Interview Fawzi Banao, doctorant : « Le commerce illicite est un pourvoyeur de capitaux pour les terroristes »

Fawzi BANAO : « Nous devons faire bloc autour de nos institutions afin de préserver nos acquis démocratiques tant recherchés ».

Fawzi Banao est étudiant-chercheur burkinabè inscrit dans un programme doctoral international conjoint entre le Centre d’études et de recherches en développement international (CERDI) rattaché à l’Université Clermont-Auvergne et le Centre de recherches Emile Berhneim rattaché à l’Université Libre de Bruxelles. Ses travaux de thèse portent sur « la mobilisation de ressources et gouvernance des pays en conflit : cas du G5 Sahel ». Dans cette interview, il porte un regard sur la crise sécuritaire au Sahel.

S : Que recouvre la notion de contagion de l’extrémisme violent ?
Fawzi Banao (F. B.) : Le concept de contagion de l’extrémisme violent que j’ai développé se résume à la notion de propagation. Nous pouvons la résumer à la phrase du géographe Waldo Tober qui affirmait que « tout interagit avec tout, mais deux objets proches ont plus de chance de le faire que deux objets éloignés ». Par conséquent, la contagion de l’extrémisme violent religieux peut être définie comme une transmission d’une idéologie religieuse radicale d’une région à l’autre, d’un pays à un autre ou encore d’une personne à l’autre.

Ainsi, plus on est proche d’un pays où il existe des groupes djihadistes, plus on est sujet à voir développer sur son territoire ces groupes. Cela se transmet par plusieurs canaux, notamment par le biais des camps de réfugiés ou encore des alliances tribales. Au vu de tous ces constats, il n’est pas étonnant de voir des attaques en Côte d’Ivoire. Des pays comme le Bénin, la Guinée-Conakry ou le Sénégal sont des cibles pour des groupes terroristes. Le concept de contagion de l’extrémisme violent au Sahel fait ressortir les causes géographiques, économiques et historiques du conflit.

S : Enraciné au Sahel, le terrorisme est en train de vouloir s’exporter dans les pays du golfe de Guinée. Comment ces groupes arrivent-ils à mobiliser autant de moyens pour servir leur projet expansionniste ?

F. B. : Il faut comprendre que cette expansion confirme la nature contagieuse du conflit au Sahel. Comprendre les causes de la contagion de l’extrémiste violent permet de comprendre les atouts que les groupes belligérants utilisent pour sévir. En premier lieu, nous pouvons affirmer que l’exploitation des sites miniers représente la première source de revenus permettant de financer les activités des groupes terroristes ainsi que leur projet expansionniste. En effet, un rapport de 2019 de « The Reusters » a estimé à environ 15,1 milliards de dollars, la contrebande issue de l’or extrait des pays du Sahel, à destination essentiellement des Emirats Arabes Unis.

Dans la même optique, une étude de l’OCDE datant de 2018 a également estimé à 20 tonnes de contrebande d’or de transit du Burkina vers le Togo chaque année. Ce pactole représente un énorme soutien financier des activités
terroristes permettant par exemple de payer leurs hommes sur le terrain. Ainsi, une solution pour limiter le projet expansionniste des groupes terroristes est d’établir une véritable stratégie de reprise en main de nos mines artisanales se situant sur le territoire burkinabè. Ensuite, concernant le financement des activités terroristes, il faut noter que le Sahel est un carrefour de circulation de la contrebande venant de l’Amérique du Sud. Nous pouvons rappeler qu’historiquement, la zone des trois frontières représentait la route transsaharienne de l’or et des esclaves débutée au 13e siècle.

Ce commerce consistait en un échange entre le Nord et le Sud : le Nord fournissait des bijoux contre les esclaves et l’or par le Sud. Au fil des années, se sont développés et maintenus des réseaux de trafic et de fraude. S’est ainsi installée une « moralité à la fraude ». Ce commerce illicite est un grand pourvoyeur de capitaux pour le financement des activités terroristes. Selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC), la valeur marchande de la cocaïne qui transite chaque année par l’Afrique de l’Ouest était estimée à 1,25 milliard de dollars en 2013. Aux causes économiques s’ajoute l’existence d’une population vulnérable au changement climatique et se situant dans une trappe à pauvreté.

Ainsi, les populations se situant dans cette zone sont des cibles faciles d’endoctrinement, ceux-ci forment naturellement des clusters (groupe de même caractéristique) de propagation de l’extrémisme violent. Ceci explique que la contagion de l’idéologie groupes radicaux au sein des clusters des populations défavorisées est facilitée par l’existence de la pauvreté.

L’un des principaux axes que les groupes terroristes exploitent pour s’externaliser est l’espace géographique du Sahel. En effet, la cause de la contagion géographique du conflit met en exergue l’inégalité de la densité sur l’occupation spatiale du territoire par les populations. Les zones du Nord, assujetties aux attaques, sont minoritaires en termes de population comparativement à celles du Sud, de ce constat celles du Nord sont inoccupées dans l’espace territorial. La conséquence directe de laisser des espaces vides est de faciliter la mise en place de groupes rebelles.

A ce fait s’ajoute la grande superficie des pays. Je pourrais rappeler que le Niger fait environ 1,27 million de Km2. Ainsi le vide territorial conjugué à la grande superficie des territoires sahéliens débouche sur la problématique de maillage du territoire par les forces de défense et de sécurité au front. La difficulté de maillage facilite l’externalisation et l’installation des bases aussi bien au sein d’un pays qu’entre deux pays voisins en zone ouest-africaine.

S : Au-delà des causes économiques qui alimentent le terrorisme, d’aucuns sont convaincus que d’autres forces souterraines alimentent le fléau pour servir leurs intérêts. Partagez-vous cet avis ?
F. B. : Il s’agit d’une question sur laquelle je n’ai pas les compétences pour apporter une réponse. Toutefois, il est clair que les spéculations et les débats sur l’existence d’une main occulte nous rendent surtout inactifs, dans une spirale de débats sans aboutissement ou de propositions concrètes de solutions. Il faudrait que l’on puisse s’approprier les questions existentielles, essentielles et profondes de la crise afin d’expliquer l’enrôlement de jeunes Burkinabè dans des groupes extrémistes.

Dans cette optique, j’ai rédigé un article dénommé « Les causes de la contagion de l’extrémisme violent au Sahel ». Il a été publié sur le site de l’IPSA (Initiative pour la paix et la sécurité en Afrique). Il existe des ressorts politiques de la crise, qui sont stratégiques, mais omises dans le débat public. Il faut reconnaître que l’aspect politique est un enjeu pour légitimer une guerre. Ainsi, les groupes terroristes l’ont compris dès le départ en mettant en avant le caractère politique de la guerre dans un cadre religieux. En effet, nous le savons tous, la branche radicale et majoritaire des groupes rebelles s’appuie sur la religion afin d’endoctriner les populations vulnérables. Il faut donc une implication plus importante des organisations religieuses afin de gagner la bataille sur le terrain politique de la crise.

S : En dépit de la présence d’armées étrangères puissantes dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, la capacité de nuisance de la nébuleuse semble intacte. Comment expliquez-vous cela ?

F. B. : On ne peut pas affirmer que la capacité de nuisance des groupes
belligérants reste intacte car il s’agit d’une guerre de mouvement. Je vous rappelle que depuis mi-juin, nous avons assisté à la neutralisation
de plusieurs centaines de
terroristes lors de l’opération conjointe dénommée «Taanli» entre le Burkina et le Niger.
Il convient de comprendre que les choses ne sont pas simples. Dans ce conflit, le comportement de l’ennemi est très difficile à anticiper, car il se métamorphose et s’adapte vite. Ensuite, nous avons un territoire sahélien d’environ 9,2 millions de km2 à couvrir. Par conséquent, il est compréhensible que malgré la présence des forces alliées, l’équation demeure difficile à résoudre.

Cela renvoie à une optimisation des stratégies pour un bon maillage du territoire. Toutefois, il faut noter qu’il y a d’énormes efforts qui sont faits sur le terrain. A titre illustratif, au mois de juillet, on a assisté à la neutralisation par les forces alliées d’un chef d’AQMI, un maillon essentiel du dispositif des groupes djihadistes impliqué dans plusieurs attaques au Sahel.

S : La zone des trois frontières Mali-Niger-Burkina est un espace privilégié par les terroristes. Quelle explication donnez-vous à cela ?
F. B. : Si la zone des trois frontières est privilégiée par les groupes terroristes, cela signifie que les conditions sont adéquates dans cette zone pour la mise en place de guérillas. De ce fait, il convient de se demander naturellement pourquoi cette zone est propice au développement de guérillas. En premier lieu, nous pouvons rappeler qu’historiquement, la zone des trois frontières était le carrefour de la route transsaharienne. De ce fait, la porosité des frontières permet de faciliter le commerce illicite et la circulation des produits non-légaux au sein des trois frontières afin de développer un marché issu de la contrebande. Il s’agit d’une zone adéquate pour l’implantation du «narco-terrorisme ». Nous pouvons nous souvenir en novembre 2009 de l’image d’une carcasse d’un Boeing 727 calciné, retrouvé au Nord de Gao au Mali.

Cela témoigne de la forte activité des narcotrafiquants dans la zone. Datant de 2015, un rapport de l’UNODC indique que près de 18 tonnes de cocaïne transitaient chaque année par l’Afrique de l’Ouest pour remonter vers l’Europe par voies aérienne, maritime ou terrestre. L’exploitation des minerais artisanaux exploités par les groupes armés ont pour finalité d’alimenter les trafics illicites notamment celui de la contrebande afin d’atteindre les marchés internationaux. Ainsi, la zone des trois frontières et plus généralement l’Afrique de l’Ouest est devenue une voie de transit majeure de la drogue produite en Amérique du Nord afin d’être acheminée vers les marchés européens.

Cette activité nourrit financièrement et surtout permet l’approvisionnement en armes des groupes belligérants. La deuxième cause principale du conflit au niveau des trois frontières est causée par sa géographie. En effet, avec une population mal répartie sur l’étendue du territoire, la zone des trois frontières est l’une des zones les moins peuplées que l’on trouve au Burkina, Mali ou au Niger. Cela débouche ainsi sur un vide territorial dans lequel on peut aisément installer des groupes rebelles. Il s’agit d’un espace désertique, difficilement accessible aussi bien en période pluvieuse que de sècheresse.

Au regard de tous ces faits, nous devons comprendre que la raison principale défendant l’idée de délaissement par l’Etat des zones en conflit comme cause principale de l’expansion du conflit au Sahel peut être débattue et mise en cause. Les pays du Sahel ne sont pas les plus inégalitaires au monde en termes d’infrastructures entre les régions. Nous devons ouvrir la réflexion sur les autres causes importantes du conflit afin de trouver des solutions idoines. Toutefois, il est évident qu’un sentiment de délaissement augmente le coût d’opportunité de faire partie d’un groupe terroriste. Pour avoir une paix durable, il faut garantir des conditions minimales de subsistance sur tout le territoire burkinabè.
La zone des trois frontières est favorable aux groupes terroristes car son contexte historique et naturel favorise le développement de milices armées.

S : Les pays du G5 Sahel tentent tant bien que mal d’endiguer le terrorisme, mais il continue de sévir. Quelle stratégie adéquate faut-il mettre en œuvre pour extirper de façon définitive l’hydre terroriste du Sahel ?

F. B. : Il n’existe pas de stratégie unilatérale et homogène pour régler les différents enjeux : une bonne solution en 2018 n’est pas la meilleure en 2020, car l’ennemi est en perpétuel changement. (…) Sur le plan économique, il faudrait mobiliser rapidement et massivement des ressources afin de soutenir financièrement la guerre, d’où le sens de mes travaux. Dans cette optique, il faut instaurer des outils fiscaux endogènes, innovants et adaptés au contexte des pays du Sahel. Cette recherche doit être approfondie, car la stratégie des groupes belligérants est d’appliquer une guerre d’usure (sur le long terme). De ce fait, nous devons mobiliser rapidement des ressources afin de ne pas tomber dans le piège de la guerre d’usure.

Ensuite, il faudrait améliorer la qualité d’arbitrage de nos dépenses en situation de crise. Je pourrais rappeler que le budget national de 2018, celui du ministère de l’Eau a été réduit à 1,8% par rapport au budget national. Ces réaménagements ont pour effet direct, une augmentation du niveau de la pauvreté et des inégalités aussi bien entre les individus qu’entre les régions.

Cela pourrait constituer une nouvelle raison d’enrôlement dans les groupes terroristes par les populations vulnérables. Nous devons donc optimiser nos dépenses publiques afin d’avoir une soutenabilité et surtout d’éviter de creuser le déficit. Dans un angle sous régional, il est impératif que le G5 Sahel s’élargisse avec l’envoi d’hommes issus d’autres pays de la sous-région tels que le Bénin ou encore le Ghana pour soutenir nos pays qui sont en première ligne. Même si cela est déjà actif, il faut augmenter la synergie de la coordination inter-Etats permettant de réduire la capacité de mobilité entre les frontières des groupes rebelles. Il s’agit d’une occasion de constituer une force armée africaine tant souhaitée pour affronter un problème commun. Il convient également que des mesures soient plus sévères pour ne pas encourager l’instabilité institutionnelle au sein de la zone sahélienne.

L’intention des groupes terroristes est de créer le chaos institutionnel. Ils le font en divulguant sur le net des vidéos, de tueries pour révolter la population. Cela fut une stratégie payante chez le Mali voisin, qui se retrouve aujourd’hui dans un cercle vicieux d’instabilité institutionnelle. Par conséquent, nous devons faire bloc autour de
nos institutions afin de préserver nos acquis démocratiques tant recherchés. Par conséquent, la CEDEAO doit mettre tout en œuvre pour garantir et préserver les institutions des pays de la sous-région.
Nous devons nous battre chacun dans son secteur respectif pour une part, honorer nos disparus et d’autre part, assurer un avenir pour les prochaines générations. Cela y va également de notre survie et de notre responsabilité.

Propos recueillis par
Karim BADOLO

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