afin qu’elle puisse, non seulement, prendre ses responsabilités, mais aussi, travailler à stabiliser la communauté tout entière. Enfin, les décideurs doivent orienter leurs décisions vers la famille, en privilégiant une prise en charge communautaire.
E.S.