Espèces médicinales : Le Celtis toka en voie de disparition

Utilisé pour ses multiples vertus thérapeutiques par les Dozo et les Bozo, le Celtis toka est aujourd’hui en voie de disparition au Burkina. Dans un récent article, des chercheurs burkinabè présentent des stratégies pour assurer la conservation de cette espèce très utilisée dans l’Ouest du Burkina.

Domba Sanou alias Tchèkorakora est un musicothérapeute et herboriste, membre de la confrérie Dozo. Depuis 23 ans il s’emploie à soigner gratuitement toutes les personnes souffrantes qui se présentent à son domicile. Parmi les plantes qu’il utilise il y a le Kamignagua ouLoumouque que d’autres appellent Faraguan ou Kamigna ou Kalguemtouèga ou encore Rickou, en fonction de leurs localités d’origine.

« Cette plante soigne un nombre important de maladies dont l’ulcère et l’anxiété. En cas d’anxiété, elle s’utilise sous forme d’encens pour chasser les esprits qui hantent les malades et les effraient. Son usage est surtout importante pour la santé infantile et les femmes en grossesse », déclare le Dozoba Domba, à propos des vertus thérapeutiques de la plante dont le nom scientifique est Celtis toka.

Pour Micheline Ouédraogo originaire de la région de la Boucle du Mouhoun, Kamagna évoque un souvenir d’enfance.

« Lorsque mes frères ou moi étions malades ma mère faisaient cueillir les feuilles de Kamagna pour en faire une sauce qui avait le pouvoir de redonner l’appétit. Mais déjà à cette époque il n’y avait que certaines vielles qui pouvaient reconnaitre la plante et aussi il fallait aller très loin pour la retrouver », se souvient celle qui a aujourd’hui la quarantaine bien entamée.

Naomi Ouédraogo pour sa part est tombée tout à fait par hasard au marché de Nagréongo sur une vielle dame qui vendait des feuilles de Kalguem-touèga bouillies à l’eau. Elle en a pris pour les faire revenir avec un peu d’huile et des oignons, une petite sauce délicieuse qu’elle déguste avec du riz ou du to.

Les chercheurs confirment bien cette panoplie d’usage du C. toka. Il s’agit d’un arbre polyvalent utilisé principalement pour l’alimentation, le fourrage, la médecine, les rites sacrés.

Celtis toka est impliqué dans le traitement de vingt-neuf affections. En plus de celles citées par Domba Sanou, ils ont recensé entre autres les carences en vitamines, le paludisme, la folie, les maux oculaires et la fièvre jaune. L’arbre pousse généralement dans les forêts galeries, les forêts sacrées ou protégées et les zones rocheuses.

Si Dozoba Domba doit parcourir désormais entre 15 et 20 et parfois même 40 km pour prélever des échantillons et Micheline et Naomi se contenter de doux souvenirs, c’est bien parceque cet arbre est en voie de disparition au Burkina Faso.

Cette situation a été décrite par une équipe de chercheurs dont Dr Zainabou Dabré, du laboratoire Biologie et Écologie végétales de l’université Joseph Ki Zerbo dans un article scientifique intitulé : « Ethnobotanique et conservation de l’espèce Celtis toka (Forssk.) Le bois Hepper & J.R.I. : une voie à suivre pour une utilisation durable au Burkina Faso », publié le 8 août 2023, dans le journal Sicentifique Helion.

Ils sont formels. Le Celtis toka est en danger critique de disparition, au point où dans plusieurs villages cet arbre n’existe plus, notamment dans la région de l’Est et au Sahel.

« Les villages où Celtis toka est présent, nous avons constaté qu’il n’y avait pas de jeunes plants pour remplacer les anciens. De plus, la majorité de la population vieillissante de Celtis toka est également malade. Ces arbres sont majoritairement attaqués par les parasites (Gui africain, etc.), les épiphytes (organismes qui poussent en se servant d’autres plantes comme support), les champignons, etc … », a expliqué Zainabou Dabré.

Le professeur émérite Nongonierma confirme

Directeur du laboratoire de Botanique de l’Institut fondamental d’Afrique noire entre 1967 et juillet 2000, le professeur Antoine Nongonierma de Dakar  se consacre désormais exclusivement aux soins par la phytothérapie entre autres.

« Le Celtis toka fait partie de la famille des figuiers et possède de nombreuses vertus. Mais c’est justement parce qu’elle est difficile à trouver que je ne l’utilise pas pour mes soins. Du reste elle n’est pas la seule plante médicinale qui soit menacé. Je dirais même que le peelga est plus en danger », commente le professeur émérite.

Naomi Ouédraogo déguste le C Toka avec du riz ou du to.

Les chercheurs ont aussi montré à travers des enquêtes réalisées auprès de la population que plusieurs causes sont à l’origine de la disparition de la plante. Il s’agit des causes naturelles telles que le changement climatique et le vieillissement de la population et l’action de l’homme à travers la coupe abusive du bois, la déforestation ; le prélèvement de l’écorce l’expansion agricole et les feux de brousse.

Au regard de tous les services que rend le Celtis toka, les populations ne manquent pas d’idées pour assurer la conservation de l’espèce. Les chercheurs ont rapporté que les stratégies de conservation comprennent la conservation de l’espèce et de son habitat naturel, l’utilisation de l’espèce en agroforesterie (association arbre/culture), la sensibilisation des populations sur la nécessité de sauvegarder Celtis toka à travers les plantations (reboisement).

A l’image de Dozoba Domba qui soutient qu’il faut songer à l’inclure dans les campagnes de reforestations organisées chaque année par le ministère de l’environnement, de l’eau et de l’assainissement.

« Cependant, pour une bonne intégration de l’espèce dans les politiques de reboisement, il faudrait mener des recherches complémentaires afin de s’assurer   les meilleures conditions pour le réussite du reboisement de cette espèce. Ainsi, Celtis toka pourrait être utilisé pour dans le cadre de l’agroécologie pour restaurer les écosystèmes dégradés», soutient Dr Dabré et ses collègues.

Nadège YE

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